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Décision – Recommandation du directeur général des élections – Date de l'élection générale

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Directeur général des élections du Canada

Le 29 juillet 2019

DÉCISION DU DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ÉLECTIONS

Date de l’élection générale

Déterminer s’il est opportun de recommander au gouverneur en conseil le changement de la date de l’élection générale fédérale prévue le 21 octobre 2019

I. Introduction

Le jour de l’élection générale fédérale de 2019, actuellement prévu le 21 octobre 2019, ainsi que certains jours de vote par anticipation coïncident avec des fêtes juives. Ces jours‑là, les membres de la communauté juive pratiquante ne seront pas en mesure de voter ou de faire campagne.

Mme Chani Aryeh-Bain, une candidate juive orthodoxe ayant remporté la course à l’investiture pour le Parti conservateur du Canada dans la circonscription d’Eglinton–Lawrence, et M. Ira Walfish, un électeur juif orthodoxe et militant politique, ont présenté à la Cour fédérale du Canada une demande de révision judiciaire de ma décision de ne pas recommander au gouverneur en conseil de reporter la date de l’élection générale fédérale au 28 octobre 2019, car la grande fête juive de Chemini Atseret tombe le 21 octobre 2019.

Le 23 juillet 2019, la juge McDonald a accueilli la demande de révision judiciaire. Elle m’a ordonné de réexaminer ma décision et de fournir une justification qui reflète un juste équilibre entre les droits des demandeurs tels qu’ils sont garantis par la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) et le mandat qui m’est confié par la Loi électorale du Canada (la Loi).

À cette fin, j’ai examiné tous les documents et toutes les preuves dont je disposais déjà sur cette question. J’ai également consulté des membres du personnel de l’administration centrale d’Élections Canada ainsi que notre Comité de gestion des activités en région, qui comprend des administrateurs électoraux de partout au pays, concernant les répercussions qu’un changement de date aurait sur la réalisation du mandat d’Élections Canada.

J’ai aussi tenu compte de lettres reçues de la part de membres de la communauté juive après la décision du tribunal, notamment de Mme Aryeh-Bain, de M. Walfish et de leurs représentants légaux, ainsi que du Centre consultatif des relations juives et israéliennes (CIJA) et de la Ligue des droits de la personne de B’nai Brith Canada. Ces lettres s’ajoutent aux échanges antérieurs que j’ai eus avec des organisations et des personnes juives, dont Mme Aryeh‑Bain et M. Walfish. Je suis reconnaissant envers tous les membres de la communauté juive qui m’ont fourni des renseignements, et plus particulièrement pour la manière réfléchie dont ils ont fait part de leurs préoccupations.

Voici les motifs de ma décision. Après avoir examiné attentivement les répercussions de la tenue de l’élection le 21 octobre sur la capacité des juifs pratiquants à participer au processus électoral, et compte tenu de ma responsabilité d’assurer un vote accessible à tous les Canadiens, j’en conclus qu’il n’est pas souhaitable de changer la date de l’élection générale à un stade aussi avancé. Par conséquent, je ne recommanderai pas un changement de date au gouverneur en conseil.

II. La question sur laquelle je dois me prononcer

Depuis l’introduction, en 2007, d’élections à date fixe au Canada, l’article 56.1 de la Loi prévoit que, sous réserve du pouvoir discrétionnaire du gouverneur général de dissoudre le Parlement à tout moment, les élections générales ont lieu le troisième lundi d’octobre de la quatrième année qui suit le jour de la dernière élection générale. Ainsi, la prochaine élection générale est actuellement prévue le 21 octobre 2019.

En vertu de l’article 56.2 de la Loi, j’ai le pouvoir de recommander au gouverneur en conseil un jour de rechange pour tenir l’élection générale si je suis d’avis que le 21 octobre ne convient pas à cette fin, notamment parce qu’il coïncide avec un jour revêtant une importance culturelle ou religieuse ou avec la tenue d’une élection provinciale ou municipale. Si je fais une telle recommandation, le jour de rechange doit être soit le lendemain (qui, en 2019, est aussi une fête juive), soit le lundi suivant, le 28 octobre. Toute recommandation présentée au gouverneur en conseil doit, selon la Loi, faire l’objet d’une décision de ce dernier au plus tard le 1er août 2019.

Si l’on changeait la date de l’élection, les jours de vote par anticipation seraient également reportés en conséquence. En vertu du paragraphe 171(2) de la Loi, le vote par anticipation doit avoir lieu les vendredi, samedi, dimanche et lundi, soit les dixième, neuvième, huitième et septième jours précédant le jour de l’élection. Les bureaux de vote par anticipation doivent être ouverts de 9 h à 21 h, heure locale.

La Loi prévoit également d’autres façons de voter tout au long de la période électorale, notamment par bulletin spécial – lequel peut être envoyé par la poste ou rempli en personne à un bureau local d’Élections Canada. Le changement de la date de l’élection n’aurait pas d’incidence sur la capacité des électeurs de voter par bulletin spécial.

Pour décider s’il y a lieu ou non de recommander un changement de la date de l’élection, je dois d’abord prendre en considération les objectifs législatifs en jeu en vertu de la Loi. Je dois ensuite déterminer comment les droits en cause au titre de la Charte seront le mieux protégés compte tenu de ces objectifs législatifs, en trouvant un équilibre entre le degré d’atteinte aux droits garantis par laCharte et les objectifs que je suis tenu de réaliser.

III. Restriction aux droits garantis par la Chartepour les Canadiens juifs pratiquants

Des membres de la communauté juive, dont Mme Aryeh-Bain et M. Walfish, m’ont fourni des renseignements quant à l’incidence de la tenue de l’élection le 21 octobre sur leurs droits religieux et leur capacité de participer au processus électoral.

Le jour de l’élection coïncide avec la grande fête juive de Chemini Atseret, qui commence au coucher du soleil le 20 octobre et se termine le 21 octobre. De plus, deux des jours de vote par anticipation coïncident soit avec le sabbat (qui commence au coucher du soleil le 11 octobre et se termine au coucher du soleil le 12 octobre), soit avec le premier jour de la Souccot (qui commence au coucher du soleil le dimanche 13 octobre et se poursuit le lundi 14 octobre, jour de vote par anticipation). Je comprends qu’à ces dates, la loi juive interdit aux juifs pratiquants d’exercer de nombreuses activités courantes, dont l’écriture, la conduite d’un véhicule, le travail ainsi que l’utilisation d’un appareil électronique comme la télévision, l’ordinateur et le téléphone. Cela comprend le vote, le bénévolat et la participation à des campagnes électorales (p. ex. à titre de représentant d’un candidat). M. Walfish écrit que le jour de l’élection, les électeurs juifs pratiquants ne pourront pas se rendre aux urnes. Il écrit également qu’il sera difficile pour les juifs pratiquants de participer au processus électoral la semaine précédant le jour de l’élection. Je reconnais que les juifs pratiquants ne pourront pas voter le 21 octobre et qu’en outre, bon nombre d’entre eux seront restreints dans leur capacité de participer à d’autres activités pendant la période électorale, en raison d’un conflit avec des fêtes religieuses.

Ces dates posent également des difficultés particulières aux candidats qui sont juifs pratiquants. Je comprends que les candidats orthodoxes disposeront de moyens limités pour encourager la participation des électeurs le 21 octobre. Mme Aryeh-Bain écrit que ni elle ni son équipe de campagne ne pourront communiquer avec les électeurs le jour de l’élection. Je comprends qu’il leur sera interdit de faire de la sollicitation porte-à-porte auprès de partisans potentiels, de communiquer avec les électeurs par téléphone, par courriel ou par message texte, et de conduire des électeurs aux bureaux de vote le jour de l’élection, s’il y a lieu. De plus, je comprends qu’il est interdit aux juifs orthodoxes de demander à quiconque (même si la personne n’est pas juive) d’accomplir en leur nom un travail ou un acte interdit pendant ces fêtes, ou d’inciter quiconque à le faire. Je suis conscient des répercussions réelles de cette interdiction : les candidats juifs orthodoxes ne pourront demander à quiconque de voter ou de faire campagne en leur nom lors de la Chemini Atseret; ils ne pourront pas non plus demander à quiconque de les représenter aux bureaux de vote. Leurs activités politiques seront également limitées par des fêtes religieuses pendant les autres jours de la période électorale.

Je ne mets aucunement en doute la sincérité des croyances religieuses qui ont été soulevées ni l’effet que ces croyances ont sur la capacité des juifs pratiquants de participer à l’élection générale, tant comme électeurs que comme candidats. Je reconnais que cette situation touche des droits et libertés fondamentaux qui leur sont garantis par la Charte, soit leur liberté de religion, leur droit à l’égalité et leur droit de voter et d’être éligible aux élections législatives fédérales.

IV. Les objectifs prévus par la Loi

Pour me forger une opinion quant au bien-fondé de la date de l’élection, je dois déterminer comment les droits garantis par la Charte seront le mieux protégés, compte tenu des objectifs législatifs.

Plus précisément, à ce stade avancé du cycle électoral, j’estime que je dois accorder une attention particulière à l’incidence qu’un changement de date aurait sur ma capacité de bien remplir les obligations que m’impose la Loi, en prenant en considération le peu de temps qu’il reste avant l’élection générale.

1. Le rôle d’Élections Canada et du directeur général des élections

À titre de directeur général des élections, je dirige Élections Canada, un organisme indépendant et non partisan relevant du Parlement. Je dirige et surveille d’une façon générale les opérations électorales, et je suis autorisé à exercer les pouvoirs et fonctions nécessaires à l’application de la Loi.

Le but premier d’Élections Canada est d’être prêt en tout temps à conduire des élections fédérales équitables et accessibles. Veiller à ce que tous les citoyens canadiens âgés d’au moins 18 ans ou plus puissent exercer leurs droits démocratiques de voter et de se porter candidat est l’essence même de son mandat.

Plus précisément, dans l’affaire qui nous concerne, mes obligations légales consistent, entre autres, à m’assurer que des services électoraux sont offerts aux bureaux de vote par anticipation et aux bureaux de scrutin ordinaires, que les lieux de vote sont accessibles et situés à proximité de la résidence des électeurs, et que d’autres façons de voter sont offertes aux Canadiens qui ne peuvent pas voter en personne aux bureaux de vote par anticipation ou aux bureaux de scrutin ordinaires.

Le bureau qui m’appuie dans l’exercice de mon mandat se compose habituellement de quelque 500 employés permanents, qui travaillent dans la région de la capitale nationale, auxquels s’ajoutent des employés temporaires embauchés pour l’élection. Je nomme, pour un mandat de 10 ans, un directeur du scrutin pour chacune des 338 circonscriptions fédérales du Canada. Le directeur du scrutin est responsable de l’administration et de la conduite de l’élection dans sa circonscription, conformément à la Loi et à mes instructions.

Certains pourraient croire qu’une élection n’est qu’un simple événement d’un jour. Or, la conduite d’une élection générale à l’échelle nationale est une entreprise très complexe qui demande des années de planification. Elle nécessite l’embauche temporaire de 300 000 travailleurs répartis dans plus de 16 000 lieux partout au Canada pour servir 27 millions d’électeurs canadiens.

Nombre de ces Canadiens se heurtent à différents obstacles qui limitent leur capacité de voter ou de se porter candidat. Il peut s’agir de contraintes géographiques, linguistiques, professionnelles, familiales ou liées à un handicap; pour certaines personnes, voter le jour de l’élection est impossible. L’une des responsabilités du directeur du scrutin consiste à nouer le dialogue avec sa communauté locale, afin d’atténuer les obstacles liés à la prestation des services électoraux et de communiquer aux électeurs de l’information sur les façons de voter.

2. L’objectif d’une élection à date fixe

Le mandat que me confère la Loi doit notamment être interprété à la lumière de l’intention exprimée par le Parlement de tenir des élections générales à date fixe. L’adoption d’une modification législative en ce sens remonte à 2007. Cette modification avait notamment pour but d’améliorer la gouvernance, d’augmenter la participation électorale, de s’assurer que tous les citoyens connaissent la date de la prochaine élection et d’accroître la transparence.

La tenue d’une élection à date fixe a aussi renforcé la capacité d’Élections Canada de conduire une élection équitable et accessible. Je suis également d’avis que la tenue d’une élection à date fixe favorise la participation de la société civile au processus électoral, car la date de l’élection est prévisible.

M. Walfish écrit qu’une élection peut être déclenchée sur préavis de 36 jours. Bien qu’Élections Canada doive demeurer prêt en tout temps à conduire une élection générale au besoin, la tenue d’élections à date fixe a permis une planification beaucoup plus complète et efficace, dans l’intérêt des électeurs, des candidats et des partis politiques.

3. Proximité et accessibilité des lieux de vote

L’une des obligations qui me sont imposées par la Loi est d’assurer l’accessibilité des lieux de vote. En application du paragraphe 121(1) de la Loi, les bureaux de vote doivent être situés dans des locaux accessibles aux électeurs ayant une déficience. Pour respecter cette exigence fondamentale, Élections Canada a établi une liste de 35 critères, dont 15 sont obligatoires. Cette liste tient également compte des obligations en matière d’accessibilité prévues par la Loi canadienne sur les droits de la personne. L’accessibilité des lieux de vote représente un élément très important du service que je dois offrir à tous les Canadiens.

La préparation des lieux de vote pour l’élection de 2019 a commencé au début de 2018, en fonction de la date fixée pour l’élection, soit le 21 octobre. Elle s’est poursuivie au cours des 18 mois suivants, toujours en fonction de cette date. Au cours de cette période, j’ai été informé que le jour de l’élection coïncidait avec la Chemini Atseret. Toutefois, les renseignements que j’ai reçus des membres de la communauté juive, en août 2018 et au cours des mois suivants, indiquaient que les contraintes religieuses imposées aux juifs pratiquants seraient compensées adéquatement par des activités de communication et les autres façons de voter. J’ai donc conclu qu’il ne serait pas nécessaire de recommander un changement à la date de l’élection. C’est sur cette base que les préparatifs d’Élections Canada ont été menés jusqu’à maintenant. Cela concordait également avec notre expérience de l’élection générale de 2008, alors que le jour de l’élection coïncidait avec la fête juive de Souccot. À cette élection, les juifs pratiquants avaient pu voter soit par bulletin spécial, soit pendant deux des trois jours de vote par anticipation prévus alors par la Loi.

D’avril à septembre 2018, les directeurs du scrutin ont communiqué avec des administrateurs municipaux, des directeurs d’école, des conseils scolaires, des leaders communautaires et d’autres propriétaires fonciers privés pour s’informer, entre autres, de la disponibilité de leurs installations aux dates fixées pour les jours de vote par anticipation ou le jour de l’élection, en octobre 2019. Ils ont tenté de convaincre les administrateurs scolaires de tenir une journée pédagogique le 21 octobre. Les directeurs du scrutin ont ensuite visité des établissements pouvant servir de lieux de vote. Ils ont évalué la conformité de chacun d’eux aux 35 critères d’accessibilité, en plus de vérifier leur proximité par rapport au lieu de résidence des électeurs, leur caractère familier pour les électeurs, et leur capacité d’accueillir les électeurs de façon à éviter un engorgement. Ceux qui répondaient à tous les critères, soit plus de 16 000 établissements, ont été consignés comme étant des lieux de vote réservés pour la 43e élection générale, lors des jours de vote prescrits par la Loi.

Après la détermination des lieux de vote, à l’automne 2018, les directeurs du scrutin ont établi des sections de vote (subdivisions géographiques, composées de 350 à 450 électeurs en moyenne, qui forment une circonscription) pour chaque lieu de vote convenable et ont redessiné les limites des sections de vote lorsque des changements démographiques l’exigeaient. Cet exercice visait à s’assurer que dans toutes les circonscriptions, la répartition des lieux de vote correspondait le plus possible à celle des électeurs, de sorte que le lieu de vote attribué à chaque électeur se trouve à une distance raisonnable. Cette mesure, qui répondait à des préoccupations soulevées à l’élection générale de 2015, a également permis de produire de nouvelles cartes électorales à l’usage des candidats, des partis politiques et des directeurs du scrutin. Les électeurs y sont répartis géographiquement dans 72 223 sections de vote.

Le travail considérable réalisé pour trouver des lieux de vote accessibles et répartir les électeurs de façon à favoriser la proximité s’est fondé sur l’expérience acquise lors des élections générales précédentes et les importantes difficultés rencontrées à cet égard. L’organisme a dû revoir le processus et développer un nouveau logiciel de géolocalisation pour aider le personnel en région à accomplir ses tâches en prévision de l’élection. À ce jour, les travaux de géographie sont terminés. Environ 74 % des 16 134 lieux de vote sont maintenant confirmés, et les baux ont été signés ou transmis pour signature suivant la conclusion d’ententes avec les propriétaires.

Pendant l’évaluation des conséquences qu’entraînerait le report de la date de l’élection au 28 octobre, des membres du personnel en région se sont dits très préoccupés par la perte de lieux de vote, ainsi que par l’incidence que ces pertes pourraient avoir sur les électeurs en ce qui touche la proximité et l’accessibilité des lieux de vote, de même que la qualité des services offerts. 

À ce stade du cycle électoral, on ne peut pas redessiner les sections de vote en raison de la complexité de la tâche. Aussi faudrait-il attribuer un nouveau lieu de vote à ces regroupements existants d’électeurs. Bien que d’autres lieux puissent être disponibles, ils sont souvent moins accessibles et plus éloignés des électeurs qu’ils doivent servir. Comme il reste très peu de temps avant l’élection, en cas de perte d’un établissement, il est aussi probable que les directeurs du scrutin doivent regrouper un plus grand nombre de sections de vote au sein d’un même établissement toujours disponible. En milieu urbain, la réaffectation des électeurs à d’autres lieux de vote crée des problèmes d’engorgement et de files d’attente. En milieu rural, le personnel en région a indiqué que, dans de nombreux cas, la seule solution serait d’obliger les électeurs à voter dans un lieu de vote situé à plusieurs kilomètres de leur communauté, dans d’autres villes ou villages, ou dans un lieu de vote qui ne répond pas aux exigences de la Loi en matière d’accessibilité.

La détérioration des services de vote pour l’ensemble de la population canadienne est un facteur crucial dans ma décision de recommander ou non un changement de date pour l’élection. Une réduction générale de la disponibilité des lieux de vote, notamment des lieux de vote accessibles, aura une incidence sur la capacité de voter des personnes handicapées et des personnes âgées. Elle pourrait même dissuader complètement certains électeurs de se rendre à leur bureau de vote.

4. Bureaux de vote dans des écoles et sur des campus

Selon l’article 122 de la Loi, les bureaux de vote doivent être installés, autant que possible, dans des écoles ou d’autres édifices publics convenables. En effet, les écoles font d’excellents bureaux de vote : elles répondent aux critères liés à la proximité et au caractère familier, et satisfont généralement aux exigences de la Loi en matière d’accessibilité. À l’élection générale de 2004, 40 % des lieux de vote étaient des écoles. Depuis, il est de plus en plus difficile – principalement pour des raisons de sécurité – d’utiliser des écoles comme lieux de vote, et le nombre d’écoles disponibles à cette fin a considérablement diminué. 

Conscient du fait que les responsables des établissements scolaires préfèrent que les élèves ne soient pas présents au moment où les citoyens viennent voter, Élections Canada a écrit aux conseils et commissions scolaires (les conseils scolaires) pour les inviter à faire du 21 octobre une journée pédagogique. L’organisme a commencé à écrire aux conseils scolaires en août 2018, bien avant la prochaine élection générale et la mise au point des calendriers scolaires pour 2019. Treize conseils scolaires, notamment au Québec, en Alberta et à Terre-Neuve, ont fait du 21 octobre une journée pédagogique.

Au début du mois de juillet, mon personnel a communiqué avec les 20 conseils scolaires avec lesquels nous avions pris des dispositions en vue d’utiliser leurs écoles les jours de vote par anticipation ou le jour de l’élection. Je peux confirmer que cinq d’entre eux ont fixé une journée pédagogique le vendredi du vote par anticipation (le 11 octobre 2019). Les écoles sont fermées le lundi de l’Action de grâces (le 14 octobre 2019), qui est aussi un jour de vote par anticipation. Avec une journée pédagogique le 11 octobre, les quatre jours de vote par anticipation pourront avoir lieu dans les écoles retenues sans que les élèves ne soient présents. Seulement deux des cinq conseils scolaires ont affirmé qu’ils tenteraient de s’adapter si les nouvelles dates tombaient des jours d’école.

Je peux également confirmer que seulement deux des 13 conseils scolaires qui ont fait du 21 octobre une journée pédagogique envisageraient de demander une autorisation pour déplacer la journée pédagogique au 28 octobre. Dans l’ensemble, 6 des 20 conseils scolaires avec lesquels nous avons communiqué étaient confiants de pouvoir s’adapter si la date changeait, mais n’étaient pas en mesure de nous promettre quoi que ce soit, vu la nécessité d’effectuer d’autres vérifications après le début de l’année scolaire. Quatre conseils scolaires voyaient d’un plus mauvais œil la perspective d’un changement de date : ils nous ont dit qu’ils feraient des efforts pour faciliter la tenue de l’élection le 28 octobre, mais qu’ils n’obligeraient pas les écoles à reporter les activités déjà prévues ce jour-là. Les 10 autres conseils scolaires ne pouvaient pas nous répondre pour l’instant, puisqu’ils n’avaient pas accès au calendrier de chaque école. Certains ont suggéré que les directeurs du scrutin communiquent avec chaque école individuellement.

En ce qui concerne le vote sur les campus d’établissements postsecondaires, un projet pilote a été lancé lors de l’élection générale de 2015 : les directeurs du scrutin ont ouvert 39 bureaux sur des campus universitaires pour offrir des services d’inscription et de vote par bulletin spécial aux étudiants et au grand public, quel que soit leur lieu de résidence au Canada. Élections Canada a reçu des commentaires positifs sur cette initiative et plus de 69 000 électeurs ont voté à ces bureaux. Par conséquent, j’ai donné la consigne d’étendre ce projet de 39 à quelque 115 campus lors de l’élection générale de 2019. Le vote sur campus se déroulera du 5 au 9 octobre 2019, une fois qu’Élections Canada aura confirmé tous les candidats à l’élection fédérale. Si l’élection était reportée, les candidats ne seraient pas tous confirmés avant le 9 octobre. Élections Canada serait alors contraint de reporter le vote sur campus à la semaine du 14 octobre afin de pouvoir mettre une liste des candidats confirmés à la disposition des électeurs qui viennent voter. Les administrateurs en région qui ont travaillé avec des décideurs d’établissements postsecondaires au cours de la dernière année ont confirmé qu’un tel changement empêcherait l’ouverture de bureaux sur de nombreux campus qui devaient offrir ces services.

L’obligation de renoncer à des écoles et à des campus postsecondaires comme lieux de vote pour la prochaine élection nuirait à la capacité d’Élections Canada de fournir aux électeurs des lieux de vote proches et familiers qui répondent à leurs exigences, et limiterait l’accessibilité de l’élection. Ce facteur influe grandement sur ma décision.

5. Autres facteurs pertinents

Dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que m’accorde le paragraphe 56.2(1) de la Loi de recommander que l’élection ait lieu à une autre date, je suis légalement tenu de considérer si l’élection coïncide avec une élection provinciale ou municipale ou avec des jours revêtant une importance culturelle ou religieuse.

Or, des élections municipales doivent avoir lieu dans les 25 municipalités du Nunavut le 28 octobre prochain, date qui est fixée par la législation territoriale.

Même si la tenue de l’élection fédérale le même jour que les élections municipales au Nunavut ne soulève aucun enjeu immédiat au regard de la Charte, je dois néanmoins en tenir compte dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, conformément aux dispositions législatives adoptées par le Parlement. M. Walfish affirme que les résidents du Nunavut peuvent voter à deux élections en une journée. Cependant, des élections simultanées pour deux ordres de gouvernement obligent les administrateurs électoraux à se disputer les ressources locales, y compris les travailleurs électoraux et les locaux disponibles, et peuvent créer de la confusion chez les électeurs. En général, au Canada, les administrateurs électoraux font leur possible pour éviter que des élections n’aient lieu en même temps.

V. Meilleure application possible des garanties de la Charte

1. Façons de voter et autres jours de vote

Le droit de vote implique le droit de jouer un rôle important dans le processus électoral. La Cour suprême du Canada a reconnu que ce droit garantit un certain degré de participation. Cela signifie, selon moi, que chaque citoyen doit avoir la possibilité réelle de participer au processus électoral, que ce soit le jour de l’élection ou à un autre moment de la période électorale.

Outre le jour de l’élection ou les jours de vote par anticipation, tous les électeurs, y compris les électeurs juifs pratiquants, peuvent voter par bulletin spécial, comme il a été mentionné précédemment. Le vote par bulletin spécial est une façon pratique de voter, visant à répondre aux nouveaux besoins des électeurs et à accroître l’accessibilité du vote. Les bulletins de vote spéciaux sont conçus pour répondre aux besoins des électeurs de diverses façons, notamment en leur permettant de voter en personne dans des hôpitaux ou à partir d’exploitations minières éloignées. Le vote par bulletin spécial est une option souple qui peut être offerte à l’échelle locale, en fonction des besoins dans la communauté.

Pour la prochaine élection, un électeur peut s’inscrire au vote par bulletin spécial à n’importe quel moment, du déclenchement de l’élection jusqu’au 15 octobre. Un électeur peut s’inscrire en ligne, par la poste ou en personne au bureau d’un directeur du scrutin (bureau local d’Élections Canada), à un point de service d’Élections Canada (kiosque installé dans les circonscriptions pour faciliter le vote, au besoin – par exemple, dans une exploitation minière éloignée) ou à un bureau de vote sur le campus d’un établissement postsecondaire.

Après s’être inscrit en personne, l’électeur peut soit voter immédiatement à l’endroit où il s’est inscrit, soit déposer son bulletin de vote spécial ultérieurement, au plus tard le jour de l’élection. Les électeurs qui présentent une demande en ligne ou par la poste recevront une trousse de vote par la poste.

Les électeurs juifs pratiquants ne peuvent pas voter ou demander à d’autres personnes d’aller voter les jours suivants : le samedi 12 octobre, le lundi 14 octobre, le mardi 15 octobre et le lundi 21 octobre, jour de l’élection. Toutefois, pendant plusieurs jours de la période électorale (qui s’étend de la délivrance des brefs jusqu’au jour de l’élection), voter n’est pas contraire à leurs croyances religieuses, et ils peuvent se prévaloir du processus de vote par bulletin spécial comme tout autre électeur. Les électeurs juifs pratiquants pourront voter comme suit :

  • dès le déclenchement de l’élection (entre le 1er et le 15 septembre) : par bulletin de vote spécial, soit par la poste ou au bureau d’un directeur du scrutin;
  • du dimanche 6 octobre au mardi 8 octobre : par bulletin de vote spécial, soit par la poste, au bureau d’un directeur du scrutin, à un point de service d’Élections Canada ou à un bureau de vote sur campus;
  • le jeudi 10 octobre : par bulletin de vote spécial, soit par la poste, au bureau d’un directeur du scrutin ou à un point de service d’Élections Canada;
  • le vendredi 11 octobre avant le coucher du soleil : à un bureau de vote par anticipation ou par bulletin de vote spécial, soit par la poste, au bureau d’un directeur du scrutin ou à un point de service d’Élections Canada;
  • le samedi 12 octobre après le coucher du soleil : à un bureau de vote par anticipation ou par bulletin de vote spécial, soit par la poste, au bureau d’un directeur du scrutin ou à un point de service d’Élections Canada;
  • le dimanche 13 octobre avant le coucher du soleil : à un bureau de vote par anticipation ou par bulletin de vote spécial, soit par la poste, au bureau d’un directeur du scrutin, à un point de service d’Élections Canada ou dans un hôpital de soins de courte durée dans lequel ils ont été admis;
  • les mercredi 16 octobre et jeudi 17 octobre : par bulletin de vote spécial, soit par la poste, au bureau d’un directeur du scrutin ou à un point de service d’Élections Canada, à condition d’avoir demandé leur bulletin avant le 15 octobre;
  • le vendredi 18 octobre avant le coucher du soleil : par bulletin de vote spécial, soit par la poste, au bureau d’un directeur du scrutin ou à un point de service d’Élections Canada, à condition d’avoir demandé leur bulletin avant le 15 octobre;
  • le dimanche 20 octobre avant le coucher du soleil : par bulletin de vote spécial, soit par la poste, au bureau d’un directeur du scrutin ou à un point de service d’Élections Canada, à condition d’avoir demandé leur bulletin avant le 15 octobre.
2. Plan d’action pour faciliter le vote des électeurs juifs pratiquants

La population juive orthodoxe se concentre en milieu urbain, dans 36 des 338 circonscriptions fédérales (celles où de 1 à 13,4 % de la population est de confession juive selon le Recensement de 2016), ce qui permet de trouver des solutions locales en consultation avec les membres de la communauté, afin que les services offerts par Élections Canada soient ciblés et adaptés aux besoins locaux.

Élections Canada a pris de nombreuses mesures pour que les membres pratiquants de la communauté juive du Canada sachent qu’ils peuvent voter autrement que le jour de l’élection. L’organisme a notamment préparé un plan d’action visant à : a) améliorer les services électoraux pour faciliter le vote des électeurs juifs lorsqu’ils sont libres de voter; b) les renseigner sur ces services améliorés et les autres façons de voter. Ce plan à six volets a été mis en place en avril 2019.

Premièrement, Élections Canada a exigé qu’il y ait un plus grand nombre de travailleurs aux bureaux de vote par anticipation dans les circonscriptions du pays où au moins 1 % de la population est de confession juive selon le Recensement de 2016.

Deuxièmement, Élections Canada obligera les directeurs du scrutin de ces circonscriptions à nommer un agent de relations communautaires qui travaillera auprès de la communauté juive. Cet agent fera des présentations et fournira de l’information aux électeurs juifs sur les autres façons de voter et sur les services électoraux améliorés. Par exemple, des bureaux de vote par bulletin spécial pourraient être ouverts les jours où les électeurs juifs n’ont pas d’obligations religieuses, dans des lieux qui conviennent.

Troisièmement, les directeurs du scrutin de ces circonscriptions sont en communication avec les organisations juives locales, comme les synagogues et les centres communautaires, pour faire la promotion des autres façons de voter et des services électoraux améliorés offerts par Élections Canada.

Quatrièmement, pendant la campagne électorale, Élections Canada enjoindra aux directeurs du scrutin de tenir une réunion avec les candidats confirmés afin de les renseigner sur les autres façons de voter et sur les services électoraux améliorés.

Cinquièmement, les directeurs du scrutin des 36 circonscriptions visées s’assureront que les préposés aux renseignements sont en mesure d’informer les électeurs sur les autres façons de voter et sur les services électoraux améliorés qui sont offerts. Cette mesure renforcera les services de première ligne offerts dans ces bureaux, et permettra ainsi aux électeurs juifs de poser des questions ou d’obtenir des renseignements lorsqu’ils n’ont pas d’obligations religieuses.

Sixièmement, en août, Élections Canada lancera une campagne d’information pour les électeurs juifs de tout le pays afin de les renseigner sur les autres façons de voter et sur les services électoraux améliorés. Élections Canada a travaillé avec des leaders de la communauté juive pour élaborer une trousse d’information à l’intention des électeurs, pour établir des canaux de communication et pour mettre au point les messages de la campagne d’information.

VI. Équilibre entre les droits mis en cause au titre de la Charte et les objectifs prévus par la Loi

La question sur laquelle je dois me prononcer consiste à déterminer si je devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire de recommander un changement de la date de l’élection à ce stade du cycle électoral. Pour ce faire, je dois considérer la meilleure façon de protéger les droits en cause garantis par la Charte à la lumière de mon mandat législatif, et trouver un équilibre entre le degré d’atteinte aux droits des juifs pratiquants et l’objectif législatif de tenir une élection équitable et accessible pour tous les Canadiens.

Une option qui m’est offerte pour protéger les droits des électeurs juifs pratiquants garantis par la Charte est de recommander au gouverneur en conseil le report de la date de l’élection au 28 octobre 2019.

Néanmoins, l’incidence d’un tel changement à ce stade du cycle électoral sur les droits de tous les Canadiens à une élection équitable et accessible pèse lourd dans la balance.

Il n’existe pas de date parfaite pour tenir une élection, surtout dans un pays aussi diversifié que le Canada. Il y aura toujours des Canadiens qui ne pourront pas voter le jour de l’élection. À la dernière élection, environ 4,3 millions d’électeurs (soit plus de 25 %) ont voté avant le jour de l’élection, soit à un bureau de vote par anticipation, soit par bulletin spécial. La plupart d’entre eux ont probablement choisi cette façon de voter pour des raisons d’ordre pratique ou de préférences. Néanmoins, pour de nombreux électeurs, il s’agissait de la seule option possible.

Je reconnais que la tenue de l’élection le 21 octobre signifie que les électeurs juifs pratiquants doivent voter d’une autre façon. Ils ont toutefois la possibilité réelle de participer au processus électoral. La Loi permet une grande souplesse pour adapter les services de vote aux besoins des électeurs qui rencontrent des obstacles, surtout si ces électeurs sont dans des régions géographiques précises, où il est possible d’établir des solutions adaptées à la situation locale, comme des points de service. Ainsi, dans l’exercice du mandat que me confère la Loi, je m’assurerai de protéger leur capacité de voter pendant la période électorale.

Je suis d’avis qu’Élections Canada pourra remplir son mandat et offrir aux électeurs juifs pratiquants une réelle possibilité de participer au processus électoral en proposant différentes façons de voter avant le jour de l’élection et en leur communiquant l’information à ce sujet.

Étant donné que les électeurs juifs pratiquants résident principalement dans certaines circonscriptions bien précises, il est plus facile pour les directeurs du scrutin, les agents de relations communautaires et les agents de liaison locaux d’élaborer, sous ma direction, un plan qui permettra à ces électeurs de voter aux bureaux de vote par anticipation ou par bulletin spécial. Je crois donc être en mesure de réduire les contraintes sur l’exercice de leur droit de vote en leur offrant d’autres façons de participer au processus électoral.

Inversement, il serait plus difficile de réduire l’incidence de la perte de bureaux de vote accessibles, familiers et à proximité de la résidence des électeurs par des activités de communication ciblées et la création de liens avec les électeurs de circonscriptions données. À mon avis, la perte de bureaux de vote aurait une incidence négative sur l’accessibilité du vote à l’échelle du pays.

Par ailleurs, changer la date de l’élection ne lèvera pas tous les obstacles rencontrés par les électeurs juifs lors de l’élection. Si la date est reportée, les nouveaux jours de vote par anticipation coïncideront également avec des fêtes juives.

Pour les raisons précitées, à ce stade du cycle électoral, le fait de recommander le changement de la date de l’élection pour répondre aux besoins des juifs pratiquants aurait une incidence négative sur la prestation de services de vote accessibles partout au Canada.

Je suis conscient des répercussions qu’aura, pour une candidate juive pratiquante, le fait de ne pas reporter la date de l’élection. Hormis le changement de la date de l’élection, aucune autre mesure ne peut être prise pour lui permettre réellement de s’acquitter de ses obligations religieuses et de faire concurrence aux candidats non pratiquants en toute égalité. Il s’agit d’une situation difficile qui touche directement aux valeurs fondamentales de notre démocratie. Je crois néanmoins que, compte tenu de l’intégralité du mandat que me confère la Loi et du stade avancé du cycle électoral, il ne serait pas dans l’intérêt public de recommander un changement de la date de l’élection générale. Je ne prends pas cette décision à la légère, mais dans le but d’offrir la plus vaste gamme possible de services de vote accessibles à l’ensemble de la population.

VII. Décision

Pour toutes les raisons énoncées ci-dessus, je ne recommanderai pas au gouverneur en conseil un jour de rechange pour la tenue de l’élection générale de 2019.

Je m’engage à continuer de collaborer avec les membres de la communauté juive pour leur offrir, dans le calendrier électoral actuel, des façons de voter optimales et pratiques qui respectent leurs croyances religieuses.