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Perspectives électorales – Les personnes handicapées et les élections

Perspectives électorales – Avril 2004

Accès des candidats handicapés au succès électoral au Canada
défis à relever et possibilités à saisir

April D'Aubin
Analyste de recherche, Conseil des Canadiens avec déficiences

Deborah Stienstra
Professeure et directrice, Programme de deuxième cycle en études des incapacités
Université du Manitoba

Au Canada, on ne voit guère de personnes handicapées participer aux processus électoraux. Sur les listes des candidats aux élections municipales, provinciales et fédérales, les personnes handicapées demeurent considérablement sous-représentées, tout particulièrement les personnes dont les limitations fonctionnelles nécessitent des mesures d'adaptation telles que des services d'interprètes gestuels, des médias substituts et d'autres types d'appui. Les historiens et les analystes de la politique canadienne ne font grand cas ni de la présence ni de l'absence des personnes handicapées. En outre, certains candidats et élus handicapés demeurent discrets, et leur déficience passe inaperçue. Cette sous-représentation est attribuable en partie à l'attitude négative du public envers les personnes handicapées, au manque de connaissances à l'égard des coûts associés à leur participation et de la contribution qu'elles peuvent apporter, de même qu'au manque de ressources à la disposition des candidats handicapés, notamment des mesures de soutien appropriées, des fonds suffisants et un accès adéquat aux occasions politiques. Le présent article traite de l'expérience qu'ont vécue divers candidats électoraux handicapés; il aborde à la fois les obstacles que doivent surmonter les personnes handicapées pour accéder à une charge publique et les solutions susceptibles de les aider à jouir des mêmes possibilités que les autres candidats dans le cadre des processus électoraux au Canada.

Plusieurs obstacles empêchent la participation totale et égale des personnes handicapées à la politique au Canada. En tant que groupe, les personnes handicapées sont pauvres et disposent d'un accès restreint à des mesures de soutien (biens et services permettant de surmonter les obstacles liés à une déficience). Bon nombre d'obstacles physiques existent toujours dans la société canadienne : les lieux publics inaccessibles sont courants. L'offre de documents en braille, d'autres types de médias substituts et de services d'interprétation gestuelle pour les personnes sourdes est limitée. Les attitudes stéréotypées à l'égard des capacités des personnes handicapées subsistent. On dispose de peu de renseignements sur les personnes handicapées ayant été élues à une charge publique au cours de l'histoire. On commence seulement à reconnaître une part des faits en ce qui a trait au président américain handicapé Franklin D. Rooseveltnote 1. Par conséquent, il y a peu de représentants élus aux échelons supérieurs auxquels les personnes handicapées puissent s'identifier.

Au Canada, les personnes handicapées qui se présentent à des élections, de même que les organismes formés de personnes handicapées œuvrant à la promotion de la citoyenneté active, contribuent à réduire l'invisibilité des personnes handicapées au sein du processus électoral.

Faire face aux obstacles à la participation dans le processus électoral


Franklin Delano Roosevelt a été président des États-Unis malgré un grave handicap. Après avoir été atteint de polio, il est devenu gouverneur de New York, puis président de 1933 à 1945. Pour des motifs politiques, il s'est efforcé de dissimuler la paralysie de ses jambes; il s'était d'ailleurs entendu avec la presse à ce sujet. Cette photo est l'une des deux seules connues où on le voit dans une chaise roulante.

Attitudes

En dépit des difficultés personnelles et des obstacles systémiques qui nuisent à leur participation au processus électoral, les personnes handicapées au Canada, tout comme dans d'autres pays, s'intéressent à la vie politique. En janvier 2004, le Parti libéral du Canada a supprimé un obstacle systémique auquel étaient confrontées les personnes handicapées : les candidats libéraux éventuels devaient indiquer, dans un formulaire de renseignements personnels, s'ils avaient déjà connu des problèmes de santé mentale. Le premier ministre Paul Martin a ordonné l'élimination de cette pratique et a présenté des excuses à l'Association canadienne pour la santé mentalenote 2.

Pour certains, il faut parfois plusieurs tentatives avant de remporter une élection. Percy Wickman d'Edmonton, qui se déplace en fauteuil roulant, a fait ses premières armes en politique à l'Institut de technologie du Nord de l'Alberta, où il s'est fait élire vice-président du conseil étudiant en utilisant le slogan « Wheel ahead with Wickman » (roulez de l'avant avec Wickman). Après avoir présenté sa candidature sans succès à trois reprises à l'élection du conseil municipal d'Edmonton, M. Wickman a été élu en 1977note 3. Il a siégé au conseil jusqu'en 1986.

Comme M. Wickman le souligne dans son autobiographie intitulée Wheels in the Fast Lane, des votes ont été perdus en raison de comportements discriminatoires :

« De toute évidence, cette fois semblait être la bonne; ils étaient nombreux à croire que j'allais remporter un siège. C'est alors que les gens se sont mis à jaser. “ Pourquoi élire une personne handicapée quand il y a tant de candidats en santé? ” “ S'il est élu, il ne représentera que les handicapés. ” J'ai certainement récolté quelques votes de sympathie, tout particulièrement de ceux qui ont senti ma détermination et mon ardent désir de faire ce travail. Mais un très grand nombre de votes ont été perdus parce qu'on craignait sans raison que j'allais être incapable d'effectuer un bon travail si j'étais élunote 4. »

Selon M. Wickman, à sa troisième victoire électorale, les électeurs s'intéressaient principalement à son rendement et non à sa déficience :

« Lorsque j'ai été élu pour un troisième et dernier mandat, mon fauteuil roulant n'a absolument pas influencé les résultats du scrutin. Les électeurs se sont fondés uniquement sur ma feuille de route et mes idées. Les personnes qui n'étaient pas d'accord avec moi n'hésitaient pas à me le communiquer. Celles qui s'étaient déjà laissées influencer, d'un côté ou de l'autre, par mes roues me voyaient dorénavant comme Percy Wickman, le conseiller municipal, et votaient pour la personne comme elles l'auraient fait pour tout autre candidat. J'avais prouvé que malgré ma déficience, j'étais capable de faire autant que les meilleurs. La dernière fois que j'ai présenté ma candidature, dans le cadre d'une campagne plutôt sobre, je suis arrivé en tête des suffrages dans mon propre quartier et je suis passé très près d'enregistrer le meilleur score de tous les candidatsnote 5. »

Après sa période en politique municipale, M. Wickman s'est présenté à l'élection de l'Assemblée législative de l'Alberta en 1989 sous la bannière du Parti libéral, et il a remporté un siège.

Malgré de nombreuses années de réforme du droit et d'efforts de sensibilisation à l'égard de la situation des personnes handicapées, les attitudes négatives manifestées à l'endroit de M. Wickman continuent de nuire aux candidats ayant des limitations fonctionnelles. Ross Eadie décrit franchement la discrimination dont il a été victime lorsqu'il s'est porté candidat à l'élection du conseil municipal de Winnipeg en 1998 :

« Ma déficience a causé quelques difficultés avec les électeurs et les partisans. Tout a commencé à la publication d'un dépliant dans lequel j'étais photographié; on ne voyait que mon visage et je portais des verres fumés. De nombreuses personnes ont téléphoné, demandant pour qui se prenait ce Ross Eadie.

« Mon directeur de campagne (maintenant devenu un bon ami) répondait à ces gens que j'étais aveugle. Nous ne saurons jamais si des votes nous ont échappé à cause de ces verres fumés… Une femme a téléphoné au bureau pour nous dire qu'elle n'avait pas l'intention de voter pour moi si cela devait entraîner une hausse de ses impôts. Je lui ai expliqué que je faisais la plupart de mon travail à l'aide d'un ordinateur doté d'une sortie vocale et que j'aurais besoin d'un peu d'aide pour me rendre aux réunions prévues ailleurs qu'à l'hôtel de ville, en raison d'un horaire chargé. Elle a répondu que sa décision était prise, qu'elle ne voterait pas pour moi pour ne pas avoir à payer pour l'achat d'un ordinateur. Je lui ai dit que chaque conseiller municipal recevait un ordinateur pour mener à bien son travail et que j'utiliserais le synthétiseur vocal que je possédais déjà. Elle a persisté en disant qu'elle ne voterait pas pour moi à cause du transport. Je ne me suis pas donné la peine de lui parler de la façon dont l'ancienne mairesse (Susan Thompson) faisait usage des moyens de transport payés par la ville. Je crois qu'elle était résolue à ne pas voter pour moi.

« Un autre homme ne m'a même pas écouté quand je suis arrivé à sa porte. Il est rentré dans la maison et en est ressorti avec de l'argent pour le gars aveugle. Je lui ai dit que je pouvais me servir de cet argent aux fins de la campagne, mais ce que je voulais vraiment, c'était son vote […]note 6. »

Il n'y a pas que les citoyens qui font preuve d'une attitude discriminatoire à l'endroit des candidats handicapés.

Des dirigeants communautaires ont également été influencés par les stéréotypes véhiculés sur les personnes ayant des limitations fonctionnelles. Le compte rendu présenté un soir d'élection au Manitoba a contribué à renforcer les stéréotypes concernant les capacités des personnes ayant une déficience visuelle. M. Eadie ajoute :

« J'ai finalement perdu par un vote de 46 % contre 54 %. À un moment donné, j'étais en tête de scrutin, et l'ancien maire de Winnipeg (Bill Norrie) a déclaré à la télévision de la CBC que j'étais un jeune homme très intelligent. Mais il a ajouté qu'il ne savait pas comment j'allais pouvoir me maintenir au même niveau que tout le monde compte tenu de toute la lecture qu'il fallait faire. À la radio, après l'élection, j'ai expliqué que le service de commis se débrouillait très bien pour obtenir les documents en format électroniquenote 7. »

M. Eadie est maintenant conseiller scolaire élu à Winnipeg.

Étant donné que les stéréotypes véhiculés sur les personnes handicapées sont très répandus, les candidats ayant des limitations fonctionnelles doivent tenir compte de l'incidence de leur déficience sur leur vie pour pouvoir faire face aux préjugés. Sam Savona, candidat du Nouveau Parti Démocratique (NPD) à l'élection fédérale de 1997, a fait les commentaires suivants lors d'une réunion générale des candidats :

« Je suis né atteint de paralysie cérébrale, un trouble neurologique. Comme vous pouvez l'entendre, j'ai des difficultés d'élocution et, comme vous pouvez le voir, je me déplace en fauteuil roulant. L'usage de mes mains est également limité. Mais la paralysie cérébrale n'affecte en rien mes capacités intellectuelles. Ces jours-ci, quand mes amis apprennent que j'entends me lancer en politique, ils s'interrogent sur ma santé mentalenote 8. »

Pour établir des liens avec les électeurs, les personnes handicapées, de même que les personnes non handicapées, doivent faire preuve d'un bon sens de l'humour et être disposées à rire d'elles-mêmes pendant la campagne électorale. Un grand nombre d'électeurs ont eu une réaction favorable à la candidature de M. Savona. Bien qu'il ait perdu l'élection, il est arrivé devant le candidat du Parti réformiste du Canada.

Accès inadéquat à des mesures de soutien pour les personnes handicapées

Les mesures de soutien sont essentielles pour permettre aux personnes handicapées de mener des activités qui favorisent la citoyenneté à part entière : aller à l'école, travailler, avoir une famille, s'adonner à des loisirs et redonner à la collectivité en faisant du bénévolat et en exerçant des fonctions officielles. Les personnes sourdes ont recours aux services d'interprètes gestuels. Pour d'autres, de l'équipement spécialisé ou des services d'auxiliaires leur permettent d'avoir une vie autonome.

L'expérience de Sam Sullivan, conseiller municipal de Vancouver, illustre bien à quel point les mesures de soutien peuvent influencer le cours des événements pour un candidat :


Sam Sullivan, qui en est maintenant à son quatrième mandat, siège au conseil municipal de Vancouver depuis plus longtemps que tous les autres conseillers actuels.

« Sam Sullivan, qui est devenu quadriplégique des suites d'un accident de ski au début de l'âge adulte, nécessitait deux fois par jour la visite à domicile d'un auxiliaire après sa réhabilitation. À l'époque, il en coûtait au régime de soins de santé de 50 $ à 75 $ par visite. M. Sullivan croyait qu'il pourrait être beaucoup plus autonome si seulement il disposait d'outils. Il a recruté un ingénieur à la retraite qui a accepté de l'aider à concevoir quelques appareils simples pour lui permettre de fonctionner chez lui. Après peu de temps, il n'a plus eu besoin de son auxiliaire qu'une seule fois par semaine, et Tetra (un organisme spécialisé dans la création de technologie d'aide) avait vu le jour. Dans le cas de M. Sullivan, qui n'est pas unique, les économies directes réalisées par le gouvernement, d'après un calcul fondé sur la modeste somme estimative de 50 $ par visite, s'élevaient à 33 800 $ par année (près d'un demi-million depuis). Jadis confiné à la maison, frustré et parfois même angoissé, Sam Sullivan est aujourd'hui un conseiller municipal dynamique à Vancouver qui, dans ses temps libres, fait du camping et de la voile et voyage partout dans le monde – et tout cela, sans l'aide d'un auxiliairenote 9. »

Mais ce n'est pas donné à tous de pouvoir remplacer l'aide reçue d'autres personnes par de l'équipement nécessitant une seule dépense.

Certaines personnes handicapées qui ont choisi de faire carrière dans la vie publique ont eu des difficultés à obtenir des fonds pour accéder aux mesures de soutien dont elles avaient besoin. Steven Fletcher, quadriplégique, prévoit se porter candidat à la prochaine élection fédérale dans la circonscription de Charleswood–St. James au Manitoba. M. Fletcher, qui a été victime d'un accident d'automobile, a débuté sa carrière publique lorsqu'il a été élu président de l'Association étudiante de l'Université du Manitoba. Durant son mandat, il a pu voyager pour affaires grâce à des mesures de soutien dont les coûts étaient assumés par la Société d'assurance publique du Manitoba (SAPM). En novembre 2001, M. Fletcher a été élu président du Parti progressiste-conservateur (PC) au Manitoba, un poste qui nécessitait également des déplacements. En 2002, la SAPM a décidé de ne plus défrayer M. Fletcher de ses dépenses liées aux soins auxiliaires lors de ses voyages d'affaires à l'extérieur de Winnipeg pour le PC. M. Fletcher a contesté en vain la décision de la SAPM auprès de la Commission d'appel des accidents de la route et de la Cour d'appel du Manitoba.

Tout comme certains employés handicapés requièrent des mesures de soutien pour effectuer leur travail, certains candidats ayant des limitations fonctionnelles doivent avoir accès à des mesures de soutien pour pouvoir fonctionner dans le contexte électoral. Par exemple, lorsque Ross Eadie s'est porté candidat pour devenir député à l'Assemblée législative du Manitoba, il a dû embaucher un guide et chauffeur pour l'aider à faire du porte-à-porte durant sa campagne. D'après M. Eadie, le gouvernement manitobain a assumé la totalité de ses dépenses électorales reliées à sa déficiencenote 10. La Loi sur le financement des campagnes électorales du Manitoba prévoit le remboursement des dépenses associées aux mesures de soutien pour les personnes handicapées.

Les candidats se voient donc rembourser la totalité des dépenses raisonnables qu'ils ont engagées en raison de leur déficience pour pouvoir faire campagne durant la période électoralenote 11.

Les lois électorales du Canada et de la Colombie-Britannique permettent aux personnes handicapées d'inclure dans les « dépenses personnelles » d'un budget de campagne électorale les coûts liés aux mesures d'adaptation. La Loi électorale du Canada [alinéas 409(1)c) et d)] contient des dispositions relatives aux mesures d'adaptation touchant à la fois les candidats handicapés et les candidats qui ont la garde d'une personne handicapée. En effet, la Loi permet d'inclure dans les dépenses personnelles d'un candidat tant les dépenses entraînées au titre des soins fournis par le candidat que les dépenses liées à la déficience du candidat. En Ontario, les coûts associés à l'accessibilité sont exclus du plafond des dépenses imposé aux candidats. Afin d'aider les candidats handicapés, Élections Canada pourrait soutenir la poursuite des recherches en vue de favoriser de nouvelles mesures législatives semblables dans l'ensemble du pays, à tous les niveaux du processus électoral.

Des difficultés comme celles qu'ont rencontrées Sam Sullivan et Steven Fletcher illustrent les obstacles additionnels auxquels se butent les personnes qui ont recours à des mesures de soutien. Il est plus difficile pour ces Canadiens de s'engager en vue d'exercer une charge élue. Un problème très concret subsiste : comment une personne ayant recours à des mesures de soutien peut-elle réussir à faire campagne compte tenu de ses besoins coûteux? Les candidats non handicapés ne sont pas confrontés à ce problème. Le coût des mesures de soutien peut décourager un grand nombre de personnes handicapées de se porter candidates à une charge publique.

Au Canada, le milieu des personnes handicapées œuvre en faveur de l'adoption d'un plan national de mesures de soutien qui offrirait aux personnes handicapées l'accès à des mesures de soutien tout au long de leur vie. Un tel plan prévoirait des engagements de la part des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, de manière à offrir des services comparables partout au Canada et ainsi garantir aux personnes ayant des limitations fonctionnelles une liberté de circulation et d'établissementnote 12. Si un tel plan était mis en œuvre, il permettrait aux candidats handicapés d'obtenir les mesures de soutien dont ils ont besoin pour mener à bien une campagne électorale.

Accès au vote


Lors d'une élection fédérale, les bureaux de vote par anticipation sont ouverts les 10e, 9e et 7e jours avant le jour d'élection.

Les statistiques de l'élection générale fédérale de 2000 illustrent l'utilisation faite par les Canadiens des services disponibles.

  • Près de 13 millions de Canadiens ont voté lors de l'élection générale du 27 novembre 2000.
  • Près de 192 000 électeurs ont utilisé le bulletin de vote spécial pour voter par la poste ou en personne au bureau de leur directeur du scrutin.
  • Un accès de plain-pied était offert dans 99,5 % des 17 340 bureaux de scrutin utilisés le jour d'élection. Des certificats de transfert ont permis aux électeurs handicapés d'utiliser d'autres bureaux de scrutin munis d'un accès de plain-pied si le leur n'en avait pas.
  • Les directeurs du scrutin ont modifié 239 lieux de scrutin en y ajoutant des rampes pour assurer l'accès de plain-pied à plus de 1 100 bureaux de vote par anticipation et bureaux de scrutin du jour d'élection. Ainsi, l'ensemble des bureaux de vote par anticipation étaient munis d'un accès de plain-pied.
  • Plus de 63 000 électeurs se sont inscrits ou ont mis à jour les renseignements les concernant sur les listes électorales aux bureaux de vote par anticipation.
  • Des bureaux de scrutin itinérants ont été installés dans plus de 2 500 établissements pour personnes âgées ou handicapées.
  • Près de 6 500 électeurs hospitalisés se sont inscrits et ont voté.
  • Élections Canada a répondu à plus de 1 100 appels reçus par ATS (téléscripteur) de la part de personnes sourdes ou malentendantes.

Absence de modèles


Jean Chrétien, ancien premier ministre du Canada, et Lucien Bouchard, ancien premier ministre du Québec, lors d'une rencontre en 1998 sur la Colline du Parlement.

Les personnes handicapées qui envisagent de se porter candidates à une charge publique ont peu de modèles de qui s'inspirer. Même des représentants élus qui ont une déficience, tels que l'ancien premier ministre du Canada Jean Chrétien et l'ancien premier ministre du Québec Lucien Bouchard, ne s'identifient pas nécessairement comme des personnes handicapées. L'absence de modèles touche plus particulièrement les personnes qui ne font pas partie du mouvement organisé de défense des droits des personnes handicapées. En effet, les gens qui ne sont pas affiliés à un groupe de personnes handicapées n'ont pas toujours accès aux bulletins et autobiographies relatant l'histoire de politiciens handicapés. Sam Savona s'est inspiré du succès de son ami Gary Malkowski, atteint de surdité, qui a siégé à l'Assemblée législative de l'Ontario sous la bannière du NPD de 1990 à 1995. La participation de M. Savona à la campagne électorale fédérale de 1997 a incité une étudiante atteinte de paralysie cérébrale à briguer la présidence de son conseil étudiantnote 13.

En tendant la main aux personnes handicapées, les partis politiques contribuent à atténuer l'effet dissuasif qu'entraînent l'absence de modèles et le nombre restreint de personnes handicapées qui ont dans le passé cherché à exercer une charge publique. Sam Savona s'est mis à songer à la vie politique lorsqu'un militant du NPD fédéral s'est adressé au regroupement des personnes handicapées du NPD pour savoir qui était intéressé à se présenter à l'élection suivante. Répondant à cette offre, M. Savona s'est consacré sans relâche à sa candidature.

Atteint de surdité, le militant Gary Malkowski a pu trouver au sein d'un parti politique une personne serviable qui était disposée à devenir son mentor. Il décrit son expérience dans les termes suivants :

« Avant d'être élu député à l'Assemblée législative de l'Ontario (et d'être ensuite battu à l'élection suivante), je n'avais jamais été membre d'un parti politique […]. Je me suis lié d'amitié avec un député de l'Assemblée législative. Il m'a aidé à établir des relations avec le bureau provincial du parti et l'association de comté, qui m'ont appuyé, en tant que candidat handicapé/sourd, dans mon projet de remporter un siège provincial. Je me suis porté candidat pour le NPD dans la circonscription de York East […]note 14. »

La présence d'un regroupement de personnes handicapées au sein d'un parti politique peut certainement aider à faire connaître les problèmes auxquels les personnes handicapées font face et les encourager à se porter candidates. Les partis pourraient également créer un fonds spécial pour inciter les personnes ayant des limitations fonctionnelles à présenter leur candidature, ou bien créer un fonds à vocation plus large pour aider toute la gamme des groupes sous-représentés. Ce fonds pourrait être conçu sur le modèle du fonds spécial pour les femmes candidates dont disposent plusieurs partis.

Des lieux inaccessibles

L'environnement bâti continue de présenter des obstacles pour les personnes handicapées. Des candidats ayant diverses limitations fonctionnelles considèrent que de nombreux immeubles ne répondent pas aux normes universelles en matière de construction. Ils doivent donc faire preuve d'imagination pour transmettre leurs messages aux électeurs. Sam Savona a concentré ses efforts sur les grands immeubles d'appartements équipés d'un ascenseur et les stations de métro. Bien que cette méthode soit réalisable dans une vaste région métropolitaine comme celle de Toronto, les candidats handicapés qui font campagne en région rurale doivent élaborer d'autres tactiques. Une femme autochtone ayant une déficience visuelle qui se portait candidate à l'élection du chef de son conseil de bande a pu faire campagne et se déplacer à l'intérieur de sa communauté grâce à l'aide de sa famille et de partisans.

Les organismes formés de personnes handicapées : une voix qui est la nôtre

Afin de pouvoir s'exprimer dans les débats de politique publique au Canada aux échelons local, provincial et national, les personnes handicapées ont formé des organismes représentatifs de leur groupe. Ces organismes doivent faire preuve de vigilance pour garantir le respect des droits électoraux des personnes handicapées ainsi que pour encourager et appuyer celles qui choisissent de se lancer dans la course électorale.

Ces organismes mettent les candidats électoraux au défi de s'engager vis-àvis des problèmes auxquels font face les personnes handicapées. Ils renseignent les citoyens sur la marche à suivre pour assister aux réunions générales des candidats et sur la façon d'aborder ceux qui se présentent à leur porte, pour les informer au sujet des enjeux touchant les personnes handicapées. Aux échelons local et provincial, les groupes de personnes handicapées organisent des assemblées communautaires et offrent aux candidats la possibilité de discuter de ces enjeux dans le cadre d'un forum public. Ces organismes ont également déposé des plaintes relatives aux droits de la personne pour remédier à la discrimination engendrée par le fait que certains bureaux de scrutin soient situés dans des immeubles inaccessibles. Des groupes de personnes handicapées ont participé à des projets de réforme du droit et à des procédures judiciaires dans le but d'éliminer la discrimination dans les lois qui régissent les processus électoraux canadiens.

Malgré tous les efforts déployés pour veiller à ce qu'aucune personne handicapée ne fasse l'objet de discrimination aux bureaux de scrutin, des problèmes subsistent. Lorsqu'un incident survient, les organismes s'assurent de rendre l'affaire publique et, sur demande, ils aident les personnes handicapées à porter plainte relativement à la discrimination dont elles ont été victimes. En 2000, le Conseil des Canadiens avec déficiences (CCD) a formulé la recommandation suivante : « Puisqu'une élection fédérale ne se déroule jamais sans que nous n'entendions parler, au CCD, de directeurs du scrutin qui ne réussissent pas très bien à traiter avec les électeurs handicapés, Élections Canada devrait peut-être songer à investir dans l'embauche d'agents de formation provenant de notre communauté. Des électeurs aveugles nous ont raconté que, lorsque des directeurs du scrutin se sont adressés à leur accompagnateur plutôt qu'à eux, ils sont devenus tellement furieux qu'ils en ont presque oublié pour qui ils étaient venus voternote 15. »


Les manuels de formation d'Élections Canada apprennent au personnel des bureaux de scrutin comment aider les électeurs handicapés d'une manière respectueuse.

Depuis 2000, Élections Canada a amélioré la formation qu'il offre à ses directeurs du scrutin et à d'autres administrateurs d'élections pour les sensibiliser aux besoins différents des personnes handicapées. Son nouveau programme de formation comprend davantage d'information sur la prestation de services aux électeurs ayant des limitations fonctionnelles. Les manuels de formation des directeurs du scrutin et des préposés au scrutin contiennent des sections portant expressément sur les moyens de répondre aux besoins spéciaux de certains électeurs, et une vidéo offre de l'information détaillée sur l'accessibilité du système électoral fédéral. Le CCD préconise que des agents de formation qualifiés handicapés offrent ce genre de formation sensibilisatrice.

Les organismes de personnes handicapées encouragent également les simples citoyens à se présenter aux élections en faisant connaître les expériences vécues par des représentants élus handicapés au moyen de bulletins et par l'entremise de réseaux internationaux d'information comme l'Organisation mondiale des personnes handicapées (OMPH). Ross Eadie affirme que les organismes de personnes handicapées l'ont encouragé à jouer un rôle plus actif dans le processus électoral :

« Autonomie 92, à Vancouver, a regroupé en un même lieu des personnes handicapées des quatre coins du monde. (Un congrès mondial de l'OMPH avait lieu durant Autonomie 92, une conférence internationale.) Nos porte-parole ont invité les personnes handicapées à se lancer en politique et à faire partie du gouvernement. Nos porte-parole ont expliqué en détail comment nous avions milité, marché et sensibilisé le public pour faire valoir les capacités des personnes handicapées, et combien il nous reste encore à faire pour changer la société. Ils ont affirmé que nous n'étions pas encore assez nombreux au sein des gouvernements pour vraiment influencer le cours des événements. Ils ont ajouté que, pour changer les choses, il fallait absolument que l'un des nôtres soit au cœur du processus décisionnel. Je brûlais d'enthousiasme à l'idée de contribuer à l'évolution de l'histoire, de faire ma part… Les politiciens ont indiqué qu'ils comprenaient, mais ils ne prendront pas les mesures énergiques nécessaires pour changer les choses. J'en suis venu à la conclusion que le seul moyen d'y arriver est de devenir un des leurs et de faire pressionnote 16. »

Conclusion

Au Canada, au moins un citoyen sur huit affirme avoir une déficience et un grand nombre de personnes procurent une aide à des parents ou amis qui sont handicapés. Ces gens constituent une proportion importante de la population canadienne. Bien que certains partis politiques consacrent un minimum d'efforts à la prise de contact avec les personnes handicapées et bien que l'on reconnaisse au moins à un certain point la nécessité de prendre des mesures d'adaptation pour aider les candidats handicapés, il reste beaucoup à faire. Le discours public et politique doit s'intéresser davantage aux candidats handicapés et à la mesure dans laquelle leur participation améliorera le processus d'élaboration des politiques publiques en le rendant plus ouvert aux caractéristiques réelles de la population canadienne. Une telle discussion aidera un plus grand nombre de personnes handicapées à comprendre en quoi leur participation au processus électoral est nécessaire, et cette participation permettra de changer l'attitude du public à l'égard des candidats ayant des limitations fonctionnelles. Pour uniformiser les règles du jeu et offrir des chances égales à tous, il importe que davantage de régimes prévoient le remboursement des dépenses liées à une déficience encourues durant une campagne électorale. Grâce à des mesures de soutien adéquates, à un nombre accru de modèles d'identification ainsi qu'à des structures politiques et électorales favorables, les personnes handicapées changeront la conception voulant que les gens ayant des limitations fonctionnelles ne peuvent contribuer à la politique électorale. En fait, leur présence en tant que représentants élus leur permettra même de changer le paysage et le langage de la politique au Canada.

Notes

note 1 Hugh Gregory Gallagher, FDR's Splendid Deception: the moving story of Roosevelt's massive disability – and the intense effort to conceal it from the public, New York, Dodd, Mead and Company, 1985.

note 2 Jane Taber, « Mercer puts Copps on the spot », The Globe and Mail, 24 janvier 2004, p. A9.

note 3 Percy Wickman, Wheels in the Fast Lane … a blessing in disguise, Edmonton, Triwicky Enterprises, 1987, p. 68-70.

note 4 Percy Wickman, Wheels in the Fast Lane … a blessing in disguise, Edmonton, Triwicky Enterprises, 1987, p. 71.

note 5 Percy Wickman, Wheels in the Fast Lane … a blessing in disguise, Edmonton, Triwicky Enterprises, 1987, p. 72-73.

note 6 Ross Eadie, « A Politician Wanna Be », The Canadian Blind Monitor, été 2000, p. 27 (www.nfbae.ca/publications/cbm_old/cbm_12.txt).

note 7 Ross Eadie, « A Politician Wanna Be », The Canadian Blind Monitor, été 2000, p. 28.

note 8 John Feld, « Sam Savona What a Candidate! What a Campaign », Abilities, automne 1997, p. 14.

note 9 Loraine Taneja, « Reducing Barriers to Customized Assistive Technology », travaux du Center on Disabilities : Technology and Persons with Disabilities Conference de 2002, accessibles à http:/www.csun.edu/cod/conf/2002/proceedings/143.htm.

note 10 Ross Eadie, « A Politician Wanna Be », The Canadian Blind Monitor, été 2000, p. 29.

note 11 La Loi sur le financement des campagnes électorales, codification administrative, 9 février 2003, chapitre E32, alinéa 72(3)a).

note 12 Conseil des Canadiens avec déficiences, A Framework for a National Disability Supports Plan, février 2003.

note 13 John Feld, « Sam Savona What a Candidate! What a Campaign », Abilities, automne 1997, p. 14.

note 14 Gary Malkowski, « Running in the Federal Election », L'Observateur électoral, vol. 1, n° 2, 25 avril 1997.

note 15 Conseil des Canadiens avec déficiences, Horror Gazette, vol. 4, n° 5, 13 décembre 2000.

note 16 Ross Eadie, « A Politician Wanna Be », The Canadian Blind Monitor' été 2000, p. 26.

Note : 

Les opinions exprimées par les auteurs ne reflètent pas nécessairement celles du directeur général des élections du Canada.