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Perspectives électorales – Le redécoupage des circonscriptions électorales fédérales

Perspectives électorales – Octobre 2002

La communauté d'intérêts et la représentation des minorités : le dilemme auquel sont confrontées les commissions de délimitation des circonscriptions électorales

La communauté d'intérêts et la représentation des minorités : le dilemme auquel sont confrontées les commissions de délimitation des circonscriptions électorales

Professeure Jennifer Smith
Département de science politique,
Université Dalhousie

Comment peut-on concilier le principe d'égalité des électeurs avec celui de la communauté d'intérêts dans la délimitation des circonscriptions électorales?

Nous comprenons tous la notion d'égalité des électeurs voulant que le vote d'un citoyen ait la même valeur que celui d'un autre. La communauté d'intérêts est, par contre, un concept élastique. Les intérêts économiques, l'identité historique, l'identité fondée sur le mode de vie ou les mœurs sont autant d'éléments invoqués pour justifier des déviations par rapport au principe de l'égalité des électeurs. La portée du concept est manifestement mal définie. Toutes les collectivités ont des intérêts, surtout économiques, et même les collectivités les plus nouvelles auront un jour une identité historique. En somme, il est nécessaire d'élaborer un concept de communauté d'intérêts plus précis, plus étoffé et mieux accepté. Au lieu, des éléments supplémentaires viennent se greffer à cet amalgame – comme la représentation des minorités, dont il est question ici.

Règles de base

La Constitution canadienne stipule que la répartition des sièges de la Chambre des communes doit être régie par le principe de « la représentation proportionnelle des provinces » : chaque province a droit à un nombre de sièges proportionnel au pourcentage de la population qui y habite. Le principe de la représentation selon la population repose sur la notion d'égalité qui suppose logiquement qu'il est souhaitable, sinon nécessaire, que les circonscriptions aient sensiblement le même nombre d'électeurs. Toutefois, l'inférence de l'égalité des électeurs ne suscite pas une adhésion sans équivoque. En ce qui concerne le redécoupage des circonscriptions, les législateurs canadiens n'ont pas fait preuve d'un enthousiasme sans bornes dans la promotion du principe de l'égalité des électeurs. Ils ont plutôt eu tendance à privilégier des facteurs inverses tels que la communauté d'intérêts et les particularités géographiques. C'est pourquoi le régime législatif actuel a recours à la notion de variance.

Selon le modèle de variance tel que nous l'entendons, le Parlement établit l'ampleur des écarts permis par rapport à l'égalité des électeurs, puis indique les facteurs qui peuvent justifier ces écarts. Le Parlement enjoint les commissions de délimitation des circonscriptions électorales fédérales de viser l'égalité de la population dans les circonscriptions, tout en leur demandant de prendre en considération des facteurs non démographiques comme la communauté d'intérêts, l'historique de la communauté et la géographie. Pour faire place à ces facteurs, les commissions sont autorisées à s'écarter de la population moyenne des circonscriptions (c.-à-d. du quotient électoral) par 25 % en plus ou en moins, excepté dans des circonstances « exceptionnelles » non définies, où l'écart permis par rapport à la moyenne de la population n'est pas limité. Comme un écart de 25 % au-dessus et au-dessous de la moyenne correspond en fait à une plage de 50 %, le modèle fédéral laisse beaucoup de latitude dans la prise en considération de facteurs non démographiques.

Les commissions de délimitation des circonscriptions doivent respecter des contraintes fixées par l'appareil judiciaire aussi bien que par l'appareil législatif. Selon les tribunaux, la définition du droit de vote exige « l'égalité relative du poids du vote ». Dans l'affaire Dixon, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a conclu que si l'égalité est fondamentale à la conception canadienne du droit de vote, l'égalité absolue ou exacte, en revanche, ne l'est pas. Mme McLachlin (qui était à l'époque juge en chef) a affirmé que les déviations par rapport à l'égalité des électeurs sont permises, mais « ces dérogations ne peuvent être admises que si elles permettent de mieux gouverner l'ensemble de la population, compte tenu du poids des questions d'ordre régional au sein de cette population et des facteurs géographiques propres au territoire gouverné note 1 ». [Traduction] Mais dans sa décision suivante sur le redécoupage des circonscriptions (affaire Carter), la juge McLachlin, siégeant alors à la Cour suprême du Canada, a défini le concept du droit de vote par rapport à la poursuite de la « représentation effective ». Elle a affirmé que « le droit de vote garanti à l'article 3 n'a pas pour objet l'égalité du pouvoir électoral comme telle, mais le droit à une " représentation effective note 2 ". » Elle a ensuite souligné que la parité relative du pouvoir des électeurs est une condition primordiale de la représentation effective mais que la parité doit être conditionnée au besoin par des facteurs comme les caractéristiques géographiques, l'histoire et les intérêts de la collectivité, et la représentation des groupes minoritaires note 3.

La notion de communauté d'intérêts, qui n'est pas une notion particulièrement rigoureuse, est souvent invoquée pour défendre le maintien des circonscriptions telles quelles. Il n'est pas absurde de maintenir les circonscriptions existantes : on renforce ainsi la notion de « communauté » telle qu'elle a évolué au fil du temps et au gré des événements. C'est là une notion très anglaise, très burkienne. L'idée de délimitation selon l'identité d'un groupe suppose, par contre, une représentation sociologique, un élément nouveau et différent qui mérite qu'on s'y attarde. C'est d'ailleurs ce que le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre des communes a fait en 1994. Le comité a examiné les différentes façons de définir la communauté d'intérêts : il y a, d'une part, une façon conservatrice qui tient compte des limites existantes, des frontières naturelles, des caractéristiques géographiques ainsi que des questions de transport et de communication, et d'autre part, une approche plus vaste qui traite en plus des facteurs sociologiques. Le comité a fini par adopter la définition conservatrice en soutenant qu'une référence explicite aux facteurs sociologiques conduirait obligatoirement à l'établissement de circonscriptions de groupes minoritaires et favoriserait de ce fait une politique d'intolérance note 4.

Bien que le rapport du comité ait été mis au rancart, le fait que l'on ait cherché à définir le concept de communauté d'intérêts témoigne de son importance. S'il n'est pas clairement défini, il ouvre la voie aux espoirs et aux rêves de tout un chacun, mais crée aussi des cauchemars pour les membres des commissions de délimitation des circonscriptions. Comment peut-on évaluer la validité de l'utilisation d'un concept au regard d'une carte électorale? En d'autres termes, en quoi consiste une justification pertinente du recours à la notion de communauté d'intérêts?

Circonscriptions après le redécoupage - Canada 308

Justification des déviations par rapport à la parité des électeurs pour favoriser la communauté d'intérêts

Pour les commissions de délimitation des circonscriptions, la leçon à tirer de la jurisprudence de la Charte concernant la délimitation des circonscriptions est qu'elles doivent justifier leurs décisions. En effet, des individus ou des groupes qui ne sont pas satisfaits de la façon dont les commissions ont tracé une carte électorale donnée peuvent la contester devant les tribunaux. De ce fait, les commissaires, qui pouvaient auparavant taire les raisons de leurs décisions relatives à la délimitation des circonscriptions, se sentent maintenant obligés de les exposer au grand jour.

La question de la justification se révèle quelque peu problématique. Jusqu'à maintenant, il semble que l'importance accordée par les tribunaux à la justification a mis fin à l'ancienne pratique de redécoupage tenant seulement compte de la tradition et d'un calcul partisan, et d'aucune autre norme. Il est à croire que le cas MacKinnon note 5 de l'Île-du-Prince-Édouard en 1993 ne se reproduira pas : le gouvernement provincial avait dû chercher des arguments pour défendre une carte électorale qui était restée pratiquement inchangée pendant 100 ans. Malgré tout, certaines commissions de délimitation des circonscriptions ont encore l'habitude de ne pas mettre par écrit les motifs de leurs décisions. La carte électorale de l'Alberta qui a été contestée en 1993 dans l'affaire Reference re Electoral Divisions Statutes Amendment Act comportait si peu de justification écrite que la Cour d'appel a écrit : « Nous ne savons pas exactement pourquoi de nombreux écarts ont été ainsi permis. Il fallait, dans ce cas, une justification pour chacune des circonscriptions. Il n'y en avait pas note 6 ». [Traduction]

Outre les cas où il y a absence de justification, il y a aussi la question de la pertinence de la justification, qui est particulièrement délicate quand on utilise des expressions passe-partout comme « communauté d'intérêts ». Enfin, il faut aussi se pencher sur l'ampleur des écarts justifiés par la communauté d'intérêts, à l'intérieur même des limites permises par la loi – par exemple selon la règle des 25 %. Est-ce que tout écart inférieur à la variance définie est acceptable de prime abord? Heureusement, il y a aussi de la jurisprudence à cet égard à l'Île-du-Prince-Édouard. La carte électorale vieille d'un siècle mentionnée plus haut a été simplement rejetée dans l'affaire MacKinnon. La proposition faite subséquemment par la province a été formulée par l'Assemblée législative, qui a utilisé la variance de 25 % en plus ou en moins du quotient électoral par circonscription. Le texte législatif qui sous-tend la nouvelle carte prescrit le recours à une commission de délimitation des circonscriptions lors des révisions ultérieures et enjoint cette commission de tenir compte des éléments habituels dans la révision des limites, à savoir, les caractéristiques géographiques; les tendances démographiques; la communauté d'intérêts; les limites municipales et les autres facteurs qu'elle juge pertinents. Ainsi, le modèle élaboré en vue des révisions ultérieures est une version du modèle fédéral note 7. Cependant, la nouvelle carte élaborée par l'Assemblée législative n'était pas accompagnée d'un rapport pour expliquer et justifier le travail effectué. Quand Charlottetown et quelques plus petites communautés avoisinantes ont contesté la carte devant les tribunaux, les conseillers juridiques du gouvernement ont dû préparer une réponse justificative à l'intention des auteurs du recours. Ces derniers soutenaient que les 27 circonscriptions, dont l'écart variait de 21,10 % au-dessus de la population moyenne à 19,28 % en dessous, ne respectaient pas la norme de la parité relative des électeurs, que les régions rurales étaient surreprésentées comparativement aux régions urbaines et que les circonscriptions n'étaient pas conformes aux nouvelles frontières de Charlottetown et de Summerside, décrites comme des communautés d'intérêts note 8.

L'affirmation que ces deux municipalités constituaient des communautés d'intérêts n'était qu'un argument secondaire. Ce qui dérangeait réellement les auteurs du recours était que la carte électorale n'observait pas le principe de la parité des électeurs : les régions rurales étaient surreprésentées au détriment des régions urbaines. Le gouvernement a concédé la question de la surreprésentation mais il a présenté tout un éventail d'arguments pour la défendre, notamment en invoquant une communauté d'intérêts relative à la région rurale de Kings County, citant des indicateurs statistiques pour démontrer que le comté est une région distincte et désavantagée de la province. Cependant, le juge en chef MacDonald ne l'a pas entendu de cette oreille.

Le comble de l'ironie est que le juge en chef MacDonald a confirmé la carte tout en réfutant les arguments présentés pour défendre la surreprésentation des circonscriptions rurales, alors que celle-ci constituait la cause première des écarts démographiques entre les circonscriptions. Il a mis en question la décision de l'Île-du-Prince-Édouard de permettre un écart de 25 %, demandant si une variance inférieure, comme 10 %, ne serait pas plus appropriée. Il n'est pas nécessaire d'explorer les raisons pour lesquelles il a avancé ce chiffre précis; ce qui importe plutôt est son opinion sur ce qui constitue une raison valide pour un écart important du principe de l'égalité des électeurs, opinion qu'il a émise en discutant de la densité. Le gouvernement avait prétendu que les circonscriptions devraient être denses et que la densité exige forcément une certaine latitude par rapport aux chiffres. Le juge en chef MacDonald a riposté que la densité est un idéal qui ne doit pas être poursuivi aux dépens de l'égalité des électeurs – à l'exception cependant de la circonscription d'Évangéline—Miscouche, où vit la plus grande partie de la communauté acadienne de l'île. Sur la carte existante, les électeurs acadiens sont fusionnés avec un plus petit nombre d'électeurs anglophones, et il a estimé que cette fusion n'était pas nécessaire : « il n'y a aucune raison de ne pas accorder un statut spécial à cette circonscription et lui permettre de descendre sous les 25 %. Ainsi, la population acadienne aurait sa propre circonscription et la population anglophone d'Évangéline—Miscouche pourrait être rattachée à une circonscription anglophone note 9. » [Traduction] Il a ajouté que même les auteurs du recours étaient disposés à voir Évangéline—Miscouche déroger au principe de la parité des électeurs.

Il convient de tirer au clair ce qui s'est produit, surtout du fait que la cour d'appel a majoritairement adopté la même position à cet égard et a maintenu la décision portée en appel note 10. D'abord, l'explication de la déviation par rapport à la parité électorale n'a été donnée qu'après coup – de nouveau – et les tribunaux ne l'ont pas trouvée convaincante. En second lieu, les tribunaux ont indiqué clairement qu'une communauté culturelle minoritaire qui est géographiquement dense peut correspondre à une communauté d'intérêts. Dans ce modèle, la minorité est une communauté d'intérêts et, à ce titre, il y a une raison valable de s'écarter du principe de l'égalité des électeurs. Mais il y a aussi un autre modèle, ce qui nous amène à parler de la Nouvelle-Écosse.

Définitions législatives de la communauté d'intérêts

En Nouvelle-Écosse, l'Assemblée législative a établi des directives sur la prise en compte des minorités dans le redécoupage électoral. Au fédéral par contre, le Parlement ne transmet aucune directive à cet égard mais laisse plutôt aux commissions le soin d'évaluer la question de la communauté d'intérêts. On serait donc porté à croire que le cas de la Nouvelle-Écosse n'est pas pertinent au champ fédéral, or il l'est, en raison de la façon dont l'Assemblée législative a attiré l'attention sur la représentation des groupes minoritaires – créant de ce fait un précédent – et l'a conceptualisée.

En 1991, un comité de l'Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse a défini le mandat de la première commission indépendante de délimitation des circonscriptions de la province. Dans son rapport, qui a été publié après l'affaire Carter, ce comité a affirmé que la parité relative du pouvoir électoral qui est assurée par des circonscriptions constituées d'un nombre à peu près égal d'électeurs est un facteur « primaire » d'une « extrême importance » pour garantir le droit à une représentation effective, et que les déviations par rapport à la parité des électeurs ne sont tolérables que si l'on peut démontrer qu'elles aident à mieux gouverner l'ensemble de la population. Il a aussi énuméré cinq autres facteurs primaires qui peuvent être pertinents à la représentation effective : la géographie; l'histoire locale; la communauté d'intérêts; les projections relatives au taux de croissance de la population; et la représentation des minorités note 11. Pour ce qui est de la représentation des minorités, il a chargé la commission de délimitation des circonscriptions de solliciter « l'avis, l'appui et la coopération » des représentants des communautés afro-canadienne, acadienne et mi'kmaq. Enfin, le comité a refusé d'établir une règle de variance, insistant que la commission « ne devait pas être régie par un facteur de déviation démographique prédéterminé ou par une répartition prédéterminée entre les circonscriptions urbaines et rurales note 12».

Puisque l'Assemblée législative a accepté le rapport du comité dans sa totalité, la commission de délimitation des circonscriptions devait relever le défi de produire une carte électorale provinciale conforme aux exigences de l'Assemblée législative en matière de représentation des groupes minoritaires ainsi qu'à ses consignes concernant l'extrême importance de la parité relative du pouvoir électoral. Pour ce faire, la commission a conçu un modèle du « droit à l'attribution d'un siège » devant servir en même temps que le concept de « circonscription protégée ». Les détails de ce modèle et de ce concept figurent dans le rapport de la commission note 13. En bref, le modèle de droit produit une carte électorale entièrement fondée sur le principe de l'égalité des électeurs. Il indique le nombre de circonscriptions auquel chaque région de la province « a droit » en fonction de sa population. Cela étant fait, la commission s'est penchée sur les facteurs non démographiques prévus dans son mandat.

Comme nous l'avons déjà vu, l'Assemblée législative a attaché une grande importance à la représentation de collectivités minoritaires particulières. La commission devait déterminer 1) les régions de la province, s'il en existe, qui se distinguent par leur communauté d'intérêts et leur histoire, par la représentation de communautés minoritaires au sein de leur population ou par leur isolement géographique; et 2) le degré auquel la population de ces régions a besoin de protection sous forme de circonscriptions distinctes ou de petite taille, ou peut être effectivement protégée de cette façon. Il n'est pas toujours facile d'en juger. D'ailleurs, si des membres d'une collectivité donnée sont dispersés dans toute la province, il est difficile de répondre à leurs besoins de représentation dans le cadre d'un régime électoral axé sur le territoire. La situation de la collectivité noire de la Nouvelle-Écosse en est un exemple, puisque ses membres élisent domicile partout dans la province. Néanmoins, un grand nombre d'entre eux vivent dans diverses petites collectivités de la région de Preston, où la commission a décidé de créer une circonscription protégée. Bien que la population de cette nouvelle circonscription ne représente que la moitié de la population moyenne des circonscriptions non protégées, les collectivités noires ne constituaient encore que le tiers de sa population totale. Ainsi, on ne peut pas vraiment désigner cette circonscription comme la « circonscription des Noirs ». D'autre part, les études sur la concurrence entre les candidats de différents partis politiques dans des circonscriptions uninominales indiquent qu'un pourcentage de cet ordre est suffisant pour que les membres d'une collectivité minoritaire aient de bonnes chances d'élire un des leurs. Cette éventualité s'est d'ailleurs concrétisée quand la circonscription de Preston a élu le premier député noir de l'Assemblée législative lors du scrutin selon la nouvelle carte électorale.

Il reste la question du lien entre les circonscriptions protégées et le modèle de droit. La commission de délimitation des circonscriptions a créé cinq circonscriptions protégées : trois dans des régions acadiennes de la province, une dans la région de Preston et la cinquième dans une partie peu peuplée de la région rurale du Cap-Breton. Puisqu'il y avait au total 52 sièges à l'Assemblée législative, la décision de s'écarter de la parité relative des électeurs dans les cinq circonscriptions protégées a entraîné d'inévitables conséquences en ce qui concerne la population moyenne ou le droit de la population des autres circonscriptions. Dans un souci de transparence absolue à ce sujet, la commission a décidé d'omettre complètement les circonscriptions protégées du calcul du droit de la population des 47 circonscriptions restantes. En l'occurrence, le droit rajusté supposait une augmentation de 5 % de la population requise, par rapport à une carte électorale qui n'aurait pas renfermé de circonscriptions protégées. Cette différence de 5 % était en quelque sorte le « prix » que les résidents des 47 circonscriptions devaient payer pour que ceux des circonscriptions de petite taille aient une représentation effective. Il s'agissait d'un prix que la législature avait jugé – et continue de juger – adéquat et publiquement acceptable.

La province effectue en ce moment une nouvelle révision des limites des circonscriptions. En novembre 2001, un comité de l'Assemblée législative a examiné le mandat de la commission de délimitation des circonscriptions et a décidé d'accorder la même importance à la représentation des minorités. Comme auparavant, elle a considéré l'égalité des électeurs comme le premier « facteur primaire » de la représentation, suivi de la géographie; de l'histoire locale; de la communauté d'intérêts; et de la représentation des minorités, en particulier des Acadiens et des Noirs de la province. Cependant, son modèle est désormais plus proche du modèle fédéral et comporte une règle de variance de 25 %. Il lie aussi la représentation des minorités à la notion des circonstances exceptionnelles : « la commission de délimitation des circonscriptions provinciales doit être régie par le principe général qu'une circonscription ne devrait pas dévier de 25 % en plus ou en moins que le nombre moyen d'électeurs par circonscription, sauf dans des cas exceptionnels. Les circonstances exceptionnelles s'entendent de la volonté de favoriser la représentation des minorités acadienne et noire de la Nouvelle-Écosse note 14 ». [Traduction]

Conclusion

L'expérience des deux provinces atlantiques laisse aux membres des commissions de délimitation des circonscriptions fédérales deux points à considérer au sujet de la communauté d'intérêts. Le premier concerne le poids des précédents créés. Pour une seconde fois, l'Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse a formulé des directives claires sur la représentation des minorités que la commission de délimitation des circonscriptions devra encore une fois mettre en application. Il y a ensuite le raisonnement des tribunaux de l'Île-du-Prince-Édouard voulant que la représentation des minorités soit un exemple évident de communauté d'intérêts pertinente.

Le second point se rapporte à l'élaboration des différentes méthodes pour conceptualiser la représentation des minorités. Une des méthodes considère une minorité comme une communauté d'intérêts en soi. Il s'agit de l'interprétation donnée par les tribunaux de l'Île-du-Prince-Édouard : certains juges ont suggéré que la communauté d'intérêts d'une minorité est la seule raison valable pour s'écarter de la parité électorale. D'ailleurs, même le juge dissident de la Cour d'appel a affirmé qu'il ne voyait aucune bonne raison pour que la population soit si inégale entre les différentes circonscriptions de la province, à l'exception d'Évangéline—Miscouche. Il a ajouté que c'est le type de circonscription pour laquelle il n'y a aucune limite quant à l'ampleur de la déviation permise, pourvu qu'elle soit nécessaire à une représentation plus effective note 15. L'autre méthode pour conceptualiser la représentation des minorités est celle adoptée par le comité de l'Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse. Elle consiste à catégoriser la représentation des minorités comme une circonstance exceptionnelle, ce qui rappelle la règle fédérale permettant à des commissions de délimitation de dépasser la variance de 25 % dans des circonstances exceptionnelles et celle de la Colombie-Britannique qui le fait dans des circonstances « spéciales ».

Ces modèles sont-ils analytiquement distincts les uns des autres? On peut soutenir qu'ils le sont. Si la représentation des minorités est conçue comme une communauté d'intérêts, alors elle doit se mesurer à toutes les autres notions de communauté d'intérêts. Cependant, on peut supposer qu'elle le ferait fort bien, simplement parce qu'une revendication alléguant une cohésion liée à une dimension importante de la vie – l'identité culturelle – semble plus convaincante, par exemple, qu'une communauté d'intérêts axée sur les modes de transport. D'autre part, si on considère la représentation des minorités comme une circonstance spéciale ou exceptionnelle, on la transpose alors sur un autre plan conceptuel. Elle devient une catégorie complètement distincte et, en conséquence, peu commune. Étant donné le cadre de référence dans lequel ils doivent travailler, notamment le concept indéfini de communauté d'intérêts, les membres des commissions de délimitation des circonscriptions fédérales peuvent aussi bien, face aux revendications de représentation des minorités, décider qu'il s'agit d'une communauté d'intérêts ou d'une circonstance exceptionnelle. Une chose est certaine, les revendications fondées sur la représentation des minorités ne sont pas en voie de disparaître.


NOTES

Note 1 Dixon c. British Columbia (A.G.), (1989) 59 D.L.R. (4th), 267. Il est important de souligner que la juge McLachlin a inclus l'idée de déviation justifiable dans son concept de droit de vote en vertu de l'article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés. Cela ressort clairement dans sa discussion de la relation entre l'article 3 et l'article 1 qui permet aux gouvernements d'imposer des limites raisonnables aux droits si la justification de ces limites peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. Elle a écrit « que tout citoyen a droit à un vote égal sous réserve uniquement d'exceptions qui se justifient parce qu'elles permettent de mieux gouverner compte tenu des questions régionales ou des facteurs géographiques. La question au regard de l'article 1 est de savoir si la dérogation à la norme est raisonnable et peut se justifier dans le cadre d'une société libre et démocratique. En d'autres mots, est-ce que des écarts démographiques qui ne peuvent être justifiés par des motifs précités peuvent être confirmés en vertu de l'article 1 de la Charte? » [Traduction] Ibid., 270.

Note 2 Reference Re Provincial Electoral Boundaries (Sask.) (1991) 81 D.L.R. (4th), 35.

Note 3 Ibid., 39.

Note 4 Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Rapport, 25 novembre 1994, 33 : p. 5-11.

Note 5 MacKinnon c. Prince Edward Island (1993), 101 D.L.R. (4th), 362.

Note 6 Reference re Electoral Divisions Statutes Amendment Act, 1993 (Alberta) (1994), 119 D.L.R. (4th), 14.

Note 7 Electoral Boundaries Act, Stats. P.E.I. 1994, c. 13.

Note 8 Charlottetown (City) et al. c. Prince Edward Island et al. (1996), 150, T.-N et Î.-P.-É., R., 98-99.

Note 9 Ibid., 101.

Note 10 Charlottetown (City) et al. c. Prince Edward Island et al. (1998), 169 T.-N et Î.-P.-É., R., 188; 521 A.P.R. 188. La décision rendue par la Cour d'appel a été portée en appel devant la Cour suprême du Canada, qui a refusé d'entendre l'affaire.

Note 11 La commission a examiné, en consultation avec les dirigeants de la communauté mi'kmaq, l'idée d'une circonscription réservée aux Mi'kmaq – comme l'en a chargée l'Assemblée législative. Cependant, les Mi'kmaq ne sont pas parvenus à un consensus sur la meilleure façon de mettre en place une telle circonscription. L'Assemblée législative a toutefois décidé de reconnaître un 53e siège appartenant aux Mi'kmaq et les a invités à s'en prévaloir.

Note 12 Ibid., p. 7.

Note 13 Nouvelle-Écosse, Provincial Electoral Boundaries Commission, Effective Political Representation in Nova Scotia: The 1992 Report of the Provincial Electoral Boundaries Commission, mars 1992, p. 20-30.

Note 14 Provincial Electoral Boundaries Commission, Information Package (trousse de renseignements), mars 2002 (www.nspebc.ca/index.html).

Note 15 Charlottetown, 1998, p. 213.


Note : 

Les opinions exprimées par les auteurs ne reflètent pas nécessairement celles du directeur général des élections du Canada.