open Menu secondaire

La participation électorale des électeurs handicapés : analyse comparative des pratiques canadiennes

Note au lecteur

Le présent rapport a été rédigé par Michael Prince, de l'Université de Victoria, pour Élections Canada. Les observations et les conclusions qui s'y trouvent sont celles de l'auteur.

Résumé

Le présent rapport répond à trois questions : quels obstacles les personnes ayant un handicap physique ou mental doivent-elles surmonter lorsqu'elles essaient de voter?; quelles réformes divers pays (et, au Canada, les provinces) ont-ils implantées depuis 2000 afin de réduire ou d'éliminer les obstacles au vote des personnes handicapées?; plus précisément, quels services, soutiens, lois et normes les gouvernements ont-ils introduits pour améliorer l'accès au vote des électeurs handicapés? Le présent rapport porte précisément sur le droit de vote, et non sur le droit d'association aux fins d'activisme ou le droit à l'éligibilité. Cinq pays ont été examinés : l'Australie, le Canada, le Royaume-Uni, les États-Unis et la Nouvelle-Zélande. Au Canada, les ordres de gouvernement fédéral, provincial et territorial sont étudiés.

La participation électorale présente trois dimensions. La première est le contexte formé des politiques, des décisions des tribunaux, des lois et des interventions des groupes de défense des personnes handicapées; ce contexte représente une réalité indépendante. La deuxième dimension correspond aux pratiques des organismes de gestion des élections, dont les méthodes de vote employées, particulièrement celles conçues pour venir en aide aux électeurs handicapés. Enfin, la troisième facette de la participation électorale reflète les électeurs eux-mêmes, et les personnes et groupes (parents, amis, autres) qui font partie de leur réseau de soutien immédiat.

La participation électorale englobe donc un vaste ensemble de règles, de techniques, de procédures, de niveaux d'interaction et de réseaux de relations. Il en ressort, comme approche à adopter, une combinaison de trois perspectives : d'abord celle de l'administration électorale, ensuite celle des électeurs et de leur contexte de vie de tous les jours, et enfin les conditions générales que forment les attitudes du grand public, les politiques publiques, la législation et le rôle des organisations de la société civile. Beaucoup de commissions électorales dans les pays démocratiques mettent, pour leur part, l'accent sur l'amélioration de l'accessibilité du processus d'inscription et de vote.

Par la voie des tribunaux, du lobbying ou d'autres moyens démocratiques, des groupes de défense des personnes handicapées au Canada, en Australie, au Royaume-Uni, aux États-Unis et ailleurs ont tâché d'éliminer les obstacles évidents à la participation électorale et d'améliorer l'administration des élections et du processus électoral. Les campagnes électorales sont une occasion opportune pour ces groupes de mettre à l'essai les garanties d'égalité et d'accessibilité promises par les lois; de diffuser de l'information sur, notamment, les enjeux concernant les personnes handicapées; de mettre en valeur certaines recommandations et solutions; de faire pression auprès des candidats et des partis politiques; et de sensibiliser les médias et, par leur entremise, les électeurs et la population en général. De nombreuses améliorations à l'administration des scrutins et aux processus électoraux ont été apportées au Canada et ailleurs dans le monde pour favoriser la participation des électeurs handicapés. Les diverses pratiques prometteuses adoptées à cette fin méritent d'être étudiées par les gouvernements qui ne les offrent pas encore.

On présume souvent que « l'idéal », en matière de participation électorale, peut s'exprimer ainsi : l'électeur vote en personne dans un bureau de scrutin, sans aide, confidentiellement, le jour de l'élection, quels que soient ses besoins ou handicaps. Cette image traduit sans doute plusieurs valeurs précieuses, mais elle peut donner l'impression qu'il existe une seule bonne façon de voter, ou projeter un idéal universel abstrait, désincarné et éloigné des réalités humaines d'une grande diversité. Or, cette projection risque de voiler les circonstances vécus par de nombreux citoyens handicapés et les obstacles qu'ils doivent surmonter. Il faut donc faire preuve de prudence avant de conclure que certaines pratiques sont exemplaires, puisqu'une même solution ne s'appliquera pas toujours avantageusement quand on considère la complexité, la diversité et l'évolution continue des systèmes et pratiques électoraux et des contextes politiques de par le monde.

La plupart des pays du monde retirent le droit de vote en cas d'incapacité mentale. Ainsi, aux États-Unis, les personnes sous tutelle en raison d'un handicap mental ou cognitif peuvent être automatiquement privé du droit de vote. En Australie et en Nouvelle-Zélande, les personnes ayant un handicap mental attestées par un certificat médical se voient souvent refuser le vote. Des réformes législatives ont été apportées au Royaume-Uni pour protéger les droits des personnes ayant des troubles d'apprentissage ou un handicap intellectuel, mais des cas d'exclusion se produisent encore. En fait, le Canada est un des rares pays où la loi ne prévoit aucune exclusion au motif d'incompétence mentale.

D'autres obstacles continuent par ailleurs d'entraver la participation électorale des électeurs handicapés dans tous les pays étudiés, comme le démontrent les études citées dans le présent rapport, qui révèlent dans tous les pays et systèmes électoraux une sous-représentation des électeurs handicapés parmi les votants. Ces obstacles ne sont pas attribuables exclusivement, ni même majoritairement, aux handicaps des personnes elles-mêmes, tout comme l'accessibilité du système électoral ne se résume pas à la disponibilité de diverses méthodes de vote. L'accès concret des personnes handicapées au processus électoral dépend en effet de plusieurs facteurs, comme les politiques publiques et le contexte social. Les réformes apportées en ce sens devront donc commencer à porter davantage sur la vie des personnes handicapées et le rôle que certains acteurs de la société civile ont à jouer pour faciliter l'engagement civique.

Fait fondamental, on a constaté au terme de la présente recherche que différentes visions de l'incapacité coexistent au cœur des règles, des procédures, des pratiques et des systèmes électoraux. En effet, le régime électoral au Canada et dans d'autres démocraties développées incorpore trois visions distinctes de l'invalidité : l'approche individualiste et biomédicale, l'approche fonctionnelle et l'approche sociale. Chacun de ces modèles implique des solutions différentes. Ces dernières décennies, les commissions électorales et les gouvernements ont apporté des changements aux processus électoraux, élargi la gamme des méthodes de vote offertes aux électeurs handicapés et pris des mesures à l'appui de l'engagement civique. Dans l'ensemble, ces changements traduisent une nouvelle combinaison de visions : l'approche individuelle et médicale de l'incapacité est délaissée au profit du modèle fonctionnel et social.

Différents types de handicaps sont pris en ligne de compte par ces réformes électorales : handicap permanent, maladie grave ou infirmité; mobilité réduite; trouble d'audition; déficience visuelle; et tout autre handicap chronique ou épisodique, visible ou non.

Le lecteur trouvera dans le présent rapport des recommandations concernant la suppression des obstacles au vote des personnes handicapées et la communication avec ce groupe d'électeurs. Les mesures recommandées favoriseraient la participation efficace des personnes handicapées à la vie politique et publique, notamment leur taux de vote, dans une perspective d'égalité avec les autres citoyens canadiens.

Dans ce contexte, il est recommandé à Élections Canada d'examiner toutes ses politiques et procédures électorales, ainsi que toutes ses règles et pratiques administratives, à la lumière des principes, articles et obligations contenus dans la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées. Élections Canada devrait instaurer un programme de sensibilisation des travailleurs électoraux à la situation des électeurs handicapés, afin de corriger les préconceptions, de combattre les stéréotypes et de mieux faire comprendre les droits énoncés dans la Convention – autant de façons d'améliorer les services. Élections Canada devrait aussi demander aux termes de la loi l'autorisation de produire des rapports sur le degré d'accessibilité des bureaux de scrutin, l'équipement et les technologies utilisés aux fins de l'accessibilité, et la disponibilité des documents en format accessible.

Par ailleurs, Élections Canada devrait consulter les grands partis politiques nationaux sur l'éventualité de recourir à des guides d'information ou d'autres outils de façon à ce que tous les débats entre candidats soient accessibles (emplacement, annonces, signalisation et services d'aide). Élections Canada devrait aussi envisager de resserrer ses liens avec les organisations nationales de défense des personnes handicapées, notamment par la mise à contribution des électeurs handicapés lors des bilans postélectoraux, des évaluations des pratiques ou expériences électorales, et de la détermination des lacunes et priorités en matière d'accessibilité. Ces échanges pourraient se faire par l'entremise d'un groupe consultatif sur les personnes handicapées auprès d'Élections Canada.