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Un code de conduite ou d'éthique pour les partis politiques : Un outil qui permettrait de renforcer la démocratie électorale au Canada?

2. CONTEXTE

Les partis politiques ont toujours subi des pressions pour modifier leur structure organisationnelle et leurs pratiques opérationnelles en fonction des changements qui surviennent :

  • dans la société, y compris l'évolution de l'opinion publique;
  • dans l'économie, y compris les nouvelles technologies;
  • dans le système politique, y compris les nouvelles dynamiques et les modes de course afin de bien s'en tirer aux élections.

Au début du XXIe siècle, les moteurs du changement semblent avoir des répercussions plus importantes et plus profondes sur la façon dont les partis politiques mènent leurs activités. Ainsi, le cadre de réglementation officiel et les attentes informelles en matière d'éthique sont susceptibles d'être mis à l'épreuve et de nécessiter des mises à jour continuelles. Par contrainte d'espace, il faudra se contenter de quatre courts exemples pour illustrer ces propos.

Premièrement, il y a l'évolution de l'attitude de la population à l'égard des partis politiques. De nos jours, les partis politiques et les politiciens n'ont plus aussi bonne réputation qu'on le souhaiterait. Selon un sondage d'opinion mené en 2011, parmi tous les intervenants du processus électoral, les partis politiques fédéraux sont ceux qui inspirent le moins confiance, 56 % des répondants ayant affirmé qu'ils leur inspiraient peu, voire pas du tout confiance. À l'opposé, il en est ressorti qu'Élections Canada était l'institution la plus digne de confiance, 80 % des répondants ayant affirmé qu'ils avaient assez ou beaucoup confiance dans l'organismenote 1. Il sera important d'en tenir compte lorsqu'il sera question plus tard de la possibilité qu'un code renforce la confiance du public à l'égard des partis politiques, ainsi que de l'intégrité du processus électoral et politique en général.

Deuxièmement, il y a l'évolution fondamentale et constante des technologies informatiques, qui ont entraîné et permis de nouvelles méthodes de campagne pour les gens qui briguent une charge publique fédérale ou locale. Les technologies informatiques sont de plus en plus utilisées par Élections Canada pour offrir des services électoraux, et par les partis politiques pour informer et convaincre les électeurs. Toutefois, l'évolution constante de ces technologies ouvre la porte aux dérogations aux règles électorales ou aux gestes discutables sur le plan éthique. La controverse récente causée par la communication aux électeurs de messages automatisés trompeurs témoigne de l'incidence que peuvent avoir les nouvelles technologies, qui sont susceptibles d'évoluer plus rapidement qu'il est possible d'adapter le cadre légal de la Loi électorale du Canada. À la suite de cette controverse, un ensemble de dispositions régissant le recours aux services de communication avec les électeurs a été ajouté dans le projet de loi C-23, Loi sur l'intégrité des élections, que le Parlement a adopté en 2014.

Troisièmement, il y a la nature continuellement changeante du processus de campagne. Des premières décennies d'existence du pays jusqu'au milieu du XXe siècle, les batailles électorales se jouaient surtout à l'échelle locale, et les équipes de campagne étaient constituées de bénévoles. Graduellement, les campagnes ont pris une ampleur nationale, leur orientation et leur contenu ont été centralisés, et de plus en plus de professionnels ont été engagés. De plus, on s'est mis à utiliser un arsenal changeant de techniques d'enquête sur l'opinion publique et, à l'aide de ces données, on a élaboré des stratégies de communication de plus en plus sophistiquées pour transmettre des messages partisans à des segments particuliers de l'électorat. Tous les partis ont commencé à faire de la « recherche sur l'opposition » afin de cerner les faiblesses de leurs rivaux.

Quatrièmement, il y a le financement politique des campagnes. Pendant le XXe siècle, le coût des campagnes a augmenté, et le financement est devenu un domaine de compétition important entre les partis. Cette tendance a mené à un renforcement des lois sur la collecte et l'utilisation des fonds pour affaiblir l'influence indue des donateurs fortunés et favoriser un soutien financier plus général aux partis et aux candidats de la part de tous les citoyens. Les règles sur le financement des campagnes ont fait l'objet d'importants changements en 1974 et en 2004 (Mowrey et Pelletier, 2002; Spano, 2006). En 2004, les règles sur le financement ont été appliquées aux courses à la direction et aux associations de parti locales en plus des partis et des candidats. Dans le cadre de ces mêmes changements, les contributions des sociétés et des syndicats ont été limitées à 1 000 $, et, en 2007, les contributions des organisations ont été abolies complètement et un système d'allocations trimestrielles est entré en vigueur. Ces allocations tirées des fonds publics étaient versées aux partis politiques enregistrés selon le nombre de votes reçus lors de l'élection précédente. En juin 2011, dans son document budgétaire, le gouvernement a annoncé que les allocations trimestrielles versées aux partis politiques seraient graduellement éliminées, un processus qui sera mené à terme en 2015 (Jansen et Young, 2011).

Conformément à la Loi électorale du Canada, Élections Canada est l'organisme indépendant et non partisan chargé de conduire le processus électoral fédéral. En plus d'administrer les élections, l'organisme offre des services d'information et de soutien aux partis, aux candidats et aux électeurs (Thomas et Gibson, 2014).

Depuis sa création en 1920, le Bureau du directeur général des élections est responsable des fonctions d'administration et de soutien liées aux élections, ainsi que de l'administration des dispositions de réglementation et de conformité contenues dans la Loi.

En 1974, le Bureau du commissaire aux élections fédérales a été créé, sa responsabilité consistant à appliquer les dispositions de la Loi portant sur le financement politique. En 1977, les pouvoirs du commissaire en matière de conformité et d'application ont été élargis de façon à inclure toutes les dispositions réglementaires de la Loi.

Même si ce bureau faisait partie d'Élections Canada, il menait ses activités de façon autonome, avait son propre budget et sa propre équipe, et décidait en toute liberté s'il y avait lieu d'enquêter et d'engager des poursuites devant les tribunaux. Lors de son adoption en 2006, la Loi fédérale sur la responsabilité a restreint les pouvoirs du commissaire en lui permettant seulement de recommander au directeur des poursuites pénales, qui relève du ministère de la Justice, que des poursuites soient intentées.

Cette structure a changé à la suite des modifications que le Parlement a apportées en 2014 à la Loi électorale du Canada, par l'entremise de la controversée Loi sur l'intégrité des élections. En raison de cette nouvelle loi, qui est mise en œuvre actuellement, le Bureau du commissaire aux élections fédérales a été transféré au Bureau du directeur des poursuites pénales, qui fait partie du ministère de la Justice. Comme il est mentionné plus bas, la fin de ce modèle unifié qui réunissait toutes les fonctions de gestion électorale au sein d'un même organisme complique l'adoption d'un code de conduite ou d'éthique.

Lors du débat sur la Loi sur l'intégrité des élections, on s'est aussi posé la question de savoir si Élections Canada devrait être mieux outillé pour assurer la tenue d'élections libres et équitables dans les nouvelles circonstances décrites ci-dessus. Élections Canada s'est toujours appuyé sur les prescriptions détaillées de la Loi électorale du Canada, qui prévoit certaines interdictions. Pour assurer la conformité aux règles, l'organisme devait négocier avec les partis et les candidats et, lorsque ceux-ci refusaient de se conformer volontairement, des poursuites pouvaient être engagées devant les tribunaux pour infraction à la Loi.

La Loi sur l'intégrité des élections a accru les pouvoirs de l'organisme. Par exemple, Élections Canada peut désormais fournir des interprétations et des opinions sur les nouvelles techniques de campagne. Toutefois, les dispositions prédominantes de la Loi électorale du Canada, telle que révisée, demeurent formelles, normatives et rigides dans la mesure où elles restreignent la capacité d'Élections Canada de recourir à des approches novatrices pour assurer l'intégrité électorale dans un environnement plus complexe et dynamique.

Un code de conduite ou d'éthique pour les partis politiques est un autre moyen de réglementation qui pourrait favoriser l'intégrité du processus électoral. Des organismes internationaux, comme l'Organisation de coopération et de développement économiques et la Banque mondiale, ont encouragé l'adoption de codes pour lutter contre la corruption politique et établir une saine gouvernance. L'Institut international pour la démocratie et l'assistance électorale, un groupe de réflexion international, a présenté le Code de conduite pour les partis politiques se présentant à des élections démocratiques comme modèle. Il s'agit d'« un ensemble de règles encadrant la conduite des partis politiques et de leurs sympathisants durant une campagne électorale, règles sur lesquelles les partis en viennent idéalement à s'entendre de leur plein gré et qui peuvent subséquemment être incorporées dans une loi »note 2.

Un certain nombre de nouvelles démocraties ont adopté des codes de conduite par voie législative (des exemples de pays et des liens vers leur code se trouvent à l'annexe A). Parmi les démocraties bien établies, où la corruption grave n'est pas courante et où les normes d'intégrité dans le processus électoral sont généralement plus élevées, la pression n'est pas aussi forte pour adopter des codes encadrant la conduite des intervenants en politique. On a plutôt supposé que les partis adopteraient leurs propres règles et que le processus politique réglerait les cas d'inconduite en empêchant les partis et les candidats délinquants d'accéder à des charges publiques. Certains partis ont spontanément adopté un code de conduite pour leurs membres, sans l'intervention d'un organisme électoral. Dans le contexte canadien, le Parti Vert du Canada, le Parti libéral du Québec et la Progressive Conservative Association of Alberta l'ont fait. Peut-être y en a-t-il d'autres, mais nos recherches en ligne n'ont pas permis de les trouver.

La plupart des démocraties occidentales cherchent à prévenir, à détecter et à corriger les situations de conflit d'intérêts, où des titulaires de charge publique, des politiciens et des fonctionnaires agissent dans des intérêts personnels (de nature financière, notamment) plutôt que dans l'intérêt public. Au Canada, aussi bien la Chambre des communes que le Sénat, et toutes les assemblées législatives provinciales et territoriales ont adopté une loi ou un code sur les conflits d'intérêts, qui fait partie de leur règlement dans la plupart des cas. De plus, des commissaires aux conflits d'intérêts sont nommés pour surveiller l'application de ces codes et pour traiter les plaintes.

Il convient de noter que le commissaire responsable de la Chambre des communes et du Cabinet porte le titre de commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique, ce qui signifie qu'il a pour mandat de traiter, outre les questions juridiques liées aux conflits d'intérêts, les questions générales d'éthique politique touchant les titulaires de charge publique.

En 1989, l'Ontario a été la première des provinces à se doter d'une loi sur les conflits d'intérêts. En 1994, cette loi a été remplacée par la Loi sur l'intégrité des députés, et en 2010, cette dernière a été modifiée pour élargir la gamme d'activités visées et les pouvoirs du commissaire.

Selon l'endroit, les commissaires peuvent soit imposer des sanctions légales, soit présenter des recommandations à l'assemblée législative ou au premier ministre s'il est prouvé qu'il y a conflit d'intérêts. À l'heure où les politiciens suscitent la méfiance, il est possible que la population n'ait pas autant confiance en des mesures correctives prises par la classe politique qu'en des conséquences imposées par un représentant impartial de l'assemblée législative ou par les tribunaux, en cas d'inconduite.

Aux fins de la présente discussion, il est important de noter que les règles sur les conflits d'intérêts visent à encadrer les activités des législateurs et des ministres afin d'empêcher que l'exercice de leur charge publique ne mène à des gains personnels inappropriés pour eux-mêmes ou bien pour leurs parents et amis. Elles n'ont pas le même but qu'un code applicable en cas d'inconduite par les partis, les candidats et leurs partisans.

Au Canada, l'idée d'assujettir les partis politiques et leurs partisans à un code de conduite en période électorale n'a été que peu débattue, et il n'y a que le Manitoba qui a effectivement adopté un tel code, dont il est question ci-dessous.

En 1991, au niveau fédéral, la Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis (Commission Lortie) a recommandé dans un vaste rapport que les partis adoptent des codes d'éthique, car on déplorait que « les partis soient peu portés à revoir leurs pratiques lorsque surviennent des incidents ou des allégations de comportements répréhensibles »note 3. Cette commission a recommandé que chaque parti enregistré soit tenu d'adopter un code et d'établir un comité d'éthique qui ferait la promotion de ce code et en assurerait le respect. Le code recommandé ne s'appliquerait qu'à la période de campagne officielle. La commission a exposé ses arguments en faveur d'un tel code en six pages d'analyse. Ces arguments allaient dans le même sens qu'un rapport de recherche générale préparée par Janet Hiebert et que les discussions tenues lors d'un symposium sur l'éthique en politiquenote 4. Le gouvernement n'a pas retenu ces recommandations, et le Parlement n'y a pas donné suite.

En avril 2004, un tel code a aussi été envisagé en Colombie-Britannique par le comité consultatif sur les élections des représentants de partis, constitué par Elections British Columbia. Le directeur général des élections de cette province a soulevé la possibilité d'établir un code pour répondre aux préoccupations d'ordre éthique de la population. Il a été convenu que les chefs des partis fourniraient, avant l'élection générale de 2005, le nom d'une personne chargée de régler les problèmes d'ordre éthique. Il a aussi été convenu de réexaminer la possibilité d'établir un code de conduite après l'élection générale de 2005. Toutefois, cette idée n'a jamais été adoptée dans la province.

Au Canada, il n'y a que le Manitoba qui a actuellement un code. Tous les partis ont adopté de plein gré le Code partagé de conduite morale, à la suite d'une recommandation issue d'une enquête judiciaire sur le scandale de trucage des votes lors de l'élection provinciale de 1995. Élections Manitoba a joué un rôle clé en élaborant le code et en obtenant l'engagement de tous les partis. L'organisme a élaboré un projet de code, qui a été soumis aux partis. Le code proposé a ensuite été révisé à la lumière de leurs commentaires. Une fois le code approuvé par un ou deux partis, les autres ont été pressés de l'approuver également. Le code est entré en vigueur par étape, à mesure que chaque parti politique adhérait à ses dispositions. En acceptant de souscrire au code, tous les partis et un large éventail d'autres intervenants du processus électoral et politique en général se sont engagés à agir de façon à maintenir et à renforcer « la confiance du public par rapport à l'intégrité du processus électoral »note 5.

Plusieurs passages du code manitobain (voir l'annexe B) laissent entendre qu'il ne s'applique pas uniquement au processus de campagne, mais aussi au processus politique en général. On pourrait en déduire que les rédacteurs du code estimaient futile de distinguer les périodes de campagne des autres périodes, à une époque où l'on est constamment en campagne. Le passage du Manitoba aux élections à date fixe (les élections ont aussi lieu à date fixe au niveau fédéral, de même que dans la plupart des provinces et territoires à l'exception de la Nouvelle-Écosse, du Nunavut et du Yukon) a amené les partis à démarrer leur campagne avant le début de la période de campagne officielle afin d'esquiver certaines restrictions des lois électorales qui s'appliquent en période de campagne officielle.

Le code du Manitoba est administré et mis en application par les partis, qui n'ont aucun compte public à rendre sur la façon dont ils sensibilisent leurs membres à ses dispositions, traitent les plaintes et interviennent à la suite d'infractions. Il semble que les effets du code, positifs ou négatifs, sur le système politique au Manitoba n'ont jamais été évalués.

Récemment, la possibilité d'un code est revenue sur la table au niveau fédéral. Dans son rapport au Parlement sur l'administration des élections, le directeur général des élections du Canada ne traite pas uniquement de la conformité à la loi, mais aussi des principes généraux d'intégrité électorale. Après la controverse et l'enquête entourant les appels automatisés effectués pendant l'élection générale de 2011, il a mentionné la possibilité d'établir un code dans son rapport Prévenir les communications trompeuses avec les électeurs, publié en mars 2013. L'idée avait été recommandée par un groupe d'experts consultés pendant la préparation de ce rapport (Élections Canada, 2013, p. 7).

La recommandation du directeur général des élections au Parlement est la suivante : « [Il] faudrait envisager l'élaboration de codes de conduite à l'intention des partis politiques, de leurs représentants, des candidats et d'autres entités ayant une appartenance politique, telles que les associations de circonscription et les partisans actifs. Ces codes seraient élaborés par les partis, avec l'aide d'Élections Canada si nécessaire. » (Élections Canada, 2013, p. 32)

Ce bref survol comparatif des débats qui ont déjà eu lieu sur l'adoption d'un code de conduite pour les partis politiques indique qu'il s'agit d'une mesure controversée qui suscitera sans doute une certaine opposition, surtout parmi les partis politiques, leurs chefs et leurs partisans. Cette controverse prouve qu'un tel code comporterait aussi bien des avantages que des coûts et des inconvénients. La prochaine section porte sur ces questions en général, et les suivantes, sur les caractéristiques opérationnelles d'un code qui influenceront son acceptation ou son rejet.


Note 1 Les institutions étaient Élections Canada, le système judiciaire, les candidats locaux et les partis politiques fédéraux. Voir www.elections.ca/content.aspx?section=res&dir=cons/sece&document=p8&lang=f.

Note 2 Institut international pour la démocratie et l'assistance électorale. Code de conduite pour les partis politiques se présentant à des élections démocratiques, 1999, p. 7.

Note 3 Canada. Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis. 1991. Pour une démocratie électorale renouvelée : Rapport final, vol. 1, Ottawa, Groupe Communication Canada, p. 296.

Note 4 Hiebert, Janet, dir. 1991. L'éthique et la politique au Canada, vol. 12 de la collection d'études de la Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis, Toronto, Dundurn Press.

Note 5 Élections Manitoba, Code partagé de conduite morale, 1999.