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Un code de conduite ou d'éthique pour les partis politiques : Un outil qui permettrait de renforcer la démocratie électorale au Canada?

8. MISE EN ŒUVRE ET APPLICATION D'UN CODE

L'adoption concrète d'un code n'est pas une mince affaire. Sans plan de mise en œuvre et d'application efficace, le code pourrait être un document symbolique permettant de rassurer le public quant au caractère légal et éthique des partis politiques, mais il aurait probablement peu d'incidence sur la conduite réelle des acteurs politiques.

Il y a de nombreuses questions d'ordre pratique à considérer dans l'élaboration d'un code efficace. La façon dont le code est élaboré aura des répercussions sur le niveau de sensibilisation, de compréhension et d'appui des partis politiques, des intervenants à différents niveaux au sein de chaque parti, des médias et de l'ensemble des citoyens.

Un code sur l'éthique en politique pourrait constituer un instrument plus culturel que juridique. Des données recueillies dans d'autres contextes semblent montrer qu'il peut être crucial que les chefs de parti sanctionnent, promeuvent, soutiennent et adoptent des comportements exemplaires afin qu'un tel code aille au-delà des mots.

La clarté et l'uniformité des objectifs du code détermineront la mesure dans laquelle il est compris et accepté, de même que la capacité de mesurer son efficacité.

Les ressources consacrées à la communication des objectifs et du contenu du code influeront sur la sensibilisation des acteurs politiques à divers niveaux, ainsi que sur leur compréhension et leur acceptation du code, et l'on peut espérer que cela les amènera à se conformer volontairement aux dispositions du code.

Afin d'assurer au public que le code fonctionne véritablement, il semble essentiel de créer des mécanismes de signalement et d'appel pour traiter les plaintes concernant des comportements illégaux ou contraires à l'éthique.

Le code devra prescrire l'établissement de voies de communication « sûres » pour déposer des plaintes et protéger contre les représailles toute personne qui, de bonne foi, présente une plainte concernant des actes répréhensibles au sein d'un parti.

Bien que le code puisse mettre davantage l'accent sur la promotion de la « bonne conduite », il devra aussi contenir des dispositions sur les sanctions visant à décourager les actes répréhensibles. Il sera très difficile de déterminer les pénalités appropriées pour divers types d'infractions aux principes d'éthique. Pour certains actes, le signalement et la perte de réputation pourraient s'avérer suffisants, mais dans le cas d'infractions plus graves, il pourrait être plus approprié de suspendre l'auteur de l'infraction des activités du parti ou de lui imposer une amende.

Il n'existe pas beaucoup d'expérience pratique dont on peut tirer des leçons sur la façon de relever le défi que représentent la mise en œuvre et l'application d'un code.

Au Manitoba, chacun des partis est chargé de mettre le code de conduite en pratique. Tous les partis enregistrés ont accepté de faire connaître le code à leurs membres et d'élaborer des procédures de traitement des plaintes. Ils doivent faire savoir à Élections Manitoba qu'ils se sont acquittés de ces obligations, mais ne sont pas tenus de décrire leurs activités à cet égard. Bref, le code manitobain repose sur l'autoréglementation. Il n'exige pas que les partis rendent compte publiquement du dépôt interne de plaintes concernant des actes répréhensibles et du règlement de ces plaintes. L'approche du Manitoba semble partir du principe que l'existence du code et la volonté des partis politiques enregistrés de promouvoir ses dispositions, combinées à la compétition partisane, à l'attention des médias et à la vigilance du public, seront des moyens de dissuasion efficaces pour prévenir les méfaits.

Le Parti libéral du Québec, quant à lui, possède un Code d'éthique et de déontologie qui prévoit explicitement l'établissement d’un Comité d'éthique, un processus de traitement des plaintes et des sanctions en cas de méfait. L'expérience acquise par rapport à ces mesures mérite d'être analysée plus en profondeur qu’on ne peut le faire ici.

À la lumière de cet exposé, plusieurs options se présentent pour la mise en œuvre et l’application d’un code. Les décisions à cet égard dépendront en partie des objectifs du code et des jugements posés sur un certain nombre de questions opérationnelles cernées précédemment dans le présent document. Les options présentées ci-dessous pourraient également être utilisées en combinaison.

Option 1 – Chaque parti élabore, adopte et applique son code

Voici un aperçu des arguments pour et contre cette option.

En ce qui a trait aux avantages, cette option respecterait l'autonomie des partis. Elle leur permettrait de personnaliser le code selon leurs besoins et d'y inclure, en plus des règles et des valeurs démocratiques, les valeurs distinctes qu'ils défendent en matière de politiques publiques. Cette approche favoriserait un engagement accru des partis à promouvoir le code au sein de leurs rangs. Le code pourrait être utilisé à l'interne pour favoriser la cohésion et aborder les gestes qui transgressent les engagements du parti. Il y aurait sans doute moins de résistance à un code propre à chaque parti qu'à un code uniforme et applicable à tous.

Par contre, un code propre à chacun pourrait entraîner un manque d'uniformité entre les partis en ce qui a trait au respect des règles et des valeurs de la démocratie électorale. L'administration interne, y compris le traitement des cas d'infraction, ne garantirait pas autant la confiance du public quant au respect des codes par les partis, à plus forte raison si les questions ne sont pas abordées sur la place publique. Des critiques pourraient rejeter l'idée du code volontaire et appliqué par chaque parti et le considérer comme une façade purement symbolique. Cette inquiétude pourrait être atténuée si les partis s'entendaient pour créer un poste au sein du parti pour recevoir les plaintes concernant des gestes contraires à l'éthique, et fournissait des canaux sécuritaires pour permettre aux membres d'exprimer leurs préoccupations.

Option 2 – Un code commun est établi avec le soutien d'Élections Canada

C'est le processus qui a été suivi au Manitoba en réponse à un scandale et à une enquête judiciaire, lesquels ont incité les partis à trouver une entente. L'adoption du code du Manitoba est volontaire et il revient aux partis de l'appliquer. Aucune infraction au code n'a encore été soulevée ou abordée publiquement par un parti. Voici les avantages et les inconvénients de cette option.

Cette option aurait l'avantage d'établir un ensemble uniforme de valeurs et de normes comportementales qui seraient acceptées par tous les adhérents. On inciterait les partis à surveiller et à signaler les infractions de leurs concurrents, ce qui les pousserait à favoriser l'adhésion au code et la connaissance de ses dispositions. Il reviendrait aux partis d'interpréter et d'appliquer le code, et aucune surveillance ni sanction ne serait imposée par un organisme externe comme Élections Canada. La participation d'Élections Canada à l'élaboration du code pourrait convaincre le public que le code serait utilisé comme un guide significatif pour un comportement responsable. L'existence du code pourrait donner au directeur général des élections ou au commissaire aux élections fédérales une force de persuasion et d'influence lorsqu'ils tentent d'aborder des comportements problématiques qui ne constituent pas des actes criminels pouvant entraîner des poursuites en vertu de la Loi électorale du Canada. Il pourrait y avoir une moins grande résistance politique à l'idée d'un code commun qui soit uniforme, appliqué par le parti et adopté de façon volontaire.

En ce qui a trait aux désavantages, il se pourrait que cette option n'inspire pas confiance au public, car aucun organisme externe n'exerce de surveillance ou n'applique les dispositions. Dans l'environnement intensément partisan actuel, il faudrait être naïf pour penser que des partis politiques puissent discuter franchement des questions juridiques et éthiques découlant des pratiques de campagne changeantes dans une tribune réunissant tous les partis. Le risque d'être mis au défi par un opposant politique pourrait décourager les partis d'accepter un code uniforme. Les négociations au sein des partis entraîneraient plutôt un code peu convaincant n'offrant aucune orientation valable en ce qui concerne le comportement sur les plans juridique et éthique.

La participation d'Élections Canada à l'élaboration d'un code et la perception générale de l'organisme comme un gardien de l'intégrité du processus électoral pourraient entraîner l'envoi de plaintes à l'organisme. Si les plaintes ne concernaient pas des infractions à la Loi, l'organisme ne pourrait les renvoyer qu'aux partis, sans pouvoir faire enquête ou parvenir à un règlement. Au fil du temps, la publicité concernant l'incapacité d'Élections Canada à agir à l'égard des plaintes pourrait diminuer sa solide réputation d'organisme impartial de réglementation du processus électoral.

Option 3 – Élections Canada élabore un code modèle qui pourrait être adopté par le Parlement dans le cadre d'une loi

En vertu de la Loi électorale du Canada, Élections Canada a l'obligation de rendre compte de chaque élection au Parlement et a le pouvoir de recommander des améliorations à la Loi en ce qui concerne l'administration et l'intégrité du processus électoral. La Loi est principalement une loi de nature réglementaire qui, sur le plan historique, a toujours abordé les infractions au moyen de procédures criminelles. Les modifications à la Loi adoptées par le Parlement en 2014 sous le nom de Loi sur l'intégrité des élections ont accordé à l'organisme un peu plus de souplesse pour assurer la conformité aux dispositions, notamment le nouveau pouvoir de rédiger des notes d'interprétation et des avis écrits à la demande des partis et des candidats. Toutefois, la Loi ne contient toujours aucune disposition accordant une autorité législative ou le pouvoir d'établir des règles dont Élections Canada pourrait se servir afin d'adapter les dispositions selon certaines limites en réponse aux changements technologiques et aux pratiques de campagne qui n'ont pas été pris en compte dans les dispositions actuelles.

Comme il a été mentionné précédemment, l'adoption de la Loi sur l'intégrité des élections a entraîné le transfert du Bureau du commissaire aux élections fédérales au Bureau du directeur des poursuites pénales. Il convient donc de se demander si Élections Canada ou le commissaire devrait surveiller le respect du code. Si un code se limitait aux questions juridiques, le Bureau du commissaire serait, selon toute logique, l'entité responsable de son application. Par contre, si un code d'éthique plus global était adopté, Élections Canada serait sans doute davantage en mesure d'exercer cette fonction.

Un code législatif comporte plusieurs avantages potentiels. Le code pourrait être rédigé méthodiquement de façon à inclure les principes et les valeurs de base de la vie démocratique auxquels tous les partis adhèrent. Un code législatif pourrait être établi au titre de l'autorité réglementaire accordée à Élections Canada ou au commissaire aux élections fédérales et pourrait offrir une plus grande souplesse dans l'application des dispositions de la Loi électorale du Canada. Le code pourrait être inclus dans la Loi, ou être cité dans celle‑ci et jointe comme un addenda.

L'inclusion d'un code dans la loi pourrait grandement rassurer le public quant au respect des dispositions du code. Une disposition pourrait être ajoutée concernant l'obligation pour les partis politiques de signaler les infractions, ce qui ne serait pas nécessairement requis dans un code appliqué et adopté par les partis. Une telle obligation pourrait encourager les partis à prendre plus au sérieux les dispositions du code, à en faire la promotion et à s'y conformer. Un code législatif permettrait également à des personnes du public de formuler des plaintes si elles croient, de bonne foi, que des gestes illégaux ou contraires à l'éthique ont été commis.

Un processus selon lequel un code modèle serait préparé par Élections Canada et soumis au Parlement aux fins d'adoption pourrait comporter un certain nombre de risques et de désavantages. À moins qu'on ne soit parvenu à un consensus préalable avec les représentants des partis, certaines personnes pourraient penser que, par cette initiative, Élections Canada s'écarte de son mandat, particulièrement les critiques qui estiment que l'organisme devrait faire une interprétation minimaliste et stricte des dispositions liées à son rôle de protecteur du processus électoral contre les infractions les plus évidentes à la loi.

L'atteinte d'un consensus entre tous les partis au Parlement pour un code législatif appliqué par un organisme externe pourrait engendrer un code très vague et sans substance. Un autre risque serait que le code fasse l'objet d'un profond désaccord qui ne puisse être résolu entre les partis politiques. Si un parti au pouvoir utilisait sa majorité au Parlement pour imposer une version litigieuse d'un code, les autres partis pourraient dénoncer son manque de légitimité et refuser de s'y conformer. En tant qu'organisme responsable du code proposé, Élections Canada pourrait être entraîné dans une controverse partisane. Compte tenu des récentes luttes parlementaires au sujet des principales dispositions de la Loi sur l'intégrité électorale relatives au rôle d'Élections Canada, une autre controverse pourrait ternir l'image de l'organisme menant ses activités au-dessus de la mêlée politique et miner la confiance du public dans l'impartialité de l'organisme.

Comme il y a maintenant deux entités responsables de surveiller l'intégrité du processus électoral – Élections Canada et le commissaire aux élections fédérales –, le public pourrait se demander où il doit porter plainte concernant des actes répréhensibles potentiels. Étant donné la longue tradition et la visibilité plus importante d'Élections Canada comparativement au commissaire, la majorité des plaintes du public seraient probablement d'abord dirigées vers Élections Canada. Auparavant, Élections Canada renvoyait les plaintes au commissaire, mais si de nouveaux mécanismes étaient adoptés, il faudrait établir des protocoles pour le traitement des plaintes, des canaux de communication entre les deux entités et des politiques de communication avec le public.

Quelle que soit l'entité ayant l'autorité de superviser un code législatif, ses décisions quant à l'interprétation et à l'application du code entraîneraient des jugements difficiles, souvent dans des circonstances factuelles complexes donnant lieu à des revendications opposées, particulièrement si le code contient des valeurs et des principes éthiques généraux et vagues.

Les trois options développées précédemment ne tiennent pas compte des autres façons possibles de concrétiser l'adoption et la mise en œuvre d'un code. Il existe au moins deux autres variantes.

Premièrement, dans les débats sur l'éthique politique, on suppose habituellement qu'une approche universelle selon laquelle tous les partis adhèrent à un ensemble uniforme de principes et de valeurs est la meilleure. Une autre approche consisterait à obliger tous les partis à rédiger leur propre code, à informer leurs membres sur les dispositions et à désigner un agent responsable de l'éthique pour aborder les questions et les préoccupations au nom des membres. L'information sur ces régimes éthiques propres à chaque parti serait communiquée à Élections Canada et publiée en ligne. L'approche adoptée par les partis quant aux dimensions éthiques de leurs opérations serait davantage diversifiée qu'uniforme. Comme l'information serait accessible en ligne, les autres partis, les médias et toute personne intéressée pourraient comparer le sérieux de chaque parti relativement à ses responsabilités juridiques et éthiques.

La seconde variante consisterait, pour Élections Canada, à rédiger un code législatif au terme d'une consultation et à l'ajouter comme une clause optionnelle. Une fois adopté par le Parlement, le code pourrait être appliqué par Élections Canada, mais les partis politiques seraient libres de décider s'ils acceptent les principes et les valeurs d'un code qui va au-delà des exigences des diverses lois. En adhérant publiquement au code, les partis appelleraient leur chef, leurs élus, leurs candidats, leurs employés et leurs bénévoles à respecter le code. Élections Canada assurerait la surveillance, offrant ainsi une plus grande assurance que les partis adhérents prennent le code au sérieux. Un modèle optionnel pourrait engendrer une « course au sommet » dans laquelle les partis se feraient concurrence sur le plan de l'engagement à des normes élevées pour faire bonne impression aux électeurs.