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Pratiques de consultation et d'évaluation dans la mise en œuvre du vote par Internet au Canada et en Europe

Cas de vote par Internet en Europe

Dans les deux sections suivantes, nous donnerons plus de renseignements sur les cas de trois pays d'Europe et de six municipalités et provinces canadiennes, où le vote par Internet a été introduit, envisagé ou étudié. En analysant ces exemples, nous nous attarderons à la nature des consultations et aux méthodes d'évaluation utilisées par ces instances.

Estonie

L'Estonie possède le réseau le plus complet de vote par Internet en Europe. Le pays a utilisé ce mode de scrutin depuis 2005, soit lors de deux élections locales (2005, 2010), de deux élections au parlement national (2007, 2011) et des élections de 2009 au Parlement européen. Le vote par Internet n'est offert que pendant la période de vote par anticipation, ce qui voulait dire trois jours au début, mais qui est en fait sept jours maintenant. Il a gagné considérablement en popularité au cours de ces cinq élections, passant de 1,9 % de l'ensemble des votes exprimés aux élections locales de 2005 à 24,3 % des votes exprimés aux élections parlementaires de 2011. Il existe d'autres méthodes de vote par anticipation en Estonie, mais le cybervote compte pour la majorité des votes (56,4 %) exprimés de cette façon (Madise et Vinkel, 2011). En 2011, les Estoniens qui vivent à l'étranger ont voté en provenance de 105 pays.

Ivar Tallo, ancien député et directeur de l'Académie de la cybergouvernance (e-Governance Academy) à Tallinn, a dressé le contexte de l'établissement du vote par Internet en Estonie (Tallo, le 16 octobre 2012). Vers l'an 2000, au cours de discussions en comité parlementaire sur des questions constitutionnelles, le ministre de la Justice de l'époque et chef du parti réformiste lança l'idée. Il ordonna ensuite la préparation de rapports préliminaires sur la faisabilité et les coûts d'une solution de vote par Internet (Maaten, le 19 octobre 2012). Dans sa promotion d'une solution de vote par Internet, il reçut l'appui des socio-démocrates, dont Tallo et sa collègue, Liia Hänni, faisaient partie (Hänni, le 18 octobre 2012). Les partis n'y étaient pas tous favorables; les partis du Centre et de l'Union populaire s'y opposaient, à l'époque, et s'y opposent toujours. (Depuis, le parti de l'Union populaire a changé de nom.)

Le contexte dans lequel le vote par Internet a d'abord été envisagé en Estonie a son importance. Les élections concurrentielles normales ne furent instaurées qu'après la chute de l'Union soviétique en 1990 et l'an 2000 marqua une décennie de recours aux organismes électoraux. À cette époque, le comité constitutionnel du Parlement examina toute une gamme de modifications éventuelles aux règles électorales, notamment le maintien du système électoral à représentation proportionnelle personnalisée, les limites électorales des circonscriptions utilisées pour élire les députés, et le système de financement des partis. Le vote par anticipation a également été étudié et, dans ce contexte, l'idée du vote par Internet ne représentait qu'un volet relativement mineur de l'examen global (Tallo, le 16 octobre 2012).

La participation électorale s'avéra un facteur important dans l'étude du cybervote en Estonie. L'instauration du vote en ligne dans ce pays avait entre autres pour objectif d'augmenter le taux de participation électorale, bien qu'il soit peut-être plus réaliste de parler d'élargissement des possibilités d'accès et de frein à la participation en baisse (Madise et Vinkel, 2011 : 6). Le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (BIDDH-OSCE) a fait mention de ces éléments dans son rapport de mission sur l'évaluation des élections en Estonie en 2007, précisant que les principaux objectifs de l'introduction du vote électronique par Internet étaient de maintenir ou d'accroître le taux de participation électorale, d'attirer les jeunes électeurs et de rendre le scrutin plus pratique (BIDDH-OSCE, 2007 : 9).

Le Parlement de l'Estonie a pris la décision d'instaurer le vote par Internet au début de 2003, mais plutôt que de mettre en œuvre le système pour les élections de 2003, tel qu'il avait été prévu, il opta pour les élections de 2005. Comme ces dernières concernaient les gouvernements au niveau local, le système pouvait être mis à l'essai dans un cadre moins officiel (Tallo, le 16 octobre 2012). Choisi en 2003, le directeur du projet, Tarvi Martens, a été chargé de préparer le projet et de réunir un groupe d'environ 30 personnes possédant les compétences techniques pour le planifier (Martens, le 15 octobre 2012). Les consultations se sont limitées à ce groupe d'experts, au comité parlementaire et au comité électoral national, qui a créé un « conseil de surveillance » pour superviser la mise au point du vote électronique (Martens, le 26 mars 2013). Les élections parlementaires de 2003 ont entraîné un roulement considérable de députés et un processus d'information devait être relancé pour que le système à mettre en œuvre soit de nouveau approuvé (Martens, le 15 octobre 2012). Par conséquent, les partis politiques ont été les principales entités consultées et ils voulaient avant tout ne pas être défavorisés par ce mode de scrutin. On craignait cette éventualité dans les cas où les partisans des autres partis étaient plus susceptibles d'être à l'aise avec Internet. Par contre, la multiplicité des moyens de voter, tant par anticipation que le jour de l'élection, faisait en sorte que personne n'était obligé de recourir à Internet et, bien qu'il y ait eu une certaine opposition partisane, la majorité parlementaire fut prête à faire l'essai du système étant donné son aspect pratique et de l'augmentation visée de la participation électorale.

L'Académie de la cybergouvernance a été créée en 2002 et Tallo et Hänni ont élaboré un code de conduite afin de régir le cybervote. Tous les partis politiques ont été invités à une conférence concernant le document et la majorité l'a signé (Tallo, le 16 octobre 2012). L'Académie de la cybergouvernance a continué à consulter les partis chaque année par la suite (Tallo, le 16 octobre 2012). De plus, les partis sont invités aux cours de formation offerts avant chaque élection, quoique peu d'entre eux choisissent d'y participer (Maaten et Hall, 2008).

On voulait, en mettant en œuvre le vote par Internet, accroître l'accessibilité à la fois pour les personnes handicapées et celles qui devaient voter à l'extérieur du pays. Selon Martens, le principal groupe de personnes handicapées consulté fut celui des aveugles. Quelques problèmes auxquels ces derniers faisaient face au départ ont été réglés, après consultation, au moyen de certains ajustements techniques (Martens, le 15 octobre 2012). Les autres groupes de personnes handicapées n'ont pas été mentionnés. En ce qui a trait aux Estoniens à l'étranger, la mise en place d'un meilleur moyen pour voter découlait de la mise au point du cybervote. Grâce à des suggestions de Martens formulées à l'ambassade au Canada après une visite à Ottawa en 2010, un importateur a récemment mis en marché, à l'intention de la communauté estonienne du Canada, les lecteurs de carte peu coûteux nécessaires pour voter par ordinateur. Ces Canadiens d'origine estonienne habitent surtout à Toronto. Exprimer son vote est l'une des rares occasions permettant à un citoyen à l'étranger d'utiliser sa carte d'identité, puisque la majorité des services ne sont pas pertinents pour quelqu'un vivant en permanence à l'extérieur de l'Estonie. On semble espérer que la popularité du cybervote chez les Estoniens vivant à l'étranger permettra d'abandonner les autres méthodes de vote à l'extérieur du pays et de réaliser ainsi certaines économies, mais aucun changement n'a encore été apporté. Le gouvernement du pays craint d'être accusé éventuellement d'exiger de quiconque le vote par Internet, ou même de privilégier ce système.

Puisque l'objectif est d'augmenter, ou à tout le moins de stabiliser, le taux de participation électorale, il n'est pas étonnant que l'on ait accordé une attention considérable aux résultats après avoir offert le vote par Internet lors de cinq élections en Estonie. L'étude la plus vaste sur le sujet a été menée par Trechsel et Vassil en 2010. Bien qu'elle ait été réalisée avant les élections parlementaires de 2011, l'étude visait les quatre élections antérieures. Les auteurs ont conclu que le taux de participation aux élections locales de 2009 aurait pu être jusqu'à 2,6 % moins élevé s'il n'y avait pas eu la possibilité de voter par Internet (Trechsel et Vassil, 2010 : 63).

Le BIDDH-OSCE a publié des rapports officiels d'évaluation après les élections parlementaires de 2007 et de 2011 (BIDDH-OSCE, 2007, 2011). Le Bureau y évaluait les élections dans leur ensemble, mais une bonne partie de son examen concernait le volet Internet. Les principaux critères retenus étaient la légalité, la sécurité, la transparence et l'observabilité, soit les normes habituellement utilisées par cette organisation internationale. Il faut préciser que le BIDDH-OSCE prépare actuellement un guide d'observation des élections par Internet (Krimmer, le 26 octobre 2012). L'aspect sécurité des élections a été également mentionné en tant que critère d'évaluation par Madise et Vinkel (2011), tout comme le fait que l'élection était ouverte aux observateurs (Madise et Vinkel, 2011). Un autre aspect lié à cette ouverture était la transparence des activités aux fins de vérification (Madise et Vinkel, 2011).

Les coûts représentent un critère d'évaluation non expressément mentionné dans les rapports, mais qui existe en toile de fond. Compte tenu de l'engagement à long terme de l'Estonie au cybervote, les coûts sont perçus comme raisonnables, de loin inférieurs au système de bulletins de vote imprimés (Martens, le 15 octobre 2012). Puisque le volet du cybervote était et demeure une méthode complémentaire, il n'y a pas d'économie globale; en fait, il y a un coût supplémentaire. Par contre, plus les gens utilisent le vote par Internet, plus les coûts fixes sont compensés. Selon Martens, on ne songe pas à diminuer le nombre de bureaux de scrutin ordinaires afin de réduire les coûts, car cela pourrait être perçu comme défavorisant ceux qui souhaitent se rendre à un bureau de scrutin ordinaire et qui pourraient devoir parcourir un trajet plus long.

La satisfaction concernant le vote par Internet, telle que mesurée par les sondages d'opinion publique, est un autre critère d'évaluation. Trechsel et Vassil (2010) constatent un appui important de la population au cybervote. Comme il fallait s'y attendre, cet appui est beaucoup plus fort chez les « cyberélecteurs » eux-mêmes, mais ceux qui votent à un bureau de scrutin y sont également favorables, tout comme ceux qui ne votent pas. Cette tendance a été constatée dans les quatre élections étudiées (Trechsel et Vassil, 2010).

Dans son rapport d'évaluation de 2011, le BIDDH-OSCE formulait une recommandation en matière de sécurité ayant trait à la vérification du choix électoral des personnes qui votent (plutôt que la simple vérification qu'un vote a été émis), de façon à pouvoir obtenir l'assurance que le vote n'a pas été modifié par quelque « maliciel » (BIDDH-OSCE, 2011 : 13). À la suite de cette recommandation, le comité des affaires constitutionnelles du Parlement a créé un groupe d'experts chargé d'élaborer des recommandations pour mettre en œuvre un tel système de vérification. Le gouvernement a récemment adopté une mesure législative à cette fin; elle établit un comité permanent sur le cybervote qui doit rendre des comptes au comité électoral national et se charger de l'exécution du volet du vote par Internet dans les élections. Les deux comités bénéficient des services du ministère des Élections, qui, en fait, dirige les élections ordinaires (Martens, le 26 mars 2013). Martens est le président du comité du cybervote, qui compte sept membres. C'est un groupe opérationnel composé de spécialistes de divers domaines comme la sécurité et l'équipement et qui doit diriger le volet cybervote des élections. Le système de validation sera mis à l'essai dans les prochaines élections locales et probablement aussi au cours des élections de 2014 au Parlement européen. Il fonctionnera de la façon suivante : lorsque l'électeur a voté par Internet, un code s'affiche à l'écran de son ordinateur. La personne prend alors son téléphone mobile, lance une application de vérification et prend une photo du code. Ensuite, le téléphone se branche au serveur de votes pour l'échange des données et le choix s'affiche à l'écran du téléphone mobile (Martens, le 26 mars 2013). À des fins d'essai, seuls les utilisateurs du système d'exploitation de téléphone mobile Android pourront tenter l'expérience (Martens, le 6 novembre 2012).

L'évaluation du système de vérification sera effectuée par le comité du cybervote, qui déposera un rapport. Ce dernier exercera une surveillance des communications reçues du public au moyen de lignes de soutien et de plaintes et évaluera le rendement global. Si des sondages d'opinion ont lieu, certaines questions pourraient être ajoutées concernant la connaissance du système et la confiance du public à cet égard. Si les plaintes ne sont pas importantes et qu'il n'y a pas vraiment de problème technique, les mécanismes d'évaluation prendront fin.

Suisse

La Suisse mène des essais de vote par Internet depuis près d'une décennie. Les efforts ont été principalement concentrés dans les cantons : ceux de Genève, de Zurich et de Neuchâtel ont tenu des référendums et certaines élections depuis 2004 (et quelques essais préliminaires en 2003). Dans le canton de Genève, le plus documenté des trois cantons, le vote par Internet a été autorisé dans le cadre de 28 scrutins jusqu'à maintenant (République et Canton de Genève, 2012). Dans presque tous les cas, il s'agissait d'un référendum plutôt que de l'élection de représentants et de partis. Diverses communes (régions municipales) dans les cantons étaient concernées, et bien qu'elles n'aient pas toutes été visées chaque fois, le canton de Genève, pour sa part, offre le vote par Internet dans les mêmes communes depuis 2008 (Chevallier, le 18 février 2013). Au départ, la loi électorale limitait le pourcentage d'électeurs pouvant recourir à Internet pour voter, soit 20 % des citoyens résidant dans le canton et 10 % de la population suisse dans son ensemble. Cette restriction a été mise en œuvre en limitant le nombre de communes admissibles à voter par Internet. En 2012, le gouvernement fédéral a déterminé qu'au plus 30 % des citoyens du même canton pouvaient voter en direct (République et Canton de Genève, 2012), et le canton de Genève a tenu trois référendums lors desquels les citoyens de l'ensemble des 45 communes du canton pouvaient voter en direct. À ces trois occasions, en mai et novembre 2011 ainsi qu'en octobre 2012, approximativement 240 000 citoyens ont pu voter en direct. Compte tenu du fait que le taux de participation à ces référendums suisses a varié entre 30 % et 40 % globalement, le nombre d'électeurs par Internet était modéré. Dans le référendum comptant le taux de participation le plus élevé (40 % en mai 2011), 21,8 % de tous les votes ont été exprimés en direct (République et Canton de Genève, 2012).

La Suisse a usé de prudence dans l'utilisation accrue d'Internet dans les élections, comme en attestent les limites mentionnées précédemment concernant le nombre de citoyens admissibles. En octobre 2011, par contre, un essai de vote par Internet a été réalisé aux élections de l'Assemblée fédérale de la Suisse, une des rares occasions où le vote était lié à une élection plutôt qu'à un référendum, et ce, pour l'ensemble de la Suisse. L'essai était cependant restreint aux citoyens de Suisse vivant à l'étranger et inscrits pour voter dans quatre des 26 cantons. Ces cantons, Aargau, Basel-Stadt, Graubünden et St. Gallen, ont utilisé les systèmes de vote par Internet mis au point pour les trois cantons où les essais initiaux ont eu lieu. Seuls les 22 000 résidants de ces trois cantons qui y étaient inscrits et qui vivaient à l'étranger étaient habilités à voter par Internet (BIDDH-OSCE, 2012a). Le pourcentage des personnes admissibles qui ont eu recours à Internet pour voter lors de cette élection n'a pas été immédiatement connu.

La restriction du projet pilote électoral fédéral de 2011 aux Suisses vivant à l'étranger et originaires des quatre cantons s'inscrit dans l'un des principaux objectifs des expériences de vote par Internet en Suisse : le pays veut améliorer le vote de ses citoyens à l'étranger. L'Organisation des Suisses de l'étranger (OSE) est un groupe d'intérêt officiel établi à Berne, la capitale fédérale. Ce groupe, d'une importance non négligeable (Serdült, le 6 novembre 2012), a fait pression sur tous les gouvernements de Suisse pour que le vote par Internet soit autorisé aux citoyens de Suisse résidant à l'étranger. Pour voter, le citoyen suisse vivant en permanence à l'étranger doit s'inscrire et recevoir la trousse de vote par la poste. Il est habituellement difficile de recevoir la documentation par la poste suffisamment tôt pour remplir et retourner le bulletin de vote, sans compter que les problèmes risquent de s'aggraver en raison de l'incertitude relative à l'état des services postaux dans le monde (Driza-Maurer et al., 2012). L'Organisation des Suisses de l'étranger a donc réussi à exempter les citoyens vivant à l'extérieur du pays de la limite des personnes de tout canton admissibles à voter en direct. L'OSE est devenue en quelque sorte un centre de référence pour ceux qui s'intéressent à l'expansion du vote par Internet (Serdült, le 6 novembre 2012). Le groupe a travaillé en collaboration avec une organisation de jeunes responsable de la création d'un parlement jeunesse pour organiser des campagnes de pétition en 2012 en faveur de l'expansion du cybervote (Taglioni, le 7 novembre 2012). La pétition de l'OSE a obtenu 15 000 signatures et a été présentée au Conseil fédéral.

Le fait que les groupes d'intérêt ont leur importance pour formuler des exigences politiques dans le domaine du vote par Internet cadre avec le fonctionnement de la démocratie suisse. Seulement une faible proportion des consultations initiales émane du centre, et on s'attend à ce que les organisations de la société civile soumettent leurs observations et exigences. Ces organisations ne sont pas réglementées en matière de financement ou de publicité. Elles peuvent créer des initiatives de politique mises aux voix au moyen d'un référendum. De plus, les référendums servent à se prononcer sur les mesures législatives du gouvernement. En 2009, Genève a adopté une disposition constitutionnelle cantonale dans un référendum et plus de 70 % des voix étaient en faveur du vote par Internet.

L'un des objectifs importants de l'utilisation du vote par Internet en Suisse était d'augmenter la participation électorale. L'introduction de l'option du vote postal, qui s'est produite à divers moments dans les cantons suisses entre 1978 et 2005, a entraîné, d'après les estimations, une hausse du taux de participation électorale de plus de quatre points de pourcentage (Luechinger, Rosinger et Stutzer, 2007). Le vote postal est devenu si populaire en Suisse que la grande majorité des votes sont exprimés de cette façon. À défaut de l'option Internet, jusqu'à 95 % des votes s'expriment par la poste et les autres 5 % sont déposés dans les urnes pendant la courte période d'ouverture des bureaux de scrutin. On espérait que l'introduction de l'option du vote par Internet entraînerait une autre hausse du taux de participation électorale (Chevallier, le 8 novembre 2012).

Dans une première analyse, on pensait, de façon très optimiste, que le taux de participation augmenterait dans le canton de Genève lorsque le vote par Internet a été introduit (Auer et Trechsel, 2001) et, dans les analyses ultérieures, on demeure optimiste (Gerlach et Gasser, 2009). Le vote par Internet est une option utilisée, mais à des taux légèrement inférieurs qu'à ses débuts (Serdült, le 6 novembre 2012). Pour les élections dans le canton de Genève, l'option de vote par Internet représente généralement entre 15 % et 20 % des votes exprimés (République et Canton de Genève, 2012). Dans une analyse statistique des votes cantonaux du 27 novembre 2011, les communes à l'intérieur de la ville affichaient des taux variant entre 26 % et 11 % en ce qui a trait à l'utilisation du vote par Internet, la moyenne s'établissant à 17,2 % (République et Canton de Genève, 2012).

De la même façon, l'option du vote par Internet, pensait-on, était susceptible d'intéresser les jeunes, qui votent moins aux élections en Suisse comme dans la majorité des endroits où la participation électorale est faible ou en déclin. À titre d'exemple, dans un classement des taux de participation électorale selon les groupes d'âge, les électeurs de moins de 25 ans ont voté à un taux de moitié inférieur à celui des gens dans la soixantaine lors de quatre référendums où le choix de voter par Internet était offert en 2012. Par contre, dans une étude sur le vote par Internet lors du référendum du 27 novembre 2011, on constate que les personnes dans la vingtaine sont moins susceptibles, dans une légère mesure, de voter par Internet que les électeurs dans la trentaine. Les chercheurs ont aussi relevé certains éléments de preuve à l'effet que le vote par Internet intéresse particulièrement « ceux qui votent occasionnellement » (Chevallier, 2009 : 35) et qui, bien sûr, sont plus à même de se retrouver dans les plus jeunes groupes d'âge.

Plusieurs autres facteurs sont à l'origine de l'acceptation généralisée du vote par Internet en Suisse, comme en atteste le fait qu'il a été approuvé par 70 % des voix dans le référendum du canton de Genève mentionné précédemment. Le rapport de 2011 du BIDDH-OSCE fait état du haut niveau de confiance dont jouit le système de vote à distance par la poste. Il faut aussi mentionner l'objectif sous-jacent d'améliorer le rendement de la Suisse dans le domaine global de la technologie de l'information (TI) et qui, compte tenu des tendances démocratiques du pays, semble bien s'harmoniser au vote par Internet. Ainsi, le canton de Genève souhaite devenir un centre de la TI. L'apport des sciences politiques à une étude de faisabilité dans ce domaine remonte à 1998 (Chevallier, le 8 novembre 2012; voir aussi Gerlach et Gasser, 2009).

La Suisse s'est dotée d'un processus officiel de consultations entre le gouvernement fédéral et les gouvernements cantonaux. En fait, le projet de vote par Internet (« vote électronique ») est qualifié par la Chancellerie fédérale de projet conjoint de la Confédération et des cantons. La coopération passe par un groupe de travail composé de représentants fédéraux et cantonaux. Ce groupe échange des pratiques exemplaires et s'attache à améliorer l'expérience électorale des personnes handicapées, particulièrement les aveugles, qui pourraient être mieux à même d'utiliser un écran d'ordinateur adapté au vote électronique qu'un bulletin de vote postal (Taglioni, le 7 novembre 2012).

Le groupe de travail fédéral-cantonal suit une feuille de route du vote électronique (Taglioni, le 7 novembre 2012) portant sur cinq grands domaines : établissement d'une stratégie conjointe de la Confédération et des cantons, sécurité, expansion, transparence et coûts. L'un des principaux domaines dont se charge le groupe de travail est la sécurité. Ainsi, il a créé un sous-groupe de la sécurité afin d'élaborer une procédure de vérification du choix de l'électeur pour garantir à ce dernier que, non seulement son vote a été reçu, mais que son choix a été correctement inscrit. Le meneur du projet de vote électronique, Geo Taglioni, croit qu'une solution adéquate à la question de la vérification sera l'une des clés de toute expansion du vote par Internet en Suisse. Le Conseil fédéral suisse devait mener une analyse de la période d'essai (2006 à 2012) et dresser un aperçu du développement du projet. Le troisième rapport devait être publié en juillet 2013.

On a effectué en Suisse des évaluations relativement sporadiques des essais de vote par Internet. En 2006, la Chancellerie fédérale a produit un long rapport sur de tels projets pilotes. Elle insiste sur le coût des trois essais menés dans les cantons de Zurich (donné en sous-traitance à Unisys, une entreprise mondiale de technologie de l'information), de Neuchâtel (donné en sous-traitance à la société mondiale de vote électronique Scytl) et de Genève (qui exploite son propre système). Le rapport comporte une analyse des fondements juridiques, de l'aspect sécurité et de l'utilisation des trois systèmes d'essai.

Le rapport de mission d'évaluation électorale publié par le BIDDH-OSCE en 2011 portait sur la légalité, la sécurité, la gestion et l'essai du vote par Internet dans les quatre cantons mentionnés et le Bureau recommandait que les évaluations futures soient effectuées par un organisme indépendant (BIDDH-OSCE, 2012a).

À Genève, après le référendum ayant eu pour résultat d'autoriser le vote par Internet en 2009, on a adopté une loi relative à sa mise en œuvre en 2010 (Chevallier, le 8 novembre 2012). Cette loi établissait une commission électorale centrale qui, à son tour, confiait à la commission permanente de l'évaluation de la politique publique le soin de mener une évaluation de la loi sur le vote par Internet dans un délai de trois ans. Le professeur Pascal Sciarini de l'Université de Genève est responsable de l'évaluation, ce qui témoigne d'une collaboration entre le secteur universitaire et le gouvernement.

Actuellement en préparation, l'évaluation de M. Sciarini portera sur le fonctionnement du vote Internet dans le canton de Genève selon quatre critères (Sciarini, le 7 novembre 2012). Il s'attachera tout d'abord à l'incidence sur la participation, particulièrement le taux de participation électorale. Le deuxième critère est l'effet sur les sous-groupes, particulièrement les jeunes, mais également sur les électeurs « sélectifs » (occasionnels) et ceux qui ont pris leur décision tardivement. À la fin d'une période de vote par anticipation par la poste, il est toujours urgent d'envoyer les bulletins de vote afin qu'ils arrivent à temps pour être comptés. Dans le cas du vote par Internet, ceux qui se décident à la dernière minute peuvent attendre un peu plus longtemps, jusqu'à midi le samedi, tandis que les bulletins de vote postaux doivent être mis à la poste le jeudi au plus tard (Sciarini, le 7 novembre 2012). L'élection proprement dite a lieu le dimanche matin. M. Sciarini a retenu des critères supplémentaires d'évaluation, à savoir les caractéristiques et les attitudes de ceux qui votent par Internet, et un modèle des déterminants du vote en direct qui mettra notamment en lumière les effets, neutres ou non, du système de vote par Internet sur les partis politiques ou sur les camps des référendums.

Norvège

La Norvège n'a procédé que récemment à des essais de vote par Internet, mais il en a tout de même fallu sept années de planification. Le ministère du Gouvernement local et du Développement régional a désigné un comité de travail en 2004 et reçu un rapport en 2006 (Nore et al., le 22 octobre 2012). Ce comité, sous la présidence d'un spécialiste des sciences politiques, Bernt Aardal, se composait de divers experts, notamment des politologues, des techniciens et certains membres des gouvernements locaux et du ministère. Alors que certains y participaient pour leurs compétences pratiques, d'autres en faisaient partie parce qu'ils occupaient un poste dans le secteur de l'élaboration des politiques. Les membres avaient diverses opinions concernant le projet, et certains se montraient sceptiques. Le comité a recommandé une approche lente, par étapes, comportant plusieurs projets pilotes successifs, afin de régler tout problème technique et d'obtenir un appui pour la réforme (Aardal et al., le 23 octobre 2012). Au départ, on avait envisagé tenir le vote par Internet dans des endroits centraux, mais en y réfléchissant davantage, on a conclu qu'il y aurait moins de risques d'infraction généralisée à la sécurité si le vote avait lieu à partir d'ordinateurs personnels. De cette façon, s'il existait des virus ou qu'il y avait infraction à la sécurité, le problème toucherait fort probablement l'ordinateur individuel, plutôt qu'un serveur central affectant de nombreuses personnes (Nore et al., le 22 octobre 2012).

Divers objectifs ont stimulé l'intérêt initial pour le vote par Internet en Norvège. L'accessibilité était l'un de ces grands objectifs (Nore et al., le 22 octobre 2012). Bien que le taux de participation ait été un facteur en toile de fond, il ne figurait pas au premier rang étant donné que le vote par Internet, selon le consensus se dégageant de la documentation publiée, n'a pas d'incidence positive majeure sur la participation électorale. On poursuivait également un objectif d'efficacité pour ce qui est du dépouillement des votes. Le système électoral norvégien comprend non seulement le choix d'un parti (pour le système de représentation proportionnelle), mais aussi le choix de candidats dans la liste du parti sélectionné. Les systèmes sont différents selon qu'il s'agit d'une élection nationale, cantonale ou municipale. Il est possible de voter pour des candidats individuellement aux élections nationales, mais en réalité, un tel geste n'a aucune incidence à ce niveau. À l'échelon cantonal ou municipal, par contre, les votes personnels déterminent en partie les candidats élus. Aux élections municipales, les électeurs peuvent aussi accorder des votes personnels à des candidats issus des listes des autres partis plutôt que du parti pour lequel ils votent. Même si ce système (appelé « panachage ») peut faire l'objet d'un dépouillement manuel, non sans difficultés (comme en Suisse), les bulletins de vote sont souvent passés au scanneur et comptés par ordinateur. On espérait que le vote par Internet améliorerait la vitesse et l'exactitude du processus de dépouillement (Nore et al., le 22 octobre 2012).

Lorsque le comité Aardal a publié son rapport en 2006, le document fut communiqué aux intervenants et à toute personne intéressée en plus de faire l'objet d'une audience publique (Nore et al., le 22 octobre 2012). Le ministère insiste pour dire qu'il s'agit du processus normal et que toute personne intéressée peut obtenir un exemplaire du rapport et participer en transmettant ses observations sur celui-ci. En 2008, le gouvernement a attribué au ministère du Gouvernement local et du Développement régional des fonds pour entamer la préparation d'un essai. En 2009, on a créé deux groupes de référence, un premier formé de représentants des partis politiques et un second composé de professionnels, dont faisaient partie certains membres du comité Aardal initial et auxquels sont venues s'ajouter d'autres personnes pour un total d'environ 35 membres. Le ministère voulait coordonner les plans avec les deux groupes; l'initiative a donné lieu à des exposés (par les fournisseurs éventuels) ainsi qu'à la création d'un site Web et d'un blogue. Toutefois, de l'avis des personnes interviewées par le ministère, le processus consultatif n'a pas très bien fonctionné; il y a eu peu de rétroaction, on a manqué de temps lorsque la décision a été prise de mener l'essai en 2011, et il aurait fallu plus de personnel pour organiser les consultations.

L'annonce du projet d'aller de l'avant et de procéder à un essai aux élections locales de 2011 (pour les conseils municipaux et cantonaux) a fait l'objet d'un débat au Parlement de la Norvège en novembre 2010; un député avait déposé une motion visant à mettre fin à l'essai. Les observations formulées par les opposants au vote par Internet portaient surtout sur des questions de légalité, l'éventuelle influence inappropriée sur les électeurs lorsque le processus de vote à partir d'ordinateurs à distance n'est pas secret, le coût ainsi que le manque d'éléments de preuve que le projet entraînerait une hausse de la participation électorale. Les partisans de l'essai ont mentionné la nécessité qu'il soit tenu afin de savoir s'il y aurait des effets positifs et une meilleure accessibilité, et ils ont également ajouté qu'il était nécessaire d'essayer de faire participer les jeunes et de suivre le courant (Parlement de la Norvège, 2010).

Les dix municipalités norvégiennes qui ont mis le vote par Internet à l'essai en 2011 étaient dispersées dans l'ensemble du pays. Les représentants du ministère ont entrepris un voyage en bateau pour consulter les municipalités côtières qui avaient été sélectionnées parmi celles ayant manifesté leur intérêt à participer à l'initiative. Les journalistes locaux ont été invités à rencontrer les représentants du ministère et les autorités locales, à chaque arrêt, pour faire la publicité de l'événement à venir. Les municipalités locales devaient mener un essai pilote préparatoire du système en inscrivant quelques questions locales d'intérêt sur le bulletin, mais les taux de participation ont été faibles (de 2 % à 10 %). Les politiciens locaux ont été également renseignés à propos du système, mais il n'y a pas eu de formation donnée en bonne et due forme (Nore et al., le 22 octobre 2012).

Au terme d'un processus concurrentiel d'appel d'offres, un marché d'évaluation du vote par Internet en Norvège a été adjugé à l'Institut de recherche sociale (ISF) d'Oslo. De plus, l'un des volets de l'évaluation a été mené par la Fondation internationale pour les systèmes électoraux (IFES). L'évaluation de l'IFES était conçue pour veiller à ce que le vote par Internet respecte les normes internationalement admises concernant les droits démocratiques et électoraux (ISF, 2010 : 3). La Fondation s'est penchée sur certains éléments comme le dépouillement efficace et la transparence des résultats et a tenu des groupes de discussion auprès des intervenants en plus de mener des entrevues auprès des administrateurs des élections (IFES, 2010).

Le rapport intégral de l'ISF existe uniquement en norvégien, mais un résumé en anglais contient les résultats du sondage d'opinion publique effectué au moment de l'élection. La conclusion est que les effets à court terme de l'essai sur la participation électorale ne sont pas clairs et ne peuvent être démontrés, mais que les gens qui ont voté en direct sont très heureux du vote par Internet et mentionnent qu'il était facile d'exprimer leur voix de cette manière (ministère du Gouvernement local et du Développement régional, 2012 : 2). Les entrevues auprès des participants ayant des difficultés en matière d'accessibilité ont fait ressortir que, malgré quelques problèmes sur le plan opérationnel, ces électeurs handicapés gardent une impression extrêmement favorable du vote par Internet. Les électeurs, même ceux qui n'ont pas voté par Internet, déclarent avoir grandement confiance dans le système et sont nombreux à l'approuver. Par ailleurs, d'après l'opinion publique, l'absence de secret ne représente pas un problème important.

Le BIDDH-OSCE a aussi préparé un rapport d'évaluation du projet pilote de vote par Internet qui a eu lieu lors de l'élection de 2011 en Norvège. Dans son rapport, le Bureau a formulé un certain nombre de recommandations concernant la mise en œuvre, mais le verdict général était favorable (BIDDH-OSCE, 2012b). Le Bureau abordait aussi les essais et la configuration du système, la préparation des cartes d'électeur, le vote, le dépouillement et le retrait des données, et il formulait des recommandations visant à clarifier ces procédures. Le Bureau a examiné plusieurs aspects de la sécurité du vote par Internet et a fourni des recommandations. Il faut préciser qu'un certain nombre de caractéristiques du système de vote par Internet de l'Estonie ont été adoptées par la Norvège, notamment la possibilité de vote plusieurs fois par Internet, chaque vote subséquent annulant le précédent. De plus, le vote par bulletin imprimé le jour de l'élection annule tous les votes par Internet précédents. L'une des grandes innovations en Norvège a été le recours à un « code de retour »; l'électeur recevait un message sur son téléphone mobile lui donnant un code qui pouvait être jumelé à sa carte électorale afin de vérifier pour quel parti il avait voté. Le succès de ces codes de retour, sur le plan opérationnel, a donné lieu à des demandes en Estonie et en Suisse, comme nous l'avons mentionné précédemment, relatives au développement de systèmes de vérification analogues dans ces pays. Le Bureau, dans son rapport, recommandait un examen du système des codes de retour. L'IFES, dans son évaluation de la conformité du vote électronique en Norvège en 2011, a conclu qu'il respectait la majorité des 112 recommandations relatives aux normes de vote électronique (nombre d'entre elles sont techniques) publiées en 2004 (Segaard, Baldersheim et Saglie, 2013).

Les opinions en Norvège sur le vote par Internet demeurent encore divisées. D'après une étude récente, les lignes des différences d'opinions ne sont pas nécessairement prévisibles. D'après les auteurs, il s'agit d'une division entre le centre et les périphéries, c'est-à-dire qu'une certaine partie de l'« élite nationale » de la capitale et des grandes villes est très sceptique et inquiète relativement au secret du vote, alors que ceux qui, sur le terrain, utilisent le vote par Internet en ont une opinion extrêmement favorable (Baldersheim, Saglie et Segaard, 2012). Pour les municipalités, il y avait une incidence positive sur leur image puisqu'elles avaient la réputation d'être plus avancées sur le plan technologique. L'accueil généralement favorable des essais aux élections locales de 2011 en Norvège a incité le gouvernement à annoncer la tenue d'autres essais en septembre 2013 pendant les élections parlementaires nationales. Les mêmes municipalités seront touchées et deux autres viendront s'ajouter (The Norway Post, 2012).