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Une analyse comparative du vote électronique


Partie IV : Essais européens

Estonie

Pour plusieurs raisons, l'Estonie est un bon exemple en ce qui a trait au vote par Internet. Premièrement, il s'agit du seul pays à l'avoir introduit à l'échelle nationale. Deuxièmement, son modèle de vote électronique à distance prévoit l'élaboration et l'ajout de méthodes du même type, notamment le vote par message texte, d'ici 2011. Troisièmement, l'Estonie est le seul pays où la loi considère l'accès à Internet comme un droit social (Trechsel, 2007, p. 9). En Europe, il s'agit de l'un des pays les plus avancés sur le plan électronique, se classant quatrième parmi les 25 pays de l'Union européenne en ce qui concerne l'offre de services publics en ligne (Comité électoral national d'Estonie, 2009). Tous ces éléments, en plus de la mise en œuvre réussie du vote par Internet, font de l'Estonie un important cas à examiner. Il faut surtout relever les fonctions qui soutiennent le système de vote par Internet et contribuent à son succès.

Motifs d'adoption du vote électronique et conditions préalables

En Estonie, la mise en œuvre du vote par Internet visait d'abord à offrir aux électeurs un plus grand nombre de méthodes de vote, à simplifier le processus et à le rendre plus pratique. Accroître l'accessibilité du processus avait entre autres pour objectif de favoriser la participation électorale et de dissiper le sentiment d'aliénation politique, surtout chez les jeunes. Le Parlement estimait également que le vote par Internet permettrait une utilisation plus efficace de l'infrastructure technique existante et que le vote à distance était essentiel dans la société moderne (Lumi, 19 septembre 2009; Madise et Martens, 2006). Dans l'ensemble, le gouvernement estonien se concentrait sur la création de politiques et de services axés sur les citoyens et favorisant l'intégration de tous (Comité électoral national d'Estonie, 2009).

Certains facteurs clés ont rendu possible l'introduction du vote par Internet et lui ont permis d'être couronnée de succès : la pénétration d'Internet, la préparation électronique de la population, une culture politique favorable, une structure juridique relative au vote par Internet, un système d'identification numérique, une infrastructure moderne et des programmes gouvernementaux en TI, de même qu'un partenariat entre les secteurs public et privé (Alvarez et coll., 2009; Lumi, 19 septembre 2009). Selon la Commission européenne, l'Estonie figure parmi les douze pays de l'UE où la pénétration d'Internet est la plus élevée : 53 % des foyers possèdent un ordinateur, et 89 % d'entre eux sont branchés à Internet (Alvarez et coll., 2009; Comité électoral national d'Estonie, 2009).

En outre, l'Estonie a bien pris soin d'élaborer un cadre juridique qui appuie le développement et le recours au vote par Internet. Le gouvernement a d'abord adopté la loi sur les signatures numériques en 2002, qui permet aux particuliers d'utiliser une signature numérique approuvée pour confirmer leur identité lors de transactions en ligne, notamment les opérations gouvernementales et le vote. Bien que les États-Unis aient aussi légiféré en matière de signature numérique, l'Estonie est le seul pays à avoir simultanément introduit et rendu obligatoire une carte d'identité à certificat numérique intégré. La carte est le fondement du modèle estonien de vote par Internet et permet l'identification à distance des citoyens au moyen de la signature et d'un numéro d'identification personnel unique. Elle peut être utilisée à la maison, à condition qu'on dispose d'un lecteur de carte à puce, ou à un terminal public (55 terminaux par 100 000 citoyens) (Alvarez et coll., 2009; Lumi, 19 septembre 2009; Madise et Martens, 2006).

Dans un deuxième temps, on a adopté diverses lois autorisant le vote électronique dans les différents types d'élection et précisant son mode de gestion. Ces lois établissent également les éléments de procédure connexes, comme la période de vote en ligne, le processus pour confirmer que les bulletins en ligne ne peuvent être remplis le jour du scrutin, le processus d'authentification, ainsi que les processus de rassemblement et de dépouillement des bulletins après le scrutin36. De plus, le système estonien permet aux personnes qui votent par Internet de changer leur décision aussi souvent qu'elles le désirent, puisque seul leur choix final est compilé (Alvarez et coll., 2009; Madise et Martens, 2006)37.

Élaboration, aspects techniques et fonctionnement général du modèle estonien

En Estonie, le vote par Internet a été mis en œuvre aux élections municipales de 2005. L'expérience a été renouvelée en 2007 aux élections parlementaires nationales et en 2009 aux élections parlementaires européennes. Le modèle estonien est fondé sur trois principes : (1) la carte d'identité des électeurs, (2) la possibilité de changer son vote, puisque seul le dernier choix est compilé, (3) la priorité accordée au scrutin traditionnel (si un électeur vote sur papier le jour du scrutin, son vote électronique est annulé). Le système doit également respecter les principes suivants : un dépouillement fiable, sûr et facile à contrôler, un système simple pour les électeurs et les spécialistes qui procèdent à la vérification, la transparence et un vote par électeur. Les bulletins doivent être uniformes et protégés, et tous les électeurs doivent être en mesure de se prévaloir de leur droit de vote (Maaten, 2004).

Pour voter par Internet, les électeurs doivent disposer d'un lecteur de carte à puce et du logiciel correspondant, d'une connexion à Internet et d'un système d'exploitation Windows, MacOS ou Linux. Il faut d'abord insérer une carte valide dans l'ordinateur, qui affiche une liste des candidats en fonction du numéro d'identification de l'électeur. Le système de vote emploie un mécanisme à deux enveloppes, utilisé dans d'autres pays pour le vote par correspondance, et il est conçu pour protéger la vie privée et la sécurité des électeurs. Le bulletin rempli est encodé par l'application de vote (le bulletin est inséré dans une enveloppe vierge scellée). L'électeur valide ensuite son choix à l'aide d'une signature numérique et reçoit la confirmation que le vote a bien été enregistré (la première enveloppe est glissée dans une autre enveloppe, sur laquelle l'électeur écrit son nom et son adresse) (Comité électoral national d'Estonie, 2009). Lorsque les votes sont dépouillés, la signature numérique (enveloppe extérieure) est retirée et le vote anonyme encodé (enveloppe intérieure) est placé dans l'urne. Il est seulement possible de voter par Internet pendant une période déterminée, habituellement du sixième au quatrième jour précédant le vote par anticipation, et, donc, avant le jour du scrutin. Les électeurs peuvent changer leur vote aussi souvent qu'ils le désirent pendant la période autorisée et peuvent quand même voter sur papier le jour du scrutin. Ce geste annule toutefois le vote électronique (Maaten, 2004).

Indicateurs de succès

Le modèle estonien peut être vu comme une réussite à de nombreux égards, notamment au chapitre de sa popularité et de la participation électorale. Par exemple, bien que seulement 1,9 % des votes aient été exprimés par Internet aux élections locales de 2005, ce chiffre a grimpé à 5,4 % aux élections parlementaires de 2007, puis à 14,7 % aux élections parlementaires européennes de 2009 (Comité électoral national d'Estonie, 2009)38. Les représentants du pays décrivent maintenant le vote par Internet comme une composante à part entière acceptée du processus électoral, essentielle à la participation des électeurs. En effet, la participation est passée de 58,2 % (2003) à 61,9 % (2007) aux élections parlementaires nationales et de 26,8 % (2004) à 43,9 % (2009) aux élections parlementaires européennes. À cette même occasion, d'autres pays enregistraient des taux de participation plus faibles (International IDEA, 2009). En outre, des recherches récentes confirment que les électeurs accordent une grande confiance au vote électronique (Alvarez et coll., 2009; Lumi, 19 septembre 2009). Il semble aussi que le système estonien est neutre sur de nombreux aspects socioéconomiques, comme le revenu, la scolarité, le sexe et la situation géographique. Ainsi, le vote par Internet n'est à l'origine ni d'un parti pris antidémocratique ni d'un fossé numérique (particulièrement des partis pris de nature socioéconomique) à cet égard. Il n'existe pas non plus de tendance politique gauchiste ou droitiste au sein des électeurs qui votent par Internet en Estonie (Alvarez et coll., 2009, p. 501).

Évidemment, les électeurs qui décident de voter par Internet possèdent une meilleure connaissance informatique que les autres. En 2005, 20 % des personnes qui ont voté par Internet se seraient abstenues dans le cas contraire. De même, en 2007, 11 % ont confié qu'ils n'auraient « probablement » ou « certainement » pas voté s'ils n'avaient pas pu le faire par Internet. Ainsi, on peut supposer que l'accessibilité à Internet dans les régions éloignées a des répercussions sur la participation de certains électeurs. En outre, étant donné que près d'un quart des électeurs qui ont voté par Internet l'ont fait lorsque les bureaux de vote étaient fermés, l'accessibilité semble entrer en ligne de compte. Il existe également un « effet de fidélité », comme on l'a observé lors des essais municipaux effectués au Canada : les personnes qui votent par Internet sont très susceptibles de renouveler l'expérience. Par exemple, tous les électeurs qui ont voté en ligne en 2005 l'ont fait de nouveau en 2007. Par ailleurs, selon des données recueillies, les personnes qui votent par Internet consultent beaucoup de renseignements électoraux en ligne. On peut donc présumer que le vote par Internet encourage les électeurs à s'informer ou que les personnes qui désirent en connaître davantage sur les élections sont attirées par le vote par Internet. Finalement, malgré que le vote par Internet en Estonie soit plus intéressant pour les jeunes que pour les aînés, les électeurs âgés de 18 à 44 ans et ceux de 60 ans et plus sont les plus nombreux à recourir à cette méthode de vote (Alvarez et coll., 2009). Ces chiffres laissent croire que les conclusions à propos de l'âge sont exagérées. Le fait que le vote par Internet incite dans une certaine mesure les électeurs à exercer leur droit de vote, que le système peut être utilisé à toute heure, que les utilisateurs continuent de recourir à ce type de vote et que les nombreuses personnes qui votent par Internet cherchent activement à s'informer sur les candidats, est tout à l'avantage du système.

Relever les défis

Les plus grandes inquiétudes quant au vote par Internet en Estonie concernaient la fraude et la violation éventuelle de la vie privée. Le principe de vote multiple a donc été instauré : il permet aux électeurs de voter par voie électronique aussi souvent qu'ils le désirent pendant la période prévue. Si un électeur est forcé à un moment ou à un autre de voter pour une certaine personne, il peut changer son vote à partir d'un endroit sûr et privé ou voter en personne le jour de l'élection. Cette mesure réduit le risque d'achat de vote et préserve le secret du vote (Madise et Martens, 2006).

On se préoccupait aussi du risque que l'accès à Internet crée un fossé numérique ou des inégalités sur le plan des générations, du sexe et des facteurs socioéconomiques. Pour limiter ces effets, l'État a mis sur pied en 2001 un programme de formation pour adultes sur l'informatique et Internet, ainsi que le « projet village », qui visait à pourvoir d'ordinateurs un nombre accru de bibliothèques et à les brancher à Internet. Récemment, des projets public/privé ont été élaborés, comme Sécurité informatique 2009 et le programme gouvernemental de sensibilisation sur la société de l'information, qui favorisent l'utilisation de services électroniques en ciblant les questions de sécurité et en améliorant le processus de demande de carte d'identité (Comité électoral national d'Estonie, 2009; Maaten, 2004).

Toutefois, certains problèmes n'ont pas encore été réglés. Tout d'abord, le système de vote électronique est seulement offert en estonien (langue officielle), bien qu'une grande partie de la population parle russe. Cet obstacle a empêché un bon nombre de russophones de voter par Internet (Alvarez et coll., 2009).

Sur le plan de l'accès, plus de 80 % des Estoniens possèdent une carte d'identité. Les autres citoyens ne peuvent donc tout simplement pas se prévaloir du système en ligne. En plus de la carte, les citoyens doivent disposer d'un lecteur de carte à puce, lequel coûte environ 20 euros (Maaten, 2004). Bien que les points de service publics soient pourvus de lecteurs de cartes à puce, des obstacles persistent.

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Genève, Suisse

Plusieurs raisons justifient qu'on se penche sur l'expérience de Genève en matière de vote par Internet. Premièrement, la Suisse est l'un des premiers pays à avoir créé une application à cet égard. Ainsi, puisque l'initiative a déjà été créée et entièrement mise en œuvre, le modèle suisse est beaucoup plus avancé. Deuxièmement, le système le plus éprouvé est celui de Genève, car l'administration y a eu recours plus souvent que tout autre pays ou gouvernement pour qui l'Internet est une méthode de vote viable (Alvarez et coll., 2009). Troisièmement, le processus d'élaboration du modèle genevois a été suivi de très près, ce qui expliquerait en grande partie son succès (Chevallier et coll., 2006). Enfin, Genève a établi un cadre juridique permanent pour soutenir le vote par Internet. Vu que le modèle genevois est probablement le plus avancé au monde, il est crucial d'examiner l'application Internet sur laquelle il s'appuie pendant les élections si on désire faire de même ailleurs.

Motifs d'adoption du vote électronique et conditions préalables

Genève a décidé d'offrir le vote par Internet pour plusieurs raisons. On cherchait avant tout à augmenter le caractère pratique du vote et la participation électorale. En effet, le taux de participation des Suisses est parmi les plus faibles des pays de tradition démocratique, se situant autour de 50 % (Auer et Trechsel, 2001). Cette situation est en partie attribuable au système suisse de démocratie directe, en vertu duquel les électeurs doivent se rendre aux urnes en moyenne de quatre à six fois par année (Geneva Internet Voting System, 2003). De plus, comme le vote par correspondance connaît un grand succès, il était probable qu'il en soit de même pour le vote par Internet. Familiers avec ce type de scrutin, les électeurs ont l'habitude de voter à la maison et de disposer de plusieurs semaines pour le faire. Entrent aussi en ligne de compte la grande proportion de Suisses qui habitent à l'étranger (580 000 des 7 millions) et l'importance que la fonction publique genevoise accorde à une attitude proactive à l'égard des technologies (BeVoting, 2007; République et Canton de Genève, 2009; Geneva Internet Voting System, 2003). En Suisse, un peu plus de la moitié des foyers (55 %) ont accès à Internet, et les deux tiers des internautes aimeraient avoir la possibilité de voter en ligne.

En 1999 et en 2000, au niveau fédéral, plusieurs motions parlementaires « demandant à la Confédération de prendre des mesures au chapitre » [traduction] des technologies de l'information et des communications ont été présentées, mais sans qu'il ne soit question précisément du vote par Internet. En 2002, le Parlement a adopté un article permettant d'effectuer des essais relativement au vote par Internet (Chevallier, 2009). En 1982, à Genève, le Parlement a promulgué une loi sur les droits politiques, laquelle autorisait des essais quant aux méthodes de vote. Cette disposition a été utilisée pour développer le vote par Internet jusqu'à ce que le Parlement (juin 2008) et les citoyens (février 2009) approuvent une modification constitutionnelle en vue de permettre le vote par Internet (Chevallier et coll., 2006; Chevallier, 2009). D'autres facteurs ont contribué au succès de l'application de vote par Internet en Suisse, notamment la liste électorale centralisée et informatisée, l'expérience en matière de démocratie directe et l'approche souple du secret du vote (République et Canton de Genève, 2009)39.

Élaboration, aspects techniques et fonctionnement général du modèle genevois

En 1998, le Conseil fédéral de la Suisse a mis sur pied pour la première fois un projet de gouvernement numérique, qui comprenait le vote par Internet et d'autres formes de participation électronique. Le gouvernement fédéral a demandé à trois des cantons les plus urbains (Neuchâtel, Genève et Zurich) de mener un projet pilote sur les méthodes de vote à distance et a accepté de le financer en partenariat. À partir de 2001, le système de Genève a été soumis à de nombreux essais, d'abord réservés aux référendums, puis appliqués à huit élections officielles entre 2003 et 2005 (Chevallier et coll., 2006; Kies et Trechsel, 2001)40. Pendant ces expériences, les électeurs pouvaient voter par voie traditionnelle, par correspondance ou par Internet. Or, le vote par correspondance et par Internet ne pouvait être effectué qu'avant le jour du scrutin. Le succès de ces expériences a poussé le gouvernement fédéral à autoriser le vote par Internet dans tout le pays en 2006 (République et Canton de Genève, 2009).

Le modèle de vote par Internet utilisé à Genève est fondé sur celui du vote par correspondance. Tous les électeurs reçoivent une carte de vote, qui peut être présentée lors du scrutin écrit, envoyée avec le vote par correspondance ou utilisée pour obtenir les codes nécessaires pour le vote par Internet. Chaque carte contient un numéro unique de seize chiffres désignant l'élection en question, une clé de contrôle de quatre chiffres et un code secret de six chiffres, lequel est dissimulé sous une surface opaque à gratter (Chevallier et coll., 2006, p. 439)41. L'électeur commence par entrer le code de seize chiffres. Le serveur effectue la vérification et envoie la clé de quatre chiffres à l'utilisateur aux fins d'auto-identification. Ensuite, il conçoit le bulletin électronique et établit un lien protégé entre l'électeur et ce dernier. L'électeur choisit parmi les options présentées, puis confirme sa décision ou la modifie. Pour ce faire, il doit fournir sa date de naissance, sa municipalité d'origine et le code secret de six chiffres apparaissant sur la carte de vote. Le vote est authentifié et l'électeur reçoit par voie électronique la confirmation qu'un bulletin a été soumis (Chevallier et coll., 2006).

Sur le plan de la sécurité, Genève n'a recours ni à la signature numérique ni à du matériel informatique supplémentaire comme l'Estonie. Le système fonctionne toutefois sous le même principe en ce qui concerne les enveloppes séparant le bulletin de l'identité de l'électeur. Une fois rempli, le bulletin est encodé à l'aide de caractères alphanumériques afin de dissimuler son contenu (la première enveloppe est scellée). Lorsque l'électeur confirme son identité et la joint au bulletin, celle-ci est encodée sur une autre couche de protection (deuxième enveloppe). Une fois le vote reçu, l'identité et le bulletin (les deux enveloppes) sont dans des fichiers différents. En outre, avant l'ouverture de l'urne, les bulletins sont mélangés afin qu'ils ne correspondent pas à la liste d'inscription des électeurs. D'autres mécanismes de sécurité sont en place, notamment un site Web certifié et une voie de communication protégée entre l'ordinateur de l'électeur et le serveur de vote (Chevallier et coll., 2006; République et Canton de Genève, 2009).

Indicateurs de succès

Dans l'ensemble, on estime que le programme est très réussi, notamment parce qu'il semble être à l'origine d'une augmentation du taux de participation électorale, et que le public réagit bien et utilise activement le système de vote par Internet. Par exemple, selon une enquête menée auprès du public, les électeurs qui choisissent de voter par Internet ont tendance à continuer de le faire (90 %), et cette méthode de vote est la principale méthode utilisée par les électeurs de moins de 50 ans (République et Canton de Genève, 2009)42. Il ne semble pas y avoir de fossé numérique sur les plans de la scolarité et du sexe, mais il y en a un en ce qui a trait à l'âge et à la connaissance d'Internet. De plus, en dépit de l'absence de données exhaustives sur la participation, 12 % à 27 % des personnes qui votent par Internet confient qu'elles s'en sont fréquemment abstenues par le passé, surtout celles qui sont âgées de 18 à 39 ans (République et Canton de Genève, 2009). Ces statistiques montrent que le développement du système de vote par Internet a eu des conséquences positives sur le taux de participation, en particulier chez les jeunes.

L'adoption du système repose sur trois aspects du processus d'élaboration. D'abord, le projet a été mis sur pied et soutenu par le plus haut responsable des droits politiques de Genève, soit le chancelier d'État. Ce dernier a présenté régulièrement des rapports périodiques au gouvernement et aux représentants de tous les partis politiques pour confirmer à chaque étape le respect des besoins et des attentes des partis et du public. Ensuite, l'élaboration et la mise en œuvre ont été effectuées à l'aide d'une approche progressive où les essais se sont peu à peu articulés autour de deux axes : les risques et le nombre d'électeurs éventuels (Chevallier et coll., 2006, p. 439). Cette démarche a permis aux représentants d'améliorer le projet au fur et à mesure et de mieux gérer les risques. Enfin, le projet a été confié à des équipes multidisciplinaires formées d'experts de divers domaines. Cet ensemble de connaissances et de perspectives a créé un système bien ficelé qui n'était pas trop axé sur l'un ou l'autre des aspects du développement d'un modèle, comme la sécurité ou la technique (Chevallier et coll., 2006).

Relever les défis

Malgré la réussite de son système, Genève a dû relever des défis de taille. Deux obstacles sont particulièrement dignes de mention. Sur le plan juridique, afin de respecter le droit de chaque citoyen suisse à assister au dépouillement des votes à son bureau de scrutin, on a créé une commission électorale de représentants choisis par les partis politiques et nommés par le gouvernement, qui surveille le dépouillement des votes par correspondance. Son rôle a été élargi avec l'avènement du vote par Internet43. En outre, pour apaiser les inquiétudes initiales quant à l'achat de votes, on a décidé de n'inclure aucun renseignement sur le contenu du vote dans le message de confirmation envoyé à l'électeur44. À Genève, les inquiétudes peuvent toutes être apaisées et les problèmes soulevés peuvent être surmontés.

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Royaume-Uni

Le Royaume-Uni est un cas important, car il a été l'un des premiers pays à tester différents types de vote à distance par Internet ainsi que de nombreuses méthodes de vote électronique. En outre, il importe de prendre en considération l'expérience de ce pays puisque sa commission électorale a décidé de mettre fin aux essais de vote électronique. Bien qu'il soit utile d'analyser les modèles de vote par Internet qui ont connu du succès, il est également important de se pencher sur les raisons qui ont mené certains gouvernements à annuler ces projets.

Motifs d'adoption du vote électronique à distance et conditions préalables nécessaires

Le Royaume-Uni a résolu d'adopter le vote à distance par Internet afin de moderniser le système électoral, de susciter la confiance du public, d'attirer les jeunes électeurs et, principalement, d'augmenter le taux de participation électorale. Rendre le processus électoral plus accessible pour les différents groupes d'électeurs était également un important facteur (Local Gouvernement Association, 2002). En offrant différentes possibilités de vote à distance aux électeurs, le gouvernement était en mesure de prolonger la période du vote, améliorant ainsi l'accès au scrutin pour la population.

En 2000, le gouvernement a créé la Commission électorale, une organisation dont le mandat est d'organiser des élections, de mener des recherches et d'envisager des réformes susceptibles d'améliorer le processus électoral britannique. La Commission bénéficiait du soutien de deux entités : le Department of Constitutional Affairs et la Electoral Modernization Unit. Ces deux organismes ont fait pression sur le gouvernement pour qu'il explore de nouvelles possibilités de scrutin afin d'accroître la participation électorale. La Commission électorale a mené des travaux de recherche approfondis avant de lancer les projets pilotes. Parmi ces travaux, on comptait notamment : une analyse intégrale de toutes les options et technologies envisagées; un bilan de tous les essais ayant eu lieu dans d'autres juridictions; une analyse du cadre juridique; et un sondage d'opinion auprès du public et des différents intervenants sur le vote électronique (le sondage visait à obtenir des données sur l'usage escompté du vote électronique et sur le degré de confiance du public à son égard). Par exemple, le sondage révélait que le public était grandement favorable au vote électronique. Plus de la moitié (55 %) des électeurs admissibles ont dit que le prolongement de la période du scrutin grâce au vote électronique allait les encourager à voter aux prochaines élections. Parmi les jeunes (18 à 24 ans), cette donnée atteignait 75 % (Commission électorale, 2003).

L'élaboration d'un cadre juridique pour le vote électronique au Royaume-Uni est également particulièrement intéressante, puisqu'il fallait modifier la loi avant de pouvoir lancer les essais. Ainsi, l'administration locale a cédé certains de ses pouvoirs au gouvernement central et a relégué son autonomie en matière de scrutin (Liptrott, 2006). L'adoption de la Representation of the People Act (2002) (la Loi sur la représentation du peuple) a rendu cela possible et a permis au Parlement d'adopter des règlements permettant l'essai de nouvelles méthodes de vote (Barry et coll., 2002). Ces conditions préalables ont été des étapes importantes précédant la mise en œuvre du vote électronique.

Élaboration, aspects techniques et fonctionnement général des essais du Royaume-Uni

Parallèlement aux travaux de recherche réalisés par la Commission électorale, le véritable travail d'élaboration du modèle au sein de chaque conseil local n'a commencé qu'avec le lancement, par le ministère des Transports, de l'Administration locale et des Régions (le ministère chargé de la politique électorale), d'un appel de propositions externe pour le vote électronique et le dépouillement électronique. Après avoir dressé la liste des fournisseurs de services retenus, on a invité les conseils locaux à présenter leurs propositions de projets pilotes susceptibles de moderniser le processus électoral. On a ensuite demandé aux conseils dont les propositions avaient été retenues de choisir un partenaire de l'industrie parmi une liste de fournisseurs. Chaque projet pilote a été par la suite élaboré individuellement.

Les premiers projets pilotes de vote électronique ont eu lieu en mai 200245. Trente circonscriptions ont pris part au projet, et seize d'entre elles ont testé des méthodes électroniques. Les essais ont touché 2,5 millions d'électeurs et ont été menés avec un budget de 4,1 millions de livres (Barry et coll., 2002). Les circonscriptions ont eu recours à un éventail de technologies et de combinaisons, notamment des postes de vote avec écran tactile (dans les bureaux de scrutin et dans les régions éloignées), le vote à distance par Internet, le vote par téléphone, le vote par message texte et le dépouillement électronique. Bien que certaines circonscriptions aient mis à l'essai une ou deux méthodes seulement, beaucoup ont choisi de mettre à l'épreuve plusieurs méthodes de vote électronique en même temps, de façon à offrir deux méthodes de vote ou plus (4 en 2002 et 13 en 2003). L'approche consistant à offrir plusieurs modes de transmission du vote a été rendue possible grâce à une liste électorale en ligne créée pour fournir l'infrastructure nécessaire aux circonscriptions désireuses de tester plus de deux méthodes de vote électronique (Xenakis et Macintosh, 2004).

En mai 2003, la Commission électorale du Royaume-Uni a lancé 59 projets pilotes additionnels dans des circonscriptions locales. Dix-huit d'entre elles ont mis à l'épreuve plusieurs types de vote électronique, pour un coût total de 18,5 millions de livres (Open Rights Group, 2007). De nouveau, les services électroniques offerts différaient selon la circonscription. Les mêmes méthodes testées en 2002 ont été offertes, en plus du vote par télévision numérique et du vote par technologie de carte à puce (Xenakis et Macintosh, 2004). Dans la plupart des cas, différentes combinaisons de transmission du vote étaient offertes. Par exemple, le conseil d'Ipswich a offert le vote à distance par Internet, le vote par téléphone et le vote par message texte. Shrewsbury et Atcham, pour sa part, a choisi d'adopter le vote à distance par Internet, par téléphone, par télévision numérique et le vote postal, en plus d'avoir recours au dépouillement électronique. Comparativement, Sheffield a mis à l'essai les nouvelles méthodes suivantes : le vote à distance par Internet, par téléphone, par message texte et les postes publics. Les bulletins de vote postal ont été offerts par plus de la moitié des municipalités, et le dépouillement électronique, ainsi que les heures d'ouverture prolongées, ont été mis sur pied dans un grand nombre de secteurs (Norris, 2005). Dans l'ensemble, 14 tests de vote à distance par Internet, 12 essais de vote par téléphone, 8 essais de vote électronique au bureau de scrutin, 4 tests de vote par message texte, 3 tests à des postes avec écran tactile et un test de vote par télévision numérique ont été réalisés dans le cadre des projets pilotes de 2002 et 2003. On estime que ces tests ont touché 6,4 millions d'électeurs (BeVoting, 2007; Liptrott, 2006).

Il est difficile de présenter un compte rendu des procédures particulières ou des caractéristiques techniques des méthodes de vote électronique employées au Royaume-Uni pour deux raisons. D'abord, de nombreuses combinaisons de ces technologies ont été employées simultanément, entraînant la mise à essai de plusieurs combinaisons différentes de systèmes de vote électronique. Deuxièmement, un cadre bien défini n'a pas été établi pour chaque type de technologie. Par exemple, en ce qui a trait au vote à distance par Internet, les circonscriptions de Swindon, Liverpool et Saint Albans ont toutes offert le vote à distance par Internet à leurs électeurs, mais ont eu recours à différents systèmes électroniques avec des caractéristiques distinctes, gérés par des fournisseurs différents. Ces différences compliquent l'évaluation de ces modèles, puisque les approches dissemblables sont susceptibles d'entraîner des résultats différents, même si la technologie employée est la même. Qui plus est, il est difficile de séparer ce qui fonctionne de ce qui ne fonctionne pas quand de multiples modes de transmission du vote sont adoptés en même temps.

Essais infructueux

En dépit des travaux de recherche approfondis et du respect des exigences préalables, les essais au Royaume-Uni n'ont pas été fructueux, notamment parce que la période d'élaboration et de test était trop courte pour le nombre de méthodes de vote mises à l'essai simultanément. Tandis que la plupart des autres pays ont limité leurs essais à une ou deux méthodes de vote électronique, le Royaume-Uni a voulu tester autant de combinaisons que possible afin de déterminer les options les plus efficaces. Malheureusement, la trop grande diversité des essais a fait en sorte qu'il était difficile pour la Commission électorale d'établir l'impact des méthodes individuelles.

La Commission électorale a officiellement résolu, en août 2007, de mettre un terme à tous les projets d'essai de vote électronique. En 2008, le gouvernement a annoncé que le vote électronique n'allait pas être employé pour les élections locales ni européennes de 2009. Les rapports gouvernementaux continuaient d'exprimer des réserves quant à l'état de sous-développement des systèmes de vote électronique, et relativement à leur sécurité et leur confidentialité. De plus, le succès du vote postal et les rapports très négatifs d'autres sources (la BBC et le Open Rights Group) ont également contribué à diminuer le soutien à l'égard du vote électronique. Finalement, un problème sérieux dans le dépouillement électronique est survenu lors des élections écossaises de mai 2007, ce qui a mené à une série d'examens et qui a été l'élément déclencheur mettant fin aux projets de vote électronique en Grande-Bretagne. En somme, la décision d'annuler le vote électronique est attribuable à deux grandes raisons : la sécurité et la capacité d'Internet et des autres méthodes électroniques d'augmenter le taux de participation électorale (Commission électorale, 2007).

D'abord, en ce qui concerne la participation électorale, les résultats du Royaume-Uni ont été mitigés. La participation électorale pour les élections locales de 2003 s'est élevée à 37 % au total, soit une hausse de 3 % par rapport à 2002 et de 5 % par rapport à 1999. Malgré cela, il est difficile de déterminer dans quelle mesure les nouvelles méthodes de vote électronique sont à la source de cette hausse timide. Bien qu'en 2003 trois municipalités aient noté une augmentation du taux de participation, de 9 à 12 % (ce qui comprenait Vale Royal, Shrewsbury et Atcham, et South Salisbury), deux tiers des autres circonscriptions ont enregistré une légère baisse de la participation électorale (Norris, 2005). De plus, pour ce qui est du recours au service en 2003, seulement 9 % des électeurs ont choisi de voter électroniquement. En général, quand les électeurs avaient le choix de voter par bulletin en papier ou par bulletin électronique, ils préféraient le bulletin en papier (BeVoting, 2007). Des sondages réalisés dans les circonscriptions participantes laissent entendre que, de toutes les méthodes offertes, le vote à distance par Internet était non seulement le plus populaire, mais aussi celui ayant eu l'impact le plus favorable sur la participation électorale, et ce, même si son impact a été minime et que, dans certains cas, la participation électorale n'a pas augmenté dans l'ensemble (Barry et coll., 2002). Toutefois, le gouvernement a estimé que la participation électorale n'avait pas suffisamment augmenté et que les taux d'utilisation n'étaient pas assez élevés pour considérer que les projets pilotes avaient été une réussite.

Deuxièmement, l'annulation des projets était aussi liée à des préoccupations importantes quant à la sécurité et aux défaillances informatiques. Notons entre autres la possibilité d'une intrusion informatique, de virus, de dangers présentés par l'absence d'une trace écrite, d'un manque de tests de sécurité avant le lancement et d'une violation du secret du vote par les représentants électoraux qui aidaient les électeurs à voter à domicile. Parmi les défaillances informatiques invoquées, on comptait des défectuosités dans les modes de transmission de vote (comme les ordinateurs portables), l'envoi de cartes renfermant des renseignements de connexion erronés et des retards dans la livraison des listes électorales aux bureaux de scrutin. Dans une circonscription, les électeurs ayant connu des difficultés techniques n'ont pas été autorisés à voter à des bureaux de scrutin ordinaires et ont été ainsi privés du droit de vote. Des problèmes plus sérieux sont survenus lors du dépouillement en Écosse, mettant en relief la nécessité de procéder à un travail d'élaboration et de mise à l'essai plus approfondi (Commission électorale, 2007; Open Rights Group, 2007). Ce sont toutes ces difficultés qui ont poussé la Commission électorale et le gouvernement du Royaume-Uni à mettre fin à tous les projets de vote électronique.

Mis à part ces soucis de sécurité bien légitimes, on n'a pas donné au projet de vote électronique au Royaume-Uni suffisamment de temps pour lui permettre de bien s'enraciner et se développer, et les attentes étaient trop élevées. Il semble que le projet ait échoué parce qu'un trop grand nombre de méthodes de vote électronique ont été mises à l'essai simultanément et de trop nombreux modèles de mise en œuvre ont été utilisés. La pression d'une mise sur pied rapide a aussi imposé des contraintes qui ont fait en sorte que les meilleures pratiques n'ont pas toujours été suivies et que les tests de sécurité n'ont pas toujours été réalisés (Barry et coll., 2002).

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36 Bien que la loi ait été adoptée en 2002, elle ne prévoyait la mise en œuvre du vote par Internet qu'en 2005.
37 La règle a été portée devant la Cour suprême pour violation du principe constitutionnel d'uniformité, selon lequel chaque citoyen ne peut voter qu'une fois et de manière semblable. La Cour a maintenu la loi en faisant valoir que les électeurs qui votent par voie électronique ne disposent que d'un bulletin et, en fin de compte, ils ont le même poids que les autres personnes (Madise et Martens, 2006).
38 Aux dernières élections locales, qui ont eu lieu le 18 octobre 2009, le taux de vote par Internet a atteint 15,75 %. La participation électorale était de 60,6 %, soit une augmentation de 13 % en comparaison avec les élections locales de 2005 (47,4 %) (Comité électoral national d'Estonie, 2009).
39 Bien que la Constitution de la Suisse garantisse le secret du vote, il est encore monnaie courante de voter à main levée dans certains cantons. Il s'agit d'une approche souple, en opposition avec les cadres stricts de protection de la vie privée (République et Canton de Genève, 2009).
40 Les fondements juridiques de ce projet ont été établis en 2002, lors de l'amendement de la loi fédérale de 1976 sur les droits politiques (Braun et Brändli, 2006). De plus, les autorités ont suivi les recommandations du Conseil de l'Europe, qui demandait que le vote électronique respecte tous les principes d'élection démocratique et qu'il soit aussi fiable et sûr que les méthodes conventionnelles (République et Canton de Genève, 2009).
41 Si cette couche était éliminée, le vote par Internet ne serait plus possible parce que l'électeur contrôlerait la carte (Chevallier et coll., 2006).
42 L'enquête révèle aussi un lien positif avec la scolarité et le revenu. Ainsi, plus un électeur possède une scolarité et un revenu élevés, plus il est susceptible de voter par Internet.
43 On se questionne toujours sur le développement de cette composante du vote par Internet (E-voting, 2009).
44 En Estonie, ce problème a été réglé en permettant à l'électeur de changer son vote avant la clôture du scrutin.
45 En réalité, le processus de modernisation a commencé en 2000 avec les essais du vote postal. Le vote postal a été un succès : la plupart des collectivités l'ayant testé ont connu une augmentation d'au moins 50 % du taux de participation électorale et une amélioration du taux de satisfaction du public à l'égard du processus électoral. Cependant, le taux de participation électoral total a connu une baisse, poussant le gouvernement à élargir le projet et à tester d'autres méthodes (Barry et coll., 2002; Norris, 2005).

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