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Perspectives électorales – Les nouvelles approches du développement démocratique

Perspectives électorales – Novembre 1999

Le pouvoir du peuple – La Colombie-Britannique fait l'expérience de la révocation

Robert A. Patterson
Directeur général des élections de la Colombie-Britannique

Le directeur général des élections de la Colombie-Britannique fait valoir qu'une campagne de destitution ne peut aboutir qu'avec un appui étendu au sein de la collectivité; les intérêts des factions ne peuvent suffire à faire révoquer un député.

Le Recall and Initiative Act, que les électeurs de la Colombie-Britannique peuvent invoquer pour obtenir la révocation d'un député de l'Assemblée législative, a été adopté en 1994 et est entré en vigueur en 1995.

Cette Loi a été adoptée à la suite d'un référendum tenu en même temps que l'élection générale d'octobre 1991 en Colombie-Britannique.

Le référendum comportait deux questions :

a) La loi devrait-elle autoriser les électeurs à voter, entre deux élections, pour la révocation de leur député provincial?

b) La loi devrait-elle autoriser les électeurs à proposer des questions que le gouvernement de la Colombie-Britannique devrait soumettre aux électeurs par voie de référendum?

Ces questions ont été posées aux électeurs à la suite d'une entente conclue entre le gouvernement social-créditiste de l'époque et le nouveau Parti Réformiste. L'entente était la suivante : les questions liées à la démocratie directe seraient soumises aux électeurs, mais le Parti Réformiste s'engagerait à ne pas présenter une liste complète de candidats à la prochaine élection, ce qui éviterait de diviser le vote de la droite.

Le gouvernement en était aux tout derniers mois de son mandat de cinq ans lorsque le Premier ministre a démissionné. Sous la direction de son successeur, le gouvernement espérait engager le Parti néo-démocrate constituant l'opposition officielle dans un « débat ouvert » au cours de la campagne électorale, afin de détourner l'attention des électeurs d'autres problèmes. Malheureusement pour le gouvernement, le chef des néo-démocrates déclarait dès le début de la campagne qu'il allait répondre « oui » aux deux questions, si bien que le débat n'a jamais eu lieu. En octobre 1991, les néo-démocrates ont formé le nouveau gouvernement.

Pour la question a, l'option « oui » a recueilli 81 % des votes valides.

Pour la question b, l'option « oui » a recueilli 83 % des votes valides.

Le 23 juin 1992, le procureur général de la Colombie-Britannique propose que le Comité permanent spécial sur la réforme parlementaire, l'éthique, le Règlement et les projets de loi d'intérêt privé soit autorisé à examiner toutes les questions et problèmes relatifs aux deux questions du référendum et à faire enquête. Le dossier lui est soumis le 25 mars 1993 et il dépose son rapport le 23 novembre 1993. La loi est présentée le 16 juin 1994.

Dispositions de la Loi

La législation sur la révocation des députés comprend les dispositions de base suivantes :

a) En cas de pétition valide, le député est démis de ses fonctions et son siège à l'Assemblée législative devient vacant.

b) Une demande de révocation par voie de pétition ne peut pas être présentée au cours des 18 mois qui suivent l'élection d'un député. Cette disposition permet à un député, une fois élu, de se familiariser avec les responsabilités de son poste. En outre, elle permet d'éviter le phénomène des « mauvais perdants » qui présentent immédiatement une demande de révocation afin d'inverser les résultats du scrutin.

c) Les seules personnes autorisées à signer la pétition sont les électeurs inscrits dans la circonscription électorale du député au moment de l'élection et qui sont encore inscrits au moment de la signature de la pétition, bien que pas nécessairement dans la circonscription du député. Le Comité juge que la révocation doit être considérée comme une « reconsidération» par les électeurs de leur choix fait à la dernière élection.

d) Plus de 40 % des électeurs admissibles qui étaient inscrits dans la circonscription du député au moment de l'élection doivent signer la pétition pour que celle-ci soit valide. (Si nous nous basons sur les chiffres actuels, le nombre requis de signatures certifiées pourrait aller d'un minimum de 5 800 à un maximum de 18 470.) Le Comité avait recommandé qu'on retienne le chiffre de 50 %, mais ce pourcentage est réduit au cours de l'examen du projet de loi. Ces chiffres sont jugés suffisamment élevés pour protéger l'intérêt public en ce sens que cela éviterait à un député d'être soumis à du harcèlement.

e) Le proposant dispose de 60 jours pour recueillir le nombre requis de signatures. Il peut faire appel à l'aide de bénévoles qui sont des électeurs inscrits (n'importe où dans la province) et qui étaient déjà résidants de la province au moins six mois avant de se faire inscrire au bureau du directeur général des élections comme solliciteurs de signatures.

f) Une fois que la pétition a été présentée, le directeur général des élections dispose de 42 jours civils pour vérifier les signatures que porte le document. On commence par balayer les feuilles de la pétition afin de créer des images numériques. On s'assure ensuite que chaque signataire de la pétition figure sur la liste électorale permanente informatisée. Finalement, on effectue (sur un écran divisé) une comparaison visuelle entre la signature apparaissant sur la pétition et la signature apparaissant sur la demande d'inscription de l'électeur.

g) Si un nombre suffisant de concordances a été établi, si le rapport de financement de la pétition a été déposé à temps par le proposant et si le plafond des dépenses n'a pas été dépassé, la pétition est déclarée recevable et le député est démis de ses fonctions. [Plafond des dépenses : base de 25 000 $ augmentée de 25 cents pour chaque électeur inscrit au-delà de 25 000; ce montant est à nouveau augmenté, lorsque la densité de la population de la circonscription est inférieure à deux électeurs inscrits au kilomètre carré, de 15 cents multiplié par le nombre de kilomètres carrés, jusqu'à un maximum de 25 % du chiffre de base.]

h) Si une vacance est ainsi créée, le directeur général des élections en avertit le député ainsi que le président de l'Assemblée qui émet alors un mandat pour la délivrance d'un bref d'élection partielle dans les 90 jours qui suivent.

i) Le député révoqué peut se porter candidat à l'élection partielle.

Mise en œuvre de la Loi

L'hiatus de 18 mois vécu par les députés prend fin le 28 novembre 1997, et le même jour deux demandes de révocation par voie de pétition sont soumises au directeur général des élections; la première vise le ministre de l'Éducation, l'honorable Paul Ramsey, et la seconde, le député du parti au gouvernement, M. Helmut Giesbrecht. Ces deux députés représentent des circonscriptions étendues, où la plus grande partie de la population stable est cependant concentrée dans une ou deux localités importantes.

Comme le gouvernement détient une majorité de trois voix, certains jugent que les deux campagnes de révocation sont des tentatives de groupes d'intérêt pour renverser le gouvernement en imposant des élections partielles que le gouvernement est censé perdre. Les deux proposants soutiennent cependant que ces campagnes sont motivées par la médiocrité des résultats obtenus par les deux députés dans leurs circonscriptions électorales respectives.

Les deux campagnes ne tardent pas à prendre un caractère acrimonieux et à être marquées par des attaques personnelles. Aux allégations de tentatives d'influence et de contrôle de l'extérieur des circonscriptions s'ajoutent des allégations de manœuvres d'intimidation à l'égard des électeurs. Dans une certaine mesure, il y a effectivement une participation de l'extérieur, et les pressions ressenties par certaines personnes qui reçoivent des lettres de chefs syndicaux sont perçues comme une tentative d'intimidation. Certains considèrent également que l'obligation légale de permettre au public d'inspecter les feuilles de pétition signées à la fin du processus de vérification est un facteur d'intimidation.

La pétition contre le député d'arrière-ban est retirée le dernier jour de la période de pétition (le 3 février 1998), lorsque le proposant déclare qu'il lui manque environ 1 500 signatures pour atteindre le chiffre requis. Plutôt que de soumettre les signatures obtenues, le proposant brûle les feuilles de pétition afin d'éviter qu'elles soient inspectées par le public.

La pétition contre le ministre de l'Éducation est soumise le 3 février 1998, date limite. Le compte des signatures effectué ligne par ligne montre que la pétition contient 8 323 signatures non certifiées, soit 585 signatures de moins que le nombre minimum de signatures certifiées requis. Le directeur général des élections rejette donc la pétition, et aucune vérification des signatures n'est effectuée.

Le proposant réclame alors un examen judiciaire des raisons pour lesquelles le seuil de 40 % a été établi. En novembre 1998, il annonce son intention de retirer la pétition, et en décembre 1998, il soumet un avis de désistement, après que le Parti néo-démocrate ait annoncé que son analyse des feuilles de pétition révèle qu'il n'y a que 6 521 signatures possiblement valides.

La législation tournée en dérision

Cinq nouvelles pétitions de révocation sont déposées entre le 12 décembre 1997 et le 27 janvier 1998. L'une d'entre elles vise le chef de l'opposition officielle, M. Gordon Campbell, et une autre, le ministre de l'Éducation. Le public considère ces pétitions comme des tentatives frivoles de tourner la législation en dérision. Voici deux exemples de raisons données pour des révocations : « nous ne pouvons tout de même pas rendre El Niño coupable de tout », et « ils réclament une révocation afin de pouvoir élire quelqu'un de moins ennuyeux ». Aucune de ces tentatives ne dépasse le stade de la présentation des pétitions.

Le septième requérant se montre plus agressif. La pétition vise une députée du parti au gouvernement, Mme Evelyn Gillespie, qui appartient à une circonscription semi-urbaine. Madame Gillespie fait valoir que la demande de révocation est inspirée par des motifs personnels du proposant qui est mécontent de la position prise par la députée vis-à-vis d'un litige portant sur la garde d'un enfant dans lequel le proposant est mis en cause. Ce dernier fait valoir que la demande de révocation est inspirée par le fait que la députée n'a pas été capable de transmettre efficacement les vœux de ses mandataires au gouvernement. Tenu de recueillir plus de 17 048 signatures valides, le proposant n'organise pas de sollicitation de signatures porte-à-porte; il se contente d'espérer que les gens passeront signer la pétition aux rares bureaux établis pour cela dans la circonscription. À la fin de la période de pétition, le proposant prétend que la campagne a permis de recueillir 10 000 signatures environ, mais il refuse de les soumettre au directeur général des élections et décide de les détruire.

Démission d'un député

L'un des organisateurs de la campagne de révocation, Mark Robinson, remet des boîtes de pétitions à Cassandra McClarnon à la réception d'Élections Colombie-Britannique.
L'un des organisateurs de la campagne de révocation, Mark Robinson, remet des boîtes de pétitions à Cassandra McClarnon à la réception d'Élections Colombie-Britannique.

La huitième pétition est engagée après qu'un journal communautaire révèle qu'un député de l'opposition, M. Paul Reitsma, a écrit sous un nom fictif un certain nombre de lettres à l'éditeur, dans lesquelles il critique ses opposants et se présente lui-même sous un jour flatteur. Au début, M. Reitsma nie, mais lorsque d'autres éléments de preuve sont apportés, il reconnaît finalement être l'auteur de ces lettres. De tous côtés, on réclame alors sa démission, mais M. Reitsma refuse et la demande de révocation suit au bout de quelques jours.

Le proposant est tenu de recueillir plus de 17 020 signatures d'électeurs inscrits. Une campagne très bien orchestrée dans la circonscription électorale semi-urbaine, entreprise avec l'aide de plus de 190 solliciteurs, permet de recueillir 25 470 signatures au cours des 60 jours prévus. Le député n'entreprend pas de campagne pour sa défense.

Le traitement initial des feuilles de signature permet d'établir qu'il y a 17 318 correspondances parfaites entre les noms figurant sur la pétition et ceux qui apparaissent sur les listes électorales, avant vérification des signatures. Il y a concordance possible pour 2 945 autres noms; pour les 5 207 noms restants, la concordance avec la liste électorale n'apparaît pas immédiatement.

Dès le lendemain du début du processus de vérification des signatures, et avant même que la première série de signatures soit vérifiée, le député remet sa démission. Cette démission confirmée, la révocation n'a plus de raison d'être et la vérification des signatures est donc interrompue, conformément à l'esprit de la Loi et au simple bon sens.

Bien que le député n'ait pas été officiellement révoqué en vertu de la Loi, le traitement initial des documents soumis par le proposant montre clairement que si le député n'avait pas démissionné, il aurait été révoqué.

À la fin de l'été 1998, les médias provinciaux publient les allégations d'un dénonciateur qui prétend qu'un certain nombre de contributions et de dépenses n'ont pas été déclarées dans le cadre des campagnes antirévocation des députés à Prince George North, à Skeena et à Comox Valley. Dans le sillage des allégations ainsi publiées, une troisième pétition est lancée pour obtenir la révocation du ministre de l'Éducation, bien qu'aucune mention directe ne soit faite de ces allégations dans l'exposé des motifs de révocation présentés par le proposant. Datée du 7 octobre, cette pétition est également retirée à la date à laquelle elle devait être présentée, le 7 décembre. Encore une fois, selon les comptes rendus des médias, les signatures recueillies (7 838) étaient moins nombreuses (de plus de 1 000) que les signatures certifiées exigées (8 908) pour imposer une élection complémentaire.

Vérifications judiciaires

Le 18 septembre 1998, à la suite des allégations publiées, le juricomptable Ron Parks est embauché pour effectuer une enquête sur les rapports financiers de tous les participants au processus de révocation dans les trois circonscriptions électorales. Avant d'être rendue publique, le 18 mars 1999, une version provisoire du rapport est soumise à la GRC et un procureur spécial est désigné par la Direction de la justice criminelle du ministère du Procureur général de la Colombie-Britannique. En fin de compte, on décide de ne pas imposer de sanction administrative ou d'entreprendre de poursuites au criminel.

Bien que l'enquête révèle que des particuliers et des organisations autres que les participants autorisés ont participé aux activités de révocation, M. Parks et le procureur spécial déclarent que certaines parties du Recall and Initiative Act sont difficiles à interpréter ou se prêtent à de fausses interprétations. La plupart des erreurs relevées dans les rapports de financement étaient mineures; cependant, on exige d'un certain nombre de participants autorisés qu'ils présentent des rapports financiers supplémentaires afin d'assurer une pleine divulgation des contributions et des dépenses.

Le vérificateur et le procureur spécial précisent également que le caractère particulier de la loi et le fait qu'elle n'a pas été mise à l'épreuve ont pu contribuer aux erreurs et aux malentendus. Le Bureau du directeur général des élections de la Colombie-Britannique prend donc des mesures pour assurer une meilleure compréhension et observation de la Loi. Il devra en outre soumettre à l'Assemblée législative un rapport sur le processus de révocation.

Le soutien de la collectivité est indispensable

Il semble que la leçon que l'on peut tirer de ces tentatives de révocation est que ce type de campagne ne peut réussir que si elle bénéficie d'un fort soutien de la collectivité. Ce ne saurait être une opération strictement politique, lancée par une faction qui veut faire perdre son siège à un député d'une autre faction; le processus de révocation exige un appui étendu, par-delà les tendances politiques.


Note : 

Les opinions exprimées par les auteurs ne reflètent pas nécessairement celles du directeur général des élections du Canada.