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Perspectives électorales - La participation au processus électoral

Perspectives électorales – Janvier 2001

Immigrants and Ethnoracial Minorities
In Canada: A Review of Their Participation in Federal Electoral Politics

Jerome H. Black
Professeur, Département de sciences politiques, Université McGill

Le présent article fait le point sur la participation des immigrants et des membres des minorités ethnoraciales aux élections fédérales canadiennes. Il porte sur les membres des « minorités visibles » ainsi que des groupes ethniques traditionnels de descendance européenne (à l'exception des groupes des communautés « majoritaires » britannique et française)note 1. Il s'agit d'abord de dresser le profil de leur engagement politique à titre d'électeurs ordinairesnote 2, de candidats et de députés, puis de cerner les principaux facteurs à l'origine de leurs niveaux différents de participation à ces sphères de la vie politique. Comme les analystes de la participation électorale et, à vrai dire, de la politique canadienne en général, ont accordé peu d'attention aux immigrants en tant que catégorie distincte et se sont rarement aventurés au-delà de la perspective binationale (britannique-française) dans l'interprétation de la participation politique des minorités ethnoculturelles, nous ne pouvons présenter ici qu'une esquisse, plutôt qu'un tableau complet, de la situation.

La prémisse qui oriente notre étude est que les chercheurs canadiens devraient s'intéresser de près à la participation des immigrants et des minorités au processus électoral. Ils feraient d'importantes découvertes, comme la capacité de ces personnes (relativement nombreuses) de jouer un rôle actif à titre de citoyens, l'influence qu'exercent les institutions et les processus politiques pour encourager ou entraver leur participation et les conséquences de leur participation pour le système politique lui-même. Quelques études fiables et relativement récentes démontrant que les personnes nées à l'étranger et membres de minorités participent généralement à la politique canadienne, témoignent des avantages que peut offrir ce type d'analyse. Ces nouvelles connaissances infirment les descriptions antérieures faisant état d'une certaine passivité politique et mettent en évidence une diversité ethnoraciale croissante chez les parlementaires, quoique des groupes importants, notamment les minorités visibles, demeurent sous-représentés.

Les immigrants et les membres des minorités en tant qu'électeurs

Quelques études réalisées dans les années 1960 et 1970 tendaient à refléter et à ancrer une vision pessimiste selon laquelle les personnes nées à l'étranger, surtout, étaient incapables de faire l'apprentissage des normes et des valeurs associées à la politique canadienne et de participer activement à cette politiquenote 3. On a donc mis davantage l'accent sur les explications de la passivité politique que sur tout corrélat possible de militantisme. Ce point de vue était coloré par les termes et les idées de la théorie de l'« assimilation » ou par des notions complémentaires de « socialisation », lesquelles soulignaient combien il était long et difficile pour les immigrants de s'établir et/ou combien l'apprentissage politique était une expérience perturbatrice pour eux, en tant qu'étrangers. Entre autres facteurs négatifs, mentionnons : les liens sociaux limités des immigrants et la précarité de leur attachement à un milieu de travail qui, autrement, stimulerait leur politisation et leur engagement; leur statut économique souvent inférieur; leur faible maîtrise de la langue du pays hôte; et les différences culturelles qui entravent le transfert d'expériences politiques. Par ailleurs, on considérait généralement que les membres des groupes minoritaires nés au Canada participaient moins à la vie politique que ceux des deux groupes majoritaires, soit parce qu'ils étaient vus comme subordonnés en termes ethnoraciaux ou (si l'on reprend l'argument concernant les immigrants), que leurs communautés n'étaient pas encore aussi « solidement enracinées » que chez les majorités multigénérationnelles. Pour des raisons semblables, on pouvait concevoir des différences de participation entre des groupes plus établis (p. ex. les Européens du Nord) ou moins établis (p. ex. les Européens du Sud).

En réalité, ces études n'offraient en général que des distinctions restreintes entre les effets de la nationalité et de l'ethnicité. Or, faute de telles distinctions, on risque de tirer de fausses conclusions – par exemple, expliquer le niveau de participation inférieur d'une communauté par des attributs reliés au caractère ethnique quand il découle plutôt d'une forte concentration d'immigrants récemment arrivés et dont l'intégration politique est en phase de transition. De même, le militantisme politique des immigrants (ou des personnes nées au Canada) peut, en fait, varier selon les différences liées à la communauté. En outre, il est important d'employer des techniques multivariables pour que toutes les conclusions relatives aux comportements différents tiennent compte de facteurs comme le statut socio-économique, qui motivent habituellement la participation.

De telles subtilités n'étaient pas évidentes dans l'étude de Wood (1981) comparant le comportement politique des ressortissants des Indes orientales et des autres électeurs dans une circonscription de Vancouvernote 4. Néanmoins, en constatant qu'il y avait une participation pratiquement identique des deux groupes et que l'on retrouvait la même équation dans les sondages menés sur la participation aux élections fédérales de 1979, l'étude remettait en cause la description traditionnelle de la passivité des minorités. Quelques études ultérieures basées sur des procédures méthodologiques plus appropriées se sont avérées plus précises à cet égard. Dans son étude publiée en 1982, Black s'est attaché à comparer les niveaux de participation des immigrants et des non-immigrants en se basant sur un sondage national des électeurs mené au Canada en 1974note 5. Même si les données n'ont permis d'établir que des distinctions brutes entre les Canadiens de souche (Britanniques, Français, « autres ») et les étrangers (Britanniques, non- Britanniques), l'étude a révélé une tendance générale chez les immigrants (naturalisés) à afficher des niveaux de participation semblables à ceux des Canadiens de souche. Les immigrants non britanniques ne présentaient qu'un taux de participation légèrement inférieur, et ils étaient aussi impliqués que les autres Canadiens en campagne électorale. Le même chercheur a pu explorer d'autres distinctions fondées sur le caractère ethnique dans une enquête menée dans la région de Toronto en 1983, laquelle comprenait des sous-échantillons de Canadiens de souche et d'immigrants originaires de la Grande-Bretagne et de quatre régions géographiques, soit l'Europe du Nord, du Sud et de l'Est, ainsi que les Antilles britanniques. Les grandes conclusions de l'étude découlent d'un examen de toute la gamme des comparaisons possibles entre le pays de naissance et l'ethnienote 6. Une des conclusions confirme que la participation électorale était plus faible de la part des immigrants que de la part des membres des groupes minoritaires comme tels. Par exemple, chez les électeurs natifs du Canada, les groupes minoritaires étaient aussi politiquement impliqués lors d'une élection (et à d'autres moments) que l'étaient les Britanniques. Il faut cependant noter que sauf exception, les immigrants participaient considérablement aux élections canadiennes et qu'en fait les immigrants « plus établis » étaient aussi politiquement engagés que les membres de minorités nés au Canadanote 7.

Les conclusions assez semblables obtenues par Chui et ses collaborateurs, à partir du sondage électoral national de 1984, donnent à penser que les résultats basés sur l'étude de Toronto n'étaient pas idiosyncratiquesnote 8. Même avant l'application des mesures de contrôle, les chercheurs n'ont relevé que des différences mineures entre les personnes nées à l'étranger et celles nées au Canada, et c'est seulement chez les immigrants arrivés au Canada depuis moins de dix ans qu'ils ont noté une probabilité moins grande de participer aux élections fédérales. Les chercheurs ont aussi directement remis en question l'idée que les groupes d'immigrants établis au Canada depuis plusieurs générations participent davantage à la vie politique. En fait, les taux de participation électorale sont plus élevés chez la seconde génération, et en deçà de la moyenne chez les Canadiens de la quatrième et de la cinquième génération. Une autre étude qui a permis de réviser les opinions au sujet de la participation des groupes minoritaires est l'analyse multidimensionnelle de Lapp sur la participation électorale dans cinq communautés ethniques de Montréal, d'après des données générales tirées du recensement de 1991 et des résultats officiels des électionsnote 9acute;s chinoise et juive avaient voté en moins grand nombre que la population générale, mais que les Italiens et les Portugais se situaient à peu près dans la norme alors que les Grecs l'avaient même dépassée. D'autres études ont également constaté un taux de variation dans la participation des communautés ethniques. Auparavant, Black avait découvert, et c'était là une exception, que les immigrants des Antilles britanniques participaient nettement moins aux campagnes électorales et aux scrutinsnote 10 alors que Chui constatait un taux de participation inférieur à la moyenne chez les immigrants d'origine asiatique (et, dans une moindre mesure, chez les Européens du Sud).

Les études plus récentes ont également permis de mieux comprendre les origines de la participation des immigrants et des groupes minoritaires, remettant en question certaines conclusions antérieures. Par exemple, Black a constaté que les immigrants qui s'étaient engagés dans la politique de leur pays d'origine, y compris les régimes non démocratiques de l'Europe de l'Est, étaient capables de « transférer » ces expériences et de participer activement à la politique canadiennenote 11. De façon plus générale, les nouvelles recherches ont permis d'établir un meilleur équilibre dans l'identification des corrélats du militantisme, y compris la découverte que certains immigrants et groupes minoritaires sont dotés d'attributs, comme des ressources socio-économiques, qui facilitent d'ordinaire la participation. En outre, on a mis davantage l'accent sur la question de la mobilisation, plus particulièrement sur le rôle que la communauté ethnique peut jouer en donnant des signaux contextuels et en offrant des possibilités qui incitent les membres de la communauté à la participation. Par exemple, il semble exister une corrélation modérée entre la couverture médiatique accordée aux immigrants ethnoculturels et leur engagement en politiquenote 12. Dans l'étude effectuée à Montréal, des entrevues avec des membres de l'élite des cinq principales communautés semblent indiquer que ces leaders peuvent jouer le rôle d'agents de mobilisation des électeurs.

Les immigrants et les membres des minorités en tant que candidats et députés

Photo: Pierre Gaudard, NFB Collection, CMCP
Une femme de Toronto regarde la scrutatrice déposer son bulletin de vote
dans l'urne lors de l'élection générale de 1963. Trente ans plus tard,
après la modification de la loi électorale (projet de loi C-114, adopté en
1993), les électeurs ont obtenu le droit de déposer eux-mêmes leur
bulletin de vote dans l'urne.

Au niveau de l'élite, les immigrants et les membres des minorités ont accru leur présence parmi les candidats et les députés, mais certains groupes ont eu davantage de succès que d'autres. La preuve en est principalement fournie par les candidats élus, notamment dans l'examen que fait Pelletier des députés élus au Parlement fédéral de 1965 à 1988note 13. Ses données font état d'une augmentation d'un ou deux points de pourcentage d'une élection à l'autre, de sorte que les groupes minoritaires détenaient 16,3 % des sièges en 1988note 14. L'élection de 1993 a cependant été l'occasion d'une augmentation exceptionnelle. Grâce à un classement multiméthodes, et suffisamment précis pour distinguer les personnes d'ascendance mixte minorité-majorité, Black et Lakhani ont estimé que 24,1 % des députés élus à la 35e Législature étaient d'origine minoritaire alors que 9,1 % avaient des antécédents mixtes note 15. Pour les minorités européennes, l'augmentation a été suffisante pour que leur nombre de sièges corresponde à leur part de la population, quoique certains groupes (comme les Portugais) sont demeurés sous-représentés. Quant aux 13 députés issus de minorités visibles élus en 1993, ils représentaient une augmentation marquée par rapport aux 5 élus en 1988, mais ne formaient que 4,4 % du total des élus, une proportion bien inférieure à leur incidence démographique de 9,2 % selon le recensement de 1991. Ce déficit de représentation s'est légèrement rétréci à la suite de l'élection de 1997. Les 19 membres de minorités visibles élus à la 36e Législature détenaient 6,3 % des sièges, ce qui demeurait bien en deçà de la proportion de ces minorités (11,2 %) au sein de la population générale lors du recensement de 1996 note 16.

Les minorités visibles demeurent par ailleurs sous-représentées chez les candidats des principaux partis, soit 3,3 % des candidats en 1988 et 3,5 % en 1993note 17. Parallèlement, on comptait plus de candidats de groupes minoritaires, dans l'ensemble, lors de l'élection de 1993 (21,9 %), comparativement à celle de 1988 (18,2 %). Enfin, pour revenir aux parlementaires, on constate que les députés issus de groupes minoritaires ont augmenté leur pourcentage de sièges d'environ un point seulement à l'élection de 1997 sur celle de 1993, augmentation qui se rapproche davantage du rythme d'avant 1993. Dans l'ensemble, le Parlement comptait toujours un nombre disproportionné de députés d'origine britannique et française.

Qu'est-ce qui explique cette diversité croissante au Parlement, acquise par faibles augmentations et accusant encore des déficits de représentation? Il faudra attendre d'autres recherches pour trouver les vraies réponses, mais plusieurs éléments d'explication ressortent déjà des quelques études disponibles. On a surtout souligné les problèmes d'accès à la candidature – notamment la longueur d'avance dont bénéficie tout député sortant ainsi que les contraintes financières –, problèmes qui se manifestent particulièrement au niveau local des partis, où d'ordinaire les candidatures se décident. Les minorités, comme tous les nouveaux groupes sociaux qui aspirent à être mieux représentés, sont confrontées à la règle générale qui décourage la contestation des députés en place (qui représentent habituellement les circonscriptions les plus recherchées du parti) et aux coûts potentiellement élevés des campagnes d'investiture en milieu urbain (coûts non réglementés, contrairement à ceux des campagnes électorales générales). Ces obstacles ont été cités par des militants politiques et des candidats issus de groupes minoritaires qui ont été interviewés pour une étude effectuée par Stasiulis et Abu-Labannote 18. On s'est également plaint du traitement négatif des médias, particulièrement de la couverture désapprobatrice accordée à la mobilisation des membres des communautés durant les mises en candidature, et de l'image étriquée qu'on donnait des candidats d'origine ethnique, en les présentant comme étant uniquement capables de traiter de « questions ethniques ».

Les pratiques d'exclusion des partis locaux ont également été évoquées. L'une d'elles, décriée également par les leaders des minorités visibles interviewés par Simard et ses collaborateursnote 19, était de s'appuyer sur des réseaux de recrutement restreints qui, dans bien des cas, n'englobaient pas les communautés ethniques. De façon plus générale, les partis locaux étaient essentiellement décrits comme des « gardiens » dont les normes et les pratiques – et dans certains cas les attitudes racistes et les stéréotypes – posaient de graves problèmes, spécialement, mais pas exclusivement, aux minorités visibles. La mise en candidature d'un nombre disproportionné de membres de minorités visibles dans des circonscriptions pratiquement perdues d'avance constitue aussi un indice de préjugés en matière de recrutement. (En fait, la montée des députés issus de minorités en 1993 était en partie fortuite, et due au partage imprévu du vote entre les progressistes-conservateurs et les réformistes, ce qui a permis à des députés libéraux de groupes minoritaires de se faire élire dans des circonscriptions peu sûres.) On constate également que les candidats et les députés des minorités visibles ont des antécédents supérieurs à la moyenne, ce qui soulève la nette possibilité que ce type d'avantage soit une condition préalable pour faire contrepoids aux attitudes discriminatoires note 20. Par ailleurs, ces qualités exceptionnelles aident probablement à expliquer leur capacité de gravir les échelons, tout comme, pour certains groupes, le fait de remporter une mise en candidature grâce à la mobilisation de la communauté, ou même le fait que des partis recrutent parfois des candidats d'origine ethnique pour gagner des votes dans certaines circonscriptions.

Pour expliquer la sous-représentation de certains groupes, on peut également citer d'autres facteurs, liés à la conviction populaire selon laquelle l'établissement d'une communauté se fait par étapes. La Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis a attribué le faible nombre de députés des minorités visibles par rapport à ceux d'ascendance européenne notamment au fait que les premiers devaient traverser une « période de transition » nécessaire que les derniers avaient déjà franchie note 21. Bien qu'il y ait sans doute là-dessous une part de vérité, le fait que près de la moitié des députés issus de groupes minoritaires étaient nés à l'étranger démontre que le lieu de naissance n'est pas en soi un obstacle majeur au niveau de l'élitenote 22.

Dernières réflexions

Quels enseignements peut-on tirer de ces images plus récentes de la participation des groupes minoritaires et des immigrants à la vie électorale canadienne? D'abord, il est assez évident qu'il faudra davantage de recherche. L'une des priorités est l'exploration des différences dans les taux de participation électorale de communautés spécifiques. Cela nécessiterait sans doute une double analyse : au niveau individuel, on aborderait des aspects comme le degré d'identification au groupe et l'engagement à l'égard des objectifs politiques du groupe, tandis qu'au niveau collectif on mettrait l'accent sur la « culture politique » de la communauté, ses institutions et ses modèles de leadership, ses stratégies partisanes et ses préoccupations politiques dominantes, y compris tout enjeu lié à la patrie d'origine. Il faut faire davantage de recherche également sur les candidatures de membres de groupes minoritaires. La nature et l'impact de la discrimination et des préjugés, plus particulièrement, nécessitent des travaux plus nuancés et plus empiriques. L'une des questions concrètes est de savoir s'il est vrai, comme on semble le croire dans certains milieux politiques, que les électeurs canadiens pourraient hésiter à voter pour des candidats de minorités visibles.

L'analyse de la participation des immigrants et des membres des groupes minoritaires attire également l'attention sur la pertinence des propositions de réforme visant à accroître la participation. Il a surtout été proposé jusqu'ici de respecter davantage les besoins linguistiques (et autres) des nouveaux Canadiens dans les processus de vote et d'inscription, mais on a également suggéré d'accorder le droit de vote aux immigrants reçus. Une plus grande variété de recommandations a été mise de l'avant pour augmenter le nombre de députés issus des groupes minoritaires. Mentionnons notamment la possibilité d'incorporer un élément de représentation proportionnelle dans le système électoral (pour permettre des listes de parti plus « équilibrées »); la réglementation des campagnes d'investiture; l'imposition de limites aux mandats des députés, et l'adoption de mesures incitatives pour encourager les partis à être plus proactifs dans le recrutement de candidats minoritaires, particulièrement dans les circonscriptions plus sûres.

L'examen de la participation électorale des immigrants et des groupes minoritaires conduit à une réflexion accrue sur d'autres questions, y compris les débats sur la politique multiculturelle et la nature de la représentation des intérêts minoritaires. Comme l'a noté Kymlicka, la preuve de la participation des minorités remet en question l'argument selon lequel le multiculturalisme, en valorisant la différence, encourage la séparation et l'isolementnote 23. Le lien positif constaté entre la consommation de médias ethnoculturels et la participation à la vie canadienne laisse supposer que l'intégration politique peut être pratiquée dans le contexte de la diversité. Lapp a d'ailleurs observé que les membres de l'élite de communautés ethniques montréalaises préféraient utiliser des arguments électoraux mettant l'accent sur l'intégration à la société en général, plutôt que des arguments axés sur la promotion de leurs communautés.

Néanmoins, la question de savoir si un militantisme politique accru favorise la cause des minorités demeure une question importante, surtout au niveau des élites. Il semble, d'après certaines indications, que les candidats de groupes minoritaires ont des vues différentes sur ce pointnote 24, bien qu'il ne soit pas clair dans quelle mesure ils tiennent à défendre les intérêts des minorités. Les quelques députés de minorités ethniques – minorités visibles pour la plupart – qui voudraient s'occuper d'enjeux touchant particulièrement leurs communautés seraient toujours soumis aux sévères contraintes imposées aux élus. Certaines pressions sont communes à tous les députés, comme la discipline imposée par la direction du parti pour limiter l'action indépendante. D'autres sont propres aux députés issus des minorités, comme la difficulté d'équilibrer la représentation des intérêts propres à leur circonscription, et les intérêts propres à leur communauté, qui ne sont pas nécessairement restreints à un territoire particulier. Ceux qui défendent les intérêts d'une minorité risquent également d'être étiquetés et de perdre leur crédibilité s'ils sont perçus comme trop ardents dans leurs démarches. Ce risque découle à son tour du contrôle que continuent d'exercer les politiciens majoritaires et de leur tendance à définir la politique ethnoculturelle presque exclusivement en fonction des relations britanniques-françaises.

Il reste à voir si l'augmentation du nombre de députés issus des groupes minoritaires remplacera cette approche traditionnelle par une vision plus réaliste qui reflète l'éventail complet de la diversité canadienne. Entretemps, la présente étude aura démontré que dans l'ensemble les immigrants et les membres des groupes minoritaires participent activement à la vie électorale du pays.


ENDNOTES

Note 1 La présente étude ne porte pas sur les expériences des peuples autochtones au Canada.

Note 2 Pour un compte rendu historique des restrictions de vote imposées à beaucoup de groupes ethnoraciaux, surtout aux minorités visibles, L'histoire du vote au Canada (Ottawa, ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux Canada, 1997), publié pour le directeur général des élections du Canada. La participation à une campagne est considérée ici comme une forme de participation au processus électoral.

Note 3 Pour un bref examen des recherches antérieures, voir T. Chui et coll., « Immigrant Background and Political Participation: Examining Generational Patterns », Cahiers canadiens de sociologie 16 (1991), 375-396, et D. Stasiulis, « Participation by Immigrants, Ethnocultural/ Visible Minorities in the Canadian Political Process », communication présentée au séminaire de recherche du Patrimoine canadien sur les immigrants et la participation civique, Montréal, 1997.

Note 4 J. Wood, « A Visible Minority Votes: East Indian Electoral Behaviour in the Vancouver South Provincial and Federal Elections of 1979 » dans J. Dahlie et T. Fernando (dir.), Ethnicity, Power and Politics in Canada (Toronto, Methuen, 1981), 177-201.

Note 5 J. Black, « Immigrant Political Adaptation in Canada: Some Tentative Findings », Revue canadienne de science politique 15 (1982), 3-27.

Note 6 J. Black, « Ethnic Minorities and Mass Politics in Canada: Some Observations in the Toronto Setting », Revue internationale d'études canadiennes 3 (1991), 129-151.

Note 7 Les immigrants « plus établis » étaient définis comme ceux qui avaient passé au moins 20 ans au Canada, obtenu la citoyenneté canadienne, exprimé leur intention de rester et acquis certaines compétences linguistiques (en anglais).

Note 8 T. Chui et coll., « Immigrant Background and Political Participation ».

Note 9 M. Lapp, « Ethnic Group Leaders and the Mobilization of Voter Turnout: Evidence from Five Montreal Communities », Études ethniques du Canada 31 (1999), 17-42. À noter que les contrôles concernant l'acquisition de la citoyenneté et la période d'immigration ont été appliqués.

Note 10 J. Black, « Ethnic Minorities and Mass Politics in Canada ».

Note 11 J. Black, « The Practice of Politics in Two Settings: Political Transferability Among Recent Immigrants to Canada », Revue canadienne de science politique 20 (1987), 731-753.

Note 12 J. Black et C. Leithner, « Immigrants and Political Involvement in Canada: The Role of the Ethnic Media », Études ethniques au Canada 20 (1988), 1-20.

Note 13 A. Pelletier, « Ethnie et politique – La représentation des groupes ethniques et des minorités visibles à la Chambre des communes » dans K. Megyery (dir.), Minorités visibles, communautés ethnoculturelles et politique canadienne : La question de l'accessibilité (Toronto, Dundurn, 1991), 111-177. Voir également R. Ogmundson et J. McLaughlin, « Trends in the Ethnic Origins of Canadian Elites: The Decline of the BRITS? », Revue canadienne de sociologie et d'anthropologie 29 (1992), 227-241.

Note 14 À comparer avec Ogmundson et McLaughlin, « Trends in the Ethnic Origins of Canadian Elites ».

Note 15 J. Black et A. Lakhani, « Ethnoracial Diversity in the House of Commons: An Analysis of Numerical Representation in the 35th Parliament », Études ethniques au Canada 29 (1997), 1-21.

Note 16 J. Black, « Minority Representation in the Canadian Parliament Following the 1997 Election: Patterns of Continuity and Change », communication présentée à la Quatrième conférence nationale Metropolis, Toronto, 2000.

Note 17 Ces estimations font référence aux trois partis plus anciens en 1988, et comprennent le Parti Réformiste et le Bloc Québécois pour l'élection de 1993.

Note 18 D. Stasiulis et Y. Abu-Laban, « Partis et partis pris – La représentation des groupes ethniques en politique canadienne », dans K. Megyery (dir.), Minorités visibles, communautés ethnoculturelles et politique canadienne : La question de l'accessibilité, 3-110.

Note 19 C. Simard et coll., « Les minorités visibles et le système politique canadien », dans K. Megyery (dir.), Minorités visibles, communautés ethnoculturelles et politique canadienne : La question de l'accessibilité, 179-295.

Note 20 J. Black, « Entering the Political Elite in Canada: The Case of Minority Women as Parliamentary Candidates and MPs », Revue canadienne de sociologie et d'anthropologie 37 (2000), 143-166.

Note 21Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis, Pour une démocratie électorale renouvelée, vol. 1 (Ottawa, Approvisionnements et Services Canada, 1991), 104-109.

Note 22 Pelletier a constaté que la proportion de députés nés à l'étranger parmi les députés issus de groupes minoritaires avait augmenté avec les années, atteignant 42 % en 1988. En 1993, le chiffre était d'environ 45 %.

Note 23 W. Kymlicka, Finding Our Way: Rethinking Ethnocultural Relations in Canada (Toronto, Oxford, 1998), 18-22.

Note 24 J. Black, « Representation in the Parliament of Canada: The Case of Ethnoracial Minorities » dans B. O'Neil et J. Everitt (dir.), Political Behaviour: Theory and Practice in a Canadian Context (Toronto, Oxford, à paraître).


Note : 

Les opinions exprimées par les auteurs ne reflètent pas nécessairement celles du directeur général des élections du Canada.