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Perspectives électorales – Les Autochtones et les élections

Perspectives électorales – Novembre 2003

Mary Two-Axe Earley militante des droits à l'égalité des femmes autochtones

Wayne Brown
Directeur de la rédaction,
Perspectives électorales, Élections Canada

Les Autochtones et les élections

Mary Two-Axe Earley, Mohawk de Kahnawake, au Québec, a transformé la vie de milliers de femmes autochtones et de leurs enfants. Elle a lutté inlassablement pour faire reconnaître les droits des femmes autochtones qui perdaient le statut d'Indiennenote 1 conféré par la loi, ainsi que les droits et les avantages s'y rattachant, en épousant un non-Indien. En 1985, en grande partie grâce aux efforts qu'elle a déployés, le Parlement a voté une loi modifiant la Loi sur les Indiens pour mettre fin à la discrimination dont faisaient l'objet les Indiennes inscrites (alors que les hommes pouvaient épouser la femme de leur choix sans être pénalisés) et établir un processus de réintégration. Une fois réintégrées, les femmes pouvaient recouvrer leurs droits en vertu de la Loi. Elles pouvaient ainsi, entre autres, avoir accès à de bien meilleurs services de santé et d'enseignement pour elles et leurs enfants.

Mme Two-Axe Earley a commencé à militer relativement tard. Elle avait 55 ans lorsqu'une de ses amies qui avait perdu son statut d'Indienne est décédée et n'a pu être inhumée dans la réserve de Kahnawake. Mme Two-Axe Earley a décidé de contester cette situation et il s'en est suivi plus de 25 ans de militantisme, ce qui lui a valu de nombreuses distinctions ainsi que l'admiration et le respect de nombreux Canadiens.

Les débuts


Il aura fallu près de 20 ans, mais la campagne de Mary Two-Axe Earley a finalement convaincu le Parlement de modifier la Loi sur les Indiens afin d'y éliminer toute discrimination à l'encontre des femmes des Premières nations.

Mary Two-Axe est née le 4 octobre 1911 dans la réserve mohawk de Caughnawaga (comme on l'appelait alors), sur la rive sud de Montréal. C'est là qu'elle passe une grande partie de son enfance, mais à l'âge de 10 ans, elle part vivre dans le Dakota du Nord avec sa mère, infirmière et enseignante de la bande Oneida. À la mort de sa mère, survenue pendant qu'elle soignait des élèves durant une épidémie de grippe espagnole, son grand-père prend le train vers l'Ouest pour aller la chercher et la ramener dans la réserve.

À 18 ans, elle déménage à Brooklyn, un quartier de New York, et quelques années plus tard, elle épouse un ingénieur électricien irlando-américain, Edward Earley. De nombreux Mohawks vivaient à New York, où ils travaillaient dans les chantiers de construction; capables de se déplacer avec grande agilité sur les hautes poutres, ils occupaient les emplois très bien rémunérés, mais dangereux, de monteurs de charpentes métalliques. Le couple aura deux enfants, Edward et Rosemary.

En épousant un non-Indien, Mme Two-Axe Earley perdait le statut d'Indienne que lui conférait la Loi sur les Indiens de 1876. Même si les peuples autochtones ne considéraient pas les femmes comme des citoyens de seconde zone, la loi, elle, reflétait la notion propre à l'Europe victorienne que les femmes appartiennent légalement à leur mari. En perdant son statut d'Indienne, Mme Two-Axe Earley ne pouvait plus vivre dans la réserve où elle était née, y posséder des terres, voter aux élections et participer à la vie politique de la bande, ni être enterrée dans la réserve. À l'époque, rien de tout cela ne la préoccupait. « Nous ne pensions pas au statut, nous étions amoureux », confie-t-elle à un journaliste de The Gazette en 1990. Chaque année, Mme Two-Axe Earley retournait à Kahnawake pour passer l'été avec son fils et sa fille dans la maison construite par son grand-père dans la réserve.

Un matin de 1966, à Brooklyn, une amie de Mary qui avait perdu son statut en épousant un Mohawk d'une autre réserve meurt dans ses bras. Elle avait reçu l'ordre de quitter la réserve et de vendre sa maison. Même si le décès est officiellement attribué à une crise cardiaque, Mme Two-Axe Earley est persuadée que son amie a succombé en grande partie à cause du stress occasionné par la discrimination exercée contre elle. D'ailleurs, elle ne pourra pas être inhumée dans la réserve de Kahnawake.

Le début de la campagne

Les circonstances qui ont entouré la mort de son amie et la colère qu'elle avait provoquée en elle sont probablement les principales raisons qui l'incitent à militer en faveur de l'égalité des droits des femmes des Premières nations. En 1967, elle fonde l'organisation provinciale Equal Rights for Indian Women (qui devient ultérieurement l'organisation nationale Indian Rights for Indian Women)note 2. Elle écrit de nombreuses lettres, prononce nombre de discours passionnés et présente des exposés aux groupes de travail gouvernementaux et aux ministres. Elle se heurte souvent à l'opposition des dirigeants masculins des Premières nations qui craignaient que le mariage des femmes indiennes avec des non-Indiens ne mène à l'assimilation et à l'érosion de l'autonomie des Autochtones. Ils prétendent en outre qu'en accordant le statut d'Indiens à des milliers de femmes des Premières nations qui l'avaient perdu ainsi qu'à leurs enfants, le coût serait trop lourd pour les bandes. Mme Two-Axe Earley écrit à la sénatrice Thérèse Casgrainnote 3, militante infatigable en faveur des droits des femmes au Québec, qui l'encourage à présenter un mémoire à la Commission royale d'enquête sur la situation de la femme au Canada, créée en 1967. Elle dirige ensuite une délégation devant la commission pour protester contre la révocation des droits de sang des femmes. Elle révèle également qu'à Kahnawake même, elle avait subi des pressions pour l'empêcher de comparaître devant la commission.

En 1969, se sentant seule à Brooklyn après le décès de son mari, Mme Two-Axe Earley revient vivre à Kahnawake, dans la maison en bois rond au bord de la rivière qu'elle avait héritée de sa grand-mère. Les dirigeants de la bande lui signifient clairement qu'elle n'est pas la bienvenue, mais un stratagème lui permet de conserver sa maison et d'y habiter. Elle en fait don à sa fille, qui avait retrouvé son statut en épousant un Mohawk. Mme Two-Axe Earley se décrivait souvent comme étant une invitée dans sa propre maison.

La Commission royale d'enquête sur la situation de la femme au Canada reconnaît que certains éléments de la Loi sur les Indiens pouvaient être source de discrimination contre les Indiennes lorsqu'elles se mariaient. Dans son rapport publié en 1970, elle recommande qu'une loi soit adoptée pour abroger les articles de la Loi qui, selon elle, sont discriminatoires à l'égard des femmes, soutenant par ailleurs que les Indiens et les Indiennes doivent jouir des mêmes droits et privilèges en matière de mariage et de propriété que les autres Canadiensnote 4.

En 1975, en participant à une conférence au Mexique dans le cadre de l'Année internationale de la femme, Mme Two-Axe Earley apprend que le conseil de bande de Kahnawake l'a expulsée en invoquant la Loi sur les Indiens. « J'ai téléphoné chez moi; il était environ une heure du matin et ma fille m'a dit : "Maman, nous ne savions pas si nous devions te le dire, mais tu es expulsée de la maison; tu as 60 jours pour quitter la réservenote 5." » Mme Two-Axe Earley profite de la visibilité que lui donne la conférence pour faire connaître sa situation au monde entier. À la suite de la publicité phénoménale qui est faite à l'échelle nationale et internationale, l'avis d'expulsion finit par être retiré.

Un autre cas notoire est celui de Sandra Lovelace, Malécite originaire de la réserve de Tobique, au Nouveau-Brunswick. Elle avait perdu son statut d'Indienne après avoir épousé un aviateur américain en 1970 et déménagé avec lui en Californie. Son mariage prend fin quelques années plus tard et, à son retour avec ses enfants dans la réserve, on leur refuse le droit au logement, aux soins de santé et à l'éducation. En 1977, Mme Lovelace fait appel au Comité des droits de l'homme des Nations Unies. En juillet 1979, afin d'attirer l'attention sur sa situation, le groupe de femmes de la réserve de Tobique organise une marche des femmes et des enfants allant de la réserve d'Oka, à l'ouest de Montréal, jusqu'à Ottawa (une distance d'environ 160 kilomètres). En chemin, les gens manifestent leur appui en leur offrant de la nourriture et des rafraîchissements. Invité par le Comité des droits de l'homme des Nations Unies à justifier ses actions, le gouvernement du Canada explique qu'il souhaitait modifier la loi mais qu'il en était empêché du fait que la collectivité des Premières nations elle-même ne pouvait s'entendre sur la question. En 1981, près de quatre ans plus tard, le Comité des droits de l'homme des Nations Unies déclare que le Canada avait enfreint le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. C'était une victoire importante, quoique symbolique, pour bon nombre de femmes autochtones du Canada.

Par la suite, l'adoption, en 1982, de la Charte canadienne des droits et libertés contribue à faire avancer considérablement la cause en intensifiant les pressions exercées sur le gouvernement fédéral pour qu'il mette fin à la discrimination à l'égard des femmes des Premières nations. Par ailleurs, la farouche détermination de Mme Two-Axe Earley impressionne le premier ministre du Québec, René Lévesque. En 1983, lorsque les premiers ministres qui participent à une conférence constitutionnelle refusent à la militante le droit de prendre la parole, M. Lévesque lui cède sa place à la table, forçant les autres dirigeants à écouter son plaidoyer en faveur de la justice pour les femmes des Premières nations. « Sondez votre cœur et votre esprit, agissez comme vous le dicte votre conscience, et donnez la liberté à mes sœurs », leur dit-elle alorsnote 6.

L'adoption du projet de loi C-31 en 1985

Le 28 juin 1985, près de 20 ans après que Mary Two-Axe Earley a commencé sa campagne, le Parlement du Canada adopte le projet de loi C-31, qui modifie la Loi sur les Indiens et la rend conforme aux dispositions relatives à l'égalité de la Charte canadienne des droits et libertés, entrée en vigueur le 17 avril de la même année. Le projet de loi C-31, en rétablissant le statut d'Indienne et le droit d'appartenance à une bande pour les milliers de femmes qui avaient épousé des non-Indiens, met fin à la discrimination historique subie par les femmes des Premières nations. En outre, deux générations d'enfants issus de ces mariages obtiennent sur-le-champ le statut d'Indiens qui leur permet à eux aussi d'accéder aux programmes et aux services fédéraux et de présenter une demande d'appartenance à une bande. Le gouvernement de l'époque estime que plus de 16 000 femmes et 46 000 descendants de la première génération avaient droit à ces avantagesnote 7.

Une semaine plus tard, le 5 juillet 1985, Mme Two-Axe Earley devient la première personne au Canada à retrouver son statut d'Indienne lorsque, à l'occasion d'une cérémonie à Toronto, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, David Crombie, lui remet son certificat en déclarant qu'il ne pouvait trouver de meilleure façon de lui rendre hommage pour ses longues années de travail que d'inscrire dans l'histoire le fait qu'elle soit la première personne à retrouver ses droits en vertu de la nouvelle loi. Mme Two-Axe Earley, qui a alors 73 ans, lui répond en se réjouissant que désormais, elle aurait de nouveau des droits garantis par la loi et qu'après toutes ces années, elle serait légalement autorisée à vivre dans la réserve, à posséder des terres, à mourir et à reposer auprès des siensnote 8.

Par ailleurs, la loi révisée abolit la notion d'« émancipation ». Aux termes de l'ancienne Loi sur les Indiens, les membres des Premières nations qui avaient la capacité d'assumer les responsabilités de citoyen pouvaient demander l'émancipation s'ils le souhaitaient. Mais ce concept était déjà devenu caduc en 1960, année où le gouvernement du premier ministre John Diefenbaker accorde aux Indiens inscrits le droit de vote aux élections fédérales.

Les modifications apportées en 1985 à la Loi sur les Indiens ne se font pas sans soulever des contestations. Certaines bandes refusent de réintégrer les femmes expulsées. Trois bandes, dirigées par le chef de la prospère bande indienne de Sawridge, dans le Nord de l'Alberta, ont recours aux tribunaux pour faire annuler la garantie d'égalité entre les hommes et les femmes des Premières nations. Pour Mary Two-Axe Earley, cela signifie que le combat n'est pas terminé. En décembre 1993, âgée alors de 83 ans, elle se rend en fauteuil roulant à la Cour fédérale pour témoigner au nom du Conseil national des autochtones du Canada des épreuves que connaissent les femmes expulsées de leur réserve natale. L'un de ses arguments les plus frappants est que la réserve de Kahnawake comptait trois cimetières : un pour les catholiques, un pour les protestants et un pour les chiens. Alors que les chiens pouvaient être enterrés dans la réserve, précise-t-elle, une femme Mohawk qui avait épousé un non-Indien était enterrée hors de la collectivité. La cour conclut qu'il revient en définitive au gouvernement canadien – et non aux Premières nations – de décider de l'appartenance à une bande.

Il s'agit d'une victoire importante. Toutefois, des années plus tard, Mme Two-Axe Earley constatait que les dirigeants des bandes de sexe masculin ne traitent toujours pas les femmes de manière équitable et que de nombreuses femmes autochtones se voient encore refuser la possibilité de vivre dans leur collectivité, en dépit de la loi (projet de loi C-31) qui devait le leur permettrenote 9.

La reconnaissance personnelle

Au fil des ans, Mme Two-Axe Earley a reçu de nombreuses distinctions pour son militantisme convaincu et ses réalisations. En 1979, elle est l'une des premières lauréates du Prix du Gouverneur général décerné, en commémoration de l'affaire « personne », à des femmes canadiennes exceptionnelles. Les efforts incessants qu'elle a déployés en tant que fondatrice et vice-présidente de l'Indian Rights for Indian Women pour faire reconnaître les droits des femmes autochtones sont ainsi récompensés. Deux ans plus tard, Mme Two-Axe Earley reçoit un doctorat honorifique en droit de l'Université York. Bon nombre de ses partisans n'ayant pas les moyens de se rendre à Toronto, elle sollicite une aide financière auprès de René Lévesque. Le premier ministre met alors l'avion gouvernemental à leur disposition pour leur épargner le long voyage en autobus. En 1985, le nom de Mme Two-Axe Earley figure sur la première liste des membres de l'Ordre national du Québec. En 1996, quelques mois avant sa mort, elle reçoit également le Prix national d'excellence décerné aux Autochtones. Sa mauvaise santé ne lui permet pas de se rendre à Winnipeg pour y recevoir le prix, mais son appréciation n'en est pas diminuée pour autant. Elle expliquera que ce prix était très important pour elle car c'était la première fois qu'un organisme autochtone national lui en décernait unnote 10.

Le droit de reposer auprès de ses ancêtres

Mary Two-Axe Earley est décédée à la suite d'une insuffisance respiratoire le 21 août 1996 à Kahnawake, à l'âge de 84 ans. Elle était hospitalisée depuis février de cette même année, après plusieurs années de santé chancelante. Environ 200 parents et amis se sont rassemblés dans une vieille église de la réserve mohawk à Kahnawake pour lui rendre hommage. Mme Two-Axe Earley a été décrite comme une pionnière du féminisme canadien, source d'inspiration pour les femmes autochtones. Fait plus important encore, elle a été inhumée dans le petit cimetière catholique situé sur une butte, au cœur de la réserve. Cela n'a été possible que grâce aux modifications législatives de 1985, pour lesquelles elle avait lutté tant d'années. Parmi ces modifications figurait pour elle le droit d'être inhumée dans la réserve mohawk, son lieu natal, qu'elle avait toujours considérée comme son véritable port d'attache.

NOTES

Note 1 Le terme « Indien » n'est pas utilisé couramment au Canada; il sert uniquement à désigner le statut juridique des membres des Premières nations en vertu de la Constitution ou de la Loi sur les Indiens. Conformément à la loi, la Constitution canadienne (Loi constitutionnelle de 1982) reconnaît trois groupes de peuples autochtones : les Indiens, les Métis et les Inuits. Aux termes de la Loi sur les Indiens, trois catégories d'Indiens vivent au Canada : les Indiens inscrits, les Indiens non inscrits et les Indiens visés par un traité.

Note 2 En 1974, ces organisations font place à Femmes autochtones du Québec Inc. (FAQ), qui représente les femmes des Premières nations du Québec et les femmes autochtones vivant en milieu urbain. On trouve son site Web à l'adresse http://qnwafaq.com.

Note 3 Pour un profil de Thérèse Casgrain, voir le numéro de mai 2002 de Perspectives électorales.

Note 4 « Nous recommandons que la Loi sur les Indiens soit modifiée pour permettre à une Indienne qui épouse un non-Indien a) de conserver son statut d'Indienne et b) de transmettre ce statut à ses enfants ». Rapport de la Commission royale d'enquête sur la situation de la femme au Canada (Ottawa, Information Canada), 28 septembre 1970, paragraphe 59, p. 238.

Note 5 Extrait de Human Rights Video Portraits (Ottawa, Centre de recherche et d'enseignement sur les droits de la personne, Université d'Ottawa), 1985.

Note 6 Extrait d'un compte rendu de la Conférence fédérale-provinciale des premiers ministres sur les questions constitutionnelles intéressant les Autochtones, Ottawa, 16 mars 1983, p. 226.

Note 7 Les estimations sont tirées d'un communiqué publié le 28 février 1985 par les Affaires indiennes et du Nord Canada.

Note 8 Extrait d'un article paru dans The Gazette, Montréal, 5 juillet 1985.

Note 9 Citation tirée d'une lettre de Mme Two-Axe Earley au journal The Ottawa Citizen, « Letter of the Day », 12 mars 1992.

Note 10 « First C-31 woman honored for rights commitment » (La première femme visée par le projet de loi C-31 récompensée pour son combat en faveur des droits), journal Windspeaker, Aboriginal Multi-Media Society of Alberta, Edmonton (Alberta), numéro de septembre 1996.