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Perspectives électorales – Élection générale de 2004

Perspectives électorales – Janvier 2005

Élections à date fixe : amélioration ou nouveaux problèmes?

Don Desserud
Professeur, Département d'histoire et de politique, Université du Nouveau-Brunswick à Saint-Jean

L'importance du choix du moment

Dans les systèmes parlementaires comme celui du Canada, les gouvernements peuvent décider de déclencher les élections pour qu'elles coïncident avec des périodes de reprise économique, la réalisation de projets d'immobilisations, des sondages d'opinion favorables, l'inexpérience de nouveaux chefs de l'opposition ou presque n'importe quelle circonstance qui leur convient. Bien qu'il soit difficile de trouver des preuves tangibles que le choix astucieux du moment améliore vraiment les chances d'un parti de gagner une élection note 1, il y a au moins des données anecdotiques indiquant que les gouvernements en sont convaincus. Pour ne citer qu'une source, l'ancien député du Nouveau Parti Démocratique (N.P.D.) Lorne Nystrom déclarait à la Chambre des communes en février 2004 qu'« [i]l n'y a pas un seul parti dans notre pays... qui n'a pas manipulé la date des élections pour servir ses intérêts politiques » note 2. De fait, les détracteurs du Parti libéral du Canada ont soutenu que les deux dernières élections fédérales ont sciemment été déclenchées au moment jugé le plus opportun pour le parti au pouvoir. Si les élections avaient été tenues à des dates ultérieures, les résultats, selon ces détracteurs, auraient été bien différents note 3. Il est dès lors facile de croire que la capacité du gouvernement de déclencher une élection à la date qu'il juge appropriée constitue un avantage significatif pour le parti au pouvoir.

Si c'est le cas, il est donc possible que les gouvernements remportent des élections qu'ils n'auraient autrement pas gagnées, ce qui mine la capacité de notre régime politique de se renouveler. De plus, la manipulation des dates des élections contribue sans doute à une plus grande apathie électorale, de même qu'à l'érosion de la pertinence et de la légitimité du régime politique dans l'esprit des électeurs note 4. La solution évidente serait d'avoir des élections à date fixe. Si les élections se déroulaient toujours à la même date à intervalles réguliers, les citoyens (sans oublier les partis de l'opposition) sauraient bien à l'avance quant ils se rendraient aux urnes, et les gouvernements seraient ainsi forcés d'accepter la décision du public, que les circonstances immédiates les favorisent ou non.

Période entre les élections depuis la Deuxième Guerre mondiale
Date de l'élection Gouvernement majoritaire/minoritaire Premier ministre Période entre les élections*
27 juin 1949 Majoritaire Louis St-Laurent 4 ans, 1 mois
10 août 1953 Majoritaire Louis St-Laurent 3 ans, 10 mois
10 juin 1957 Minoritaire John Diefenbaker 10 mois
31 mars 1958 Majoritaire John Diefenbaker 4 ans, 3 mois
18 juin 1962 Minoritaire John Diefenbaker 10 mois
8 avril 1963 Minoritaire Lester Pearson 2 ans, 7 mois
8 novembre 1965 Minoritaire Lester Pearson/Pierre Trudeau 2 ans, 8 mois
25 juin 1968 Majoritaire Pierre Trudeau 4 ans, 4 mois
30 octobre 1972 Minoritaire Pierre Trudeau 1 an, 8 mois
8 juillet 1974 Majoritaire Pierre Trudeau 4 ans, 10 mois
22 mai 1979 Minoritaire Joe Clark 9 mois
18 février 1980 Majoritaire Pierre Trudeau/John Turner 4 ans, 7 mois
4 septembre 1984 Majoritaire Brian Mulroney 4 ans, 3 mois
21 novembre 1988 Majoritaire Brian Mulroney/Kim Campbell 4 ans, 11 mois
25 octobre 1993 Majoritaire Jean Chrétien 3 ans, 7 mois
2 juin 1997 Majoritaire Jean Chrétien 3 ans, 6 mois
27 novembre 2000 Majoritaire Jean Chrétien/Paul Martin 3 ans, 7 mois
28 juin 2004 Minoritaire Paul Martin  

* Les périodes sont arrondies au mois près.

Il semble que de plus en plus de Canadiens partagent cette opinion. En 2000, 54 % des répondants à un sondage de l'Institut de recherche en politiques publiques (IRPP) appuyaient les élections à date fixe note 5. Quatre ans plus tard, ce nombre a sensiblement augmenté. Une semaine à peine avant le déclenchement de l'élection générale du Canada de 2004 par le premier ministre Paul Martin, Environics Research Group indiquait que 81 % des Canadiens préféreraient que les élections se tiennent à des dates précises et fixes, plutôt qu'au moment choisi par le parti au pouvoir note 6.

Ce ne sont pas seulement les citoyens qui sont d'accord avec l'idée de tenir les élections à date fixe : des partis politiques de partout au pays le sont aussi. L'appui accordé à une telle réforme couvre l'ensemble de l'éventail politique, qu'il s'agisse de la droite ou de la gauche, du gouvernement ou de l'opposition. Pour le Parti conservateur du Canada et le N.P.D., la question des élections à date fixe constitue une priorité stratégique. Le premier ministre libéral de l'Ontario Dalton McGuinty a présenté l'été dernier un projet de loi visant à fixer la date des élections dans cette province. La Colombie-Britannique, également dirigée par un gouvernement libéral, a déjà adopté une mesure législative en ce sens, tandis que le gouvernement progressiste-conservateur du Nouveau-Brunswick a créé la Commission sur la démocratie législative pour qu'elle étudie, entre autres réformes, la possibilité d'avoir des élections à date fixe note 7. Plusieurs partis d'opposition provinciaux, y compris le Parti libéral du Nouveau-Brunswick, le Saskatchewan Party et le Parti libéral de l'Alberta, se sont prononcés en faveur des élections à date fixe. Kevin Taft, chef du Parti libéral de l'Alberta, a exprimé un sentiment répandu : « Il est temps que nous cessions de faire de la politique avec les dates d'élection. Les élections devraient se tenir à date fixe, conformément aux souhaits démocratiques des Albertains » note 8.

Toutefois, malgré le vaste appui apparemment accordé à ce principe, le processus permettant de fixer les dates des élections dans le système de gouvernement parlementaire du Canada n'est pas simple. De fait, il est impossible de fixer les dates de façon à ce qu'il ne puisse y avoir de manipulation de la part du gouvernement, du moins pas sans une réforme radicale et probablement irréalisable de notre régime parlementaire. En outre, même si le fait de fixer les dates des élections pouvait régler certains problèmes, il pourrait également en créer de plus graves. En réalité, il existe une certaine confusion quant à la raison de modifier le présent régime. Certains de ceux qui revendiquent des élections à date fixe veulent en réalité une limite de temps entre les élections. Or, ces limites existent déjà. Dès lors, il faut se demander quel est le problème que résoudraient des élections à date fixe?

Dates fixes, mandat et gouvernement responsable


Aux États-Unis, le Congrès, le président et le vice-président sont élus à date fixe, à intervalles réguliers.

Les élections à date fixe se déroulent à des dates précises et régulières. En fixant les dates des élections, on fixe également le mandat des gouvernements et des assemblées. L'exemple le plus familier aux Canadiens est le régime du Congrès américain, en vertu duquel les élections du président et du vice-président ainsi que des membres du Congrès se déroulent à des dates fixes à intervalles réguliers. Élément essentiel de leur principe constitutionnel de la séparation et de l'équilibre des pouvoirs, les élections à date fixe empêchent une branche du gouvernement de forcer le déclenchement d'élections et, par conséquent, de miner l'autorité de l'autre branche.

Le régime parlementaire du Canada est fondé non pas sur la séparation et l'équilibre des pouvoirs, mais sur le concept du « gouvernement responsable » note 9. Dans notre régime, les pouvoirs exécutif et législatif du gouvernement forment un tout. Dans la pratique, cela veut dire que le premier ministre et le cabinet doivent continuellement être appuyés par une majorité des députés de la Chambre des communes. Même les gouvernements minoritaires doivent obtenir l'appui de la majorité, c'est-à-dire de députés des autres partis. Si le gouvernement est incapable d'obtenir l'appui de la majorité, ou si la Chambre des communes présente une motion de censure, des mesures doivent être prises pour regagner l'appui de la majorité. Cela se traduit presque toujours par la dissolution du Parlement, le déclenchement d'une élection et la formation d'une nouvelle législature. La discipline de parti en vigueur aujourd'hui fait en sorte que les gouvernements du Canada perdent rarement l'appui de la majorité. Il est toutefois faux de croire que cette éventualité est impossible. De même, bien que les élections canadiennes permettent généralement à un parti d'obtenir la majorité des sièges à la Chambre des communes, les plus récents résultats ont démontré que ce n'est pas toujours le cas.

Ceux qui souhaitent fixer les dates des élections sont toutefois confrontés au problème d'éviter de limiter le droit et la capacité du premier ministre de demander une dissolution du Parlement ou du gouverneur général de l'accorder. Une telle limitation minerait le principe du gouvernement responsable. À tout le moins, il est peu probable que les tribunaux canadiens y seraient favorables, comme l'indique la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Syndicat des employés et employées de la fonction publique de l'Ontario c. Ontario (procureur général). Bien que cette affaire portait sur le droit d'un gouvernement provincial de limiter la participation des fonctionnaires à la politique fédérale, le tribunal a clairement indiqué que les provinces n'ont pas l'autorité « de provoquer des bouleversements constitutionnels profonds par l'introduction d'institutions politiques étrangères et incompatibles avec le système canadien ». De plus,

« [I]l n'est pas certain, à tout le moins, qu'une province puisse toucher au pouvoir du lieutenant-gouverneur de dissoudre l'assemblée législative, ou à son pouvoir de nommer et de destituer les ministres, sans toucher de manière inconstitutionnelle à sa charge elle-même note 10. »


Le premier ministre accueille la gouverneure générale, Adrienne Clarkson, peu de temps avant qu'elle prononce le discours du Trône, le 5 octobre 2004 à la Chambre des communes du Canada.

Il est probable que les tribunaux auraient une position similaire si le gouvernement fédéral imposait les élections à date fixe d'une façon qui minerait ou limiterait le pouvoir du gouverneur général de dissoudre le Parlement ou d'accepter une requête en ce sens du premier ministre.

Les élections à date fixe menaceraient-elles vraiment le principe de gouvernement responsable? Je crois que oui. Attardons-nous tout d'abord au problème des votes de censure. Actuellement, un premier ministre défait par un vote de censure doit démissionner ou demander au gouverneur général de dissoudre le Parlement et de déclencher une élection. Si le fait de fixer les dates des élections fait disparaître cette dernière option, le gouverneur général serait obligé de désigner une autre personne pour former un gouvernement qui dirigerait le pays jusqu'à la prochaine élection à date fixe. Peut-être dans ces circonstances les partis seraient-ils obligés de faire des compromis et de faire preuve de coopération. Ou peut-être le gouvernement serait-il tout simplement paralysé, aucun parti n'étant capable de former une majorité. Aucune loi ne serait adoptée, et les gouvernements deviendraient des administrateurs et cesseraient d'être des dirigeants. Le concept de gouvernement responsable serait perdu.

Dans notre régime, les élections à date flexible sont le moyen par lequel les impasses parlementaires sont résolues et l'appui de la majorité restauré. Si les élections se déroulaient à date fixe, cette solution ne serait pas possible. C'est pourquoi les assemblées législatives qui ont adopté les élections à date fixe ont néanmoins prévu une mesure de protection pour éviter une telle impasse. Les dates des élections sont fixées dans l'État australien de Victoria, mais des élections de mi-mandat peuvent quand même être déclenchées si le gouvernement perd un vote de confiance, si le premier ministre demande la dissolution du Parlement, ou si aucun parti n'est en mesure d'obtenir la majorité note 11. Des dispositions semblables existent en Colombie-Britannique note 12 et dans le projet de loi à ce sujet de l'Ontario. Cela soulève toutefois la question de savoir si la date des élections est alors réellement fixe. En effet, ces circonstances sont précisément celles dans lesquelles les élections sont déclenchées aujourd'hui.

On peut toutefois prétendre que les votes de censure sont rares; le véritable problème est que les premiers ministres déclenchent les élections selon leur bon vouloir. Une solution serait peut-être de veiller à ce que les dissolutions ne soient acceptées que dans les cas où le gouvernement est défait par un vote explicite de censure. Ou encore, le Parlement pourrait retenir la suggestion ingénieuse de Tom Kent d'adopter une loi fixant des dates de dissolution; en tout autre temps, les dissolutions (et par conséquent le déclenchement d'élections) exigeraient les votes de majorités distinctes d'au moins deux des partis de la Chambre note 13.

Une ou l'autre de ces propositions ferait en sorte que le déclenchement d'élections à des moments opportuns serait moins fréquent, ou à tout le moins plus difficile, mais aucune ne règle les principaux problèmes confrontant ceux qui veulent fixer les dates des élections dans le cadre de notre régime parlementaire. Premièrement, elles touchent toutes deux le pouvoir du gouverneur général de dissoudre le Parlement. Il est vrai qu'un gouverneur général n'est pas tenu d'accepter la demande d'un premier ministre de dissoudre le Parlement note 14. Ce n'est toutefois pas la même chose que de dire que le Parlement a le pouvoir constitutionnel d'adopter une loi limitant le pouvoir du gouverneur général d'accepter la demande. Le Parlement n'a d'ailleurs pas non plus le pouvoir d'empêcher le premier ministre de présenter cette demande.

Même s'il était possible de contourner la question constitutionnelle, il existerait quand même un grave problème pratique. De toute évidence, un gouvernement qui se verrait refuser la dissolution qu'il souhaite, quelles que soient les formalités, n'aurait qu'à démissionner. Le gouverneur général serait alors obligé de dissoudre le Parlement ou d'essayer de nommer un autre gouvernement. Dans le premier cas, la tentative d'empêcher les premiers ministres de forcer la tenue d'élections au moment de leur choix ne fonctionne manifestement pas. Dans le deuxième cas, le nouveau gouvernement n'arriverait probablement pas à obtenir la majorité, surtout si l'ancien gouvernement était majoritaire. On reviendrait ainsi à la même impasse.

Finalement, les élections à date fixe ne fonctionneraient pas dans le régime actuel parce qu'aucune sanction ne pourrait être prise contre un premier ministre qui ne tiendrait pas compte des règles et demanderait quand même la dissolution du Parlement. Pensez à la différence qui existe entre le fait d'empêcher un premier ministre de retarder indûment une élection et celui de l'empêcher d'en déclencher une trop tôt. La première hypothèse est facile à régler : il s'agit de limiter la période durant laquelle un gouvernement peut gouverner, ce que, bien entendu, prévoit déjà la Constitution canadienne. Si un gouvernement essayait de prolonger son mandat au-delà de cinq ans, sauf en période de crise, le gouverneur général a le pouvoir de dissoudre le Parlement. Il s'agit de l'un des pouvoirs de réserve en situation de crise que détient toujours le pouvoir exécutif note 15. Comment peut-on empêcher un premier ministre de demander une dissolution anticipée? Quel recours existe-t-il dans l'éventualité où le premier ministre agirait ainsi, malgré les restrictions imposées? Comment, en d'autres mots, force-t-on un gouvernement à rester au pouvoir?

Comment fixer les dates des élections


Pendant une élection, Élections Canada envoie aux Canadiens une carte pour leur rappeler la date du scrutin. Elle est envoyée environ une semaine après la carte d'information de l'électeur personnalisée indiquant où et quand voter par anticipation ou le jour d'élection.

J'ai soutenu que toute tentative de fixer les dates des élections dans le régime parlementaire actuel ne doit pas saper les principes fondamentaux de la Constitution canadienne ni créer un système de gouvernement inefficace. Les avantages associés à l'établissement d'un régime de dates fixes, comme une plus grande certitude conférée à tous les partis et à leurs candidats, l'efficience économique associée à l'administration d'élections prévisibles et la plus grande capacité des ministères à planifier, devraient nous inciter au moins à envisager cette idée. Par ailleurs, si rien n'est fait, le public continuera de croire que le choix du moment des élections est manipulé au profit du parti au pouvoir. La solution n'a donc peut-être pas besoin d'être globale ni d'être enchâssée dans la Constitution. Il serait possible que la simple imposition d'un peu plus d'ordre dans la procédure soit satisfaisante.

Par exemple, les gouvernements pourraient essayer d'établir une tradition en déclenchant les élections aux périodes exactes de la fête anniversaire, comme a tenté de le faire l'ancien premier ministre de la Saskatchewan Tommy Douglas dans les années 40 et 50. Ils pourraient également adopter des mesures législatives ordinaires, comme le projet de loi 86 de l'Ontario (Loi modifiant des lois en ce qui concerne les élections, 2004) ou la loi de la Colombie-Britannique sur les élections à date fixe, que la province a intégrée à la Constitution Act de la Colombie-Britannique note 16. Le précédent créé par la Saskatchewan ne s'est malheureusement pas poursuivi après le règne de Douglas comme premier ministre. Bien que les mesures législatives adoptées par la Colombie-Britannique et l'Ontario semblent plus prometteuses, seul le temps révélera si elles seront efficaces. Si elles le sont, ce ne sera pas parce que les futurs gouvernements seraient tenus de suivre ces mesures législatives, parce que les gouvernements peuvent toujours abroger une loi. L'abrogation d'une loi sur les élections à date fixe soulèverait toutefois des questions auxquelles un gouvernement souhaiterait peut-être ne pas répondre, ce qui pourrait constituer un incitatif suffisant pour conserver un calendrier ordonné d'élections.

Cependant, appeler un tel processus un système électoral à date fixe est une exagération. Les gouvernements auraient les moyens de faire fi des dates fixées, et pourraient facilement miner l'ensemble du système. Plus encore, même si ces mesures fonctionnaient, il n'est pas clair qu'une ou l'autre, prise individuellement, règle véritablement la question fondamentale qui sous-tend la demande d'élections à date fixe – c'est-à-dire le fait que les élections ne sont pas toujours des concours équitables.

Conclusion

Quel est, précisément, le problème que résoudrait les élections à date fixe? Il ne fait aucun doute que le public est frustré par ce qu'il perçoit comme une manipulation flagrante et injuste des dates d'élection par le parti au pouvoir. Si toutefois des mesures étaient adoptées pour fixer les dates des élections, nous pourrions nous retrouver avec un système de gouvernement législatif encore plus dysfonctionnel que celui que nous avons maintenant. En outre, les tentatives visant à créer un système d'élections à date fixe pourraient forcer les gouvernements à se lancer dans des batailles constitutionnelles dispendieuses et ultimement futiles. Finalement, le public pourrait décider que les mesures relatives aux élections à date fixe ne signifient pas grand-chose et n'ont pas beaucoup d'effet, ce qui les rendrait encore plus cyniques à l'égard du processus électoral.

Dans notre régime parlementaire, les dates des élections ne peuvent pas véritablement être fixes. Les problèmes constitutionnels et pratiques saperaient de sens toute tentative à cet effet. Au mieux, le déclenchement des élections deviendrait plus prévisible, ordonné et régularisé. Certaines mesures pourraient toutefois être adoptées pour restaurer la confiance du public à l'égard de l'intégrité des processus électoral et législatif. Je crois que le public ne s'oppose pas vraiment au fait que le déclenchement des élections soit imprévu, mais plutôt au fait que le parti au pouvoir se ménage un avantage indu et que certaines élections peuvent par conséquent ne pas être équitables. C'est dire que l'adoption de mesures visant à améliorer la nature concurrentielle des élections contribuera à atténuer le mécontentement du public.

Il existe bien des façons d'y arriver, mais une discussion approfondie du sujet dépasse la portée du présent document. Une certaine forme de représentation proportionnelle, par exemple, constituerait un pas en avant. De même, un plus grand nombre de votes libres au Parlement pourrait convaincre les citoyens que leurs députés ont leur mot à dire, et ainsi les amener à accorder également une plus grande importance aux élections. Notre régime parlementaire est toutefois confronté à de nombreux autres problèmes qui doivent également être abordés, comme l'ont si bien indiqué des gens comme Donald Savoie note 17. Les efforts nécessaires pour fixer les dates des élections me semblent bien grands pour, en définitive, bien peu de résultats, et ils pourraient même rendre la situation encore plus problématique.

Notes

Note 1 Alastair Smith, « Endogenous Election Timing in Majoritarian Parliamentary Systems », Economics and Politics vol. 8, nº 2 (juillet 1996), p. 85 à 110, et « Election Timing in Majoritarian Parliaments », British Journal of Political Science, vol. 33, nº 3 (juillet 2003), p. 397 à 418; Jac C. Heckelman, « Electoral Uncertainty and the Macroeconomy: The Evidence from Canada », Public Choice, vol. 113, nº 1-2 (octobre 2002), p. 179 à 189; Steven D. Roper et Christopher Andrews, « Timing an Election: The Impact on the Party in Government », The American Review of Politics, vol. 23 (hiver 2002), p. 305 à 318; Kaare Strøm et Stephen M. Swindle, « Strategic Parliamentary Dissolution », American Political Science Review, vol. 96, nº 3 (septembre 2002), p. 575 à 591.

Note 2 Lorne Nystrom parlait de sa propre motion, un projet de loi d'initiative parlementaire visant à fixer les dates des élections. (Hansard, Chambre des communes du Canada, 17 février 2004). Voir également Lorne Nystrom, « Spinning election rumours [Why don't we have fixed election dates?] », The National Post, 12 octobre 2000, p. A19.

Note 3 Pour les élections de 2000, voir John Geddes et Julian Beltrame, « A sense of timing: Liberals have to trust Chrétien that voters will not lash out against a fall election », Maclean's, vol. 113, nº 41 (9 octobre 2000), p. 18 à 19. Pour 2004, voir « Martin's mandate; Canada's election », The Economist, vol. 371, nº 8377 (29 mai 2004), p. 12, et « Martin's new age of minority; Canada's election », The Economist, vol. 372, nº 8382 (3 juillet 2004), p. 29.

Note 4 Paul Howe, « The Sources of Campaign Intemperance », Options politiques, vol. 22, nº 1 (janvier-février 2001), p. 21 à 24.

Note 5 La recherche s'est déroulée du 16 février au 2 avril 2000. Paul Howe et David Northrup, « Strengthening Canadian Democracy: The Views of Canadians », Policy Matters/Enjeux publics, vol. 1, nº 5 (juillet 2000).

Note 6 L'enquête, commandée par la Canadian Broadcasting Corporation, s'est déroulée du 12 au 18 mai 2004; l'élection a été déclenchée le 23 mai. La question était la suivante : « Est-ce que vous êtes d'accord ou en désaccord avec chacun des énoncés suivants? », suivie de six énoncés sur les mécanismes électoraux au Canada. Le dernier se lisait comme suit : « Les élections fédérales devraient avoir lieu à date fixe tous les quatre ans plutôt que quand le parti au pouvoir choisit de les déclencher. », sondage de la CBC, 2004.

Note 7 Voir www.gnb.ca/0100/index-f.asp.

Note 8 « Les libéraux de l'Alberta voudraient tenir les élections à tous les quatre ans », déclare Taft, Canadian Press, 18 juin 2004.

Note 9 Voir Peter Aucoin, Jennifer Smith et Geoff Dinsdale, Le gouvernement responsable : Éclaircir l'essentiel, éliminer les mythes et explorer le changement (Ottawa, Centre canadien de gestion, 2004).

Note 10 Syndicat des employés et employées de la fonction publique de l'Ontario c. Ontario (procureur général) [1987] 2 R.C.S. 2.

Note 11 La Constitution (Parliamentary Reform) Act 2003 [Act No. 2/2003] de l'État australien de Victoria. Voir plus particulièrement Part 1, s. 1(a) et Part 2, s. 3. En vertu de cette loi, l'assemblée prend automatiquement fin (est dissoute) à tous les quatre ans, en novembre. Si l'assemblée devait être dissoute avant, « l'assemblée suivante prend fin le mardi qui précède de 25 jours le dernier samedi de novembre qui est le plus près du dernier anniversaire de la date d'élection à laquelle elle a été élue qui survient pas plus de quatre ans après qu'elle eut été élue ». (s. 38(2)).

Note 12 « La prochaine élection générale provinciale aura lieu le mardi 17 mai 2005. Chacune des élections générales provinciales subséquentes se déroulera le deuxième mardi de mai de la quatrième année suivant la plus récente élection générale provinciale. » (Constitution Act, s. 23).

Note 13 Tom Kent, « He must pluck his power ... », The Globe and Mail, 29 janvier 2004, p. A19.

Note 14 Toutefois, à l'exception de la renommée affaire King-Byng de 1926, le gouverneur général a toujours accepté. Sur l'affaire King-Byng, voir Roger Graham, dir., The King-Byng Affair, 1926: A Question of Responsible Government (Toronto: Copp Clark Pub. Co., 1967).

Note 15 R. MacGregor Dawson, The Government of Canada, 5e éd., rév. par Norman Ward (Toronto, University of Toronto Press, 1970), p. 161 ff.

Note 16 Toutefois, les tribunaux ont statué que cette loi constitue encore, malgré son nom, une simple mesure législative. Voir Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada (Scarborough (Ontario), Carswell, 2003), p. 8, note 33 et l'affaire qui y est citée.

Note 17 Donald J. Savoie, Governing from the Centre: The Concentration of Power in Canadian Politics (Toronto, University of Toronto Press, 1999).

Note : 

Les opinions exprimées par les auteurs ne reflètent pas nécessairement celles du directeur général des élections du Canada.