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Perspectives électorales – La participation électorale des groupes ethnoculturels

Perspectives électorales – Décembre 2006

Rattraper le temps perdu : Le taux de vote des immigrants au Canada

Stephen White
Candidat au doctorat, Département de science politique, Université de Toronto

Neil Nevitte
Professeur, Département de science politique
Université de Toronto

André Blais
Professeur, Département de science politique
Université de Montréal

Joanna Everitt
Professeure agrégée, Département d'histoire et de science politique, Université du Nouveau-Brunswick

Patrick Fournier
Professeur adjoint, Département de science politique
Université de Montréal

Elisabeth Gidengil
Professeure, Département de science politique
Université McGill

Le présent article compare les facteurs qui déterminent le taux de participation électorale des Canadiens de naissance et des Canadiens nés à l'étranger, en utilisant les résultats concernant des échantillons combinés de ces deux groupes respectifs dans le cadre de l'Étude électorale canadienne (EEC) de 1988, 1993, 1997, 2000 et 2004. Il paraît plausible de supposer que les taux de participation électorale des immigrants pourraient être différents de ceux des Canadiens d'origine. Le tableau obtenu est toutefois beaucoup plus complexe qu'on n'aurait pu le prévoir. Les résultats de l'EEC indiquent qu'un pourcentage similaire d'immigrants et de Canadiens de naissance se prévalent de leur droit de vote. Ils montrent aussi que la courbe d'apprentissage politique des immigrants est plus abrupte, mais qu'ils parviennent à rattraper le temps perdu.

Lors de l'élection générale fédérale de 2006, le Parti conservateur du Canada a déployé des efforts concertés pour gagner des voix dans un secteur habituellement fidèle au Parti libéral du Canada, à savoir celui des communautés d'immigrants note 1. Les stratégies des partis fédéraux ont souligné le fait que ce vaste bassin hétérogène d'électeurs n'avait jamais vraiment été au centre de la concurrence entre les partis. Bien qu'environ un Canadien sur cinq soit né à l'étranger, nous en connaissons relativement peu sur leur participation électorale.

Cet article porte sur deux questions relatives au taux de participation électorale des immigrants au Canada. Premièrement, le taux de participation électorale des Canadiens nés à l'étranger est-il supérieur, inférieur ou semblable à celui des Canadiens de naissance? Deuxièmement, les facteurs qui expliquent les variations dans les taux de participation électorale chez les immigrants et chez les Canadiens d'origine sont-ils semblables ou différents? Nous examinerons ces questions à l'aide des données provenant des échantillons combinés, respectivement de Canadiens de naissance et de Canadiens nés à l'étranger, de l'Étude électorale canadienne (EEC) de 1988, 1993, 1997, 2000 et 2004 note 2. Les données indiquent que les immigrants doivent surmonter une courbe d'apprentissage abrupte en matière de politique; ils ont un déficit quant à l'expérience réelle en matière de politique canadienne. Toutefois, les données indiquent aussi qu'ils sont capables de rattraper le temps perdu et qu'ils le font.

Ressources de facilitation et de motivation et taux de participation

La plupart des analystes du comportement des électeurs s'entendent pour dire que le taux de participation électorale varie selon une combinaison de facteurs de facilitation et de motivation. Les seconds touchent au niveau d'intérêt et à la perception de l'efficacité politique, tandis que les premiers peuvent comprendre un revenu élevé, un niveau de scolarité supérieur ou bien une vaste expérience politique. Au total, les données permettent de conclure que plus une personne réunit un nombre élevé de ces ressources, plus elle est susceptible d'exercer son droit de vote note 3.

Il n'est pas certain qu'en raison de ces facteurs les immigrants au Canada exercent leur droit de vote en nombre relativement plus grand ou non que leurs concitoyens nés au Canada. D'une part, il existe des motifs raisonnables de supposer que le taux de participation électorale pourrait être inférieur chez les immigrants canadiens que chez les Canadiens de naissance. Après tout, les immigrants ont connu des systèmes politiques différents – parfois radicalement différents – et leur expérience du système politique canadien est moindre que celle des personnes nées au Canada. Par conséquent, la courbe d'apprentissage politique des immigrants est beaucoup plus abrupte que celle des Canadiens de naissance et cela risque davantage de constituer un obstacle à leur participation électorale. Il est aussi possible que de nombreux Canadiens nés à l'étranger manquent de temps et d'argent, ressources socioéconomiques qui facilitent la participation électorale.

D'un autre côté, on pourrait en toute logique penser, au contraire, que les immigrants canadiens seraient plus susceptibles d'exercer leur droit de vote que les Canadiens de naissance. En effet, un nombre grandissant d'immigrants proviennent de pays où la population n'a pas la possibilité de voter et, par conséquent, ils pourraient être moins enclins que les Canadiens de naissance à tenir leur droit de vote pour acquis. Qui plus est, même si un grand nombre d'immigrants n'ont pas suffisamment de temps, d'argent ou d'expérience pertinente pour participer à la politique canadienne, ils sont dotés des ressources cognitives de base qui facilitent l'exercice du droit de vote. Les immigrants ont en général un niveau d'éducation supérieur à celui des Canadiens de naissance parce que, depuis 1967, la politique d'immigration du Canada favorise les candidats bien scolarisés ainsi que les travailleurs spécialisés note 4.

Données de l'Étude électorale canadienne

Le niveau de scolarité universitaire, l'ampleur du revenu et l'intérêt politique ont plus d'influence sur le taux de participation des Canadiens de naissance que sur celui des immigrants.

Comme point de départ, nous examinerons les observations fondamentales à propos des différences entre les taux de participation électorale des Canadiens de naissance et des Canadiens nés à l'étranger. Dans l'ensemble, les données sont quelque peu décevantes : en définitive, les immigrants ne sont ni plus ni moins enclins à voter que les Canadiens de naissance. Cependant, ce n'est pas parce que les taux de participation électorale des deux groupes sont relativement semblables que l'on peut conclure que leurs facteurs de motivation respectifs sont exactement les mêmes. Pour examiner la question, nous avons analysé l'incidence distincte de l'âge, du revenu, du niveau de scolarité et de l'intérêt des immigrants et des Canadiens de naissance sur leur taux de participation électorale. Nous avons estimé par des méthodes statistiques quelle pourrait être l'influence de chacun de ces facteurs sur le taux de participation, toutes autres choses étant égales par ailleurs. Par exemple, la différence entre le taux de participation électorale des répondants n'ayant pas de diplôme d'études secondaires et de ceux détenant un diplôme d'études universitaires ont été estimés en supposant que tous les répondants avaient le même âge, qu'ils se situaient dans la même fourchette salariale et qu'ils avaient un niveau d'intérêt similaire à l'égard de l'élection note 5.

Ces ressources de facilitation et de motivation ont une grande influence sur le taux de participation électorale des Canadiens de naissance, mais beaucoup moins sur celui des immigrants canadiens. L'influence distincte du niveau de scolarité, du revenu et de l'intérêt politique sur le taux de participation électorale des Canadiens de naissance est statistiquement robuste et significative; elle dépasse largement les estimations correspondantes pour le taux de participation électorale des immigrants (voir figure 1). Les Canadiens de naissance qui ont fait des études universitaires sont environ huit points de pourcentage plus enclins à exercer leur droit de vote que ceux qui ne possèdent aucun diplôme d'études secondaires. À l'inverse, moins de un point de pourcentage sépare ces deux groupes chez les immigrants. L'écart entre l'effet du revenu sur le taux de participation électorale chez les Canadiens de naissance et chez les immigrants est moins marqué, mais il va dans la même direction : chez les premiers, la participation électorale de ceux qui ont un revenu élevé est supérieure de trois points et demi de pourcentage par rapport à ceux à faible revenu. Chez les immigrants canadiens, on ne remarque qu'une légère différence de un point et demi de pourcentage entre les répondants à revenu élevé et à faible revenu. On observe la même tendance pour ce qui est de l'intérêt politique. Les Canadiens de naissance qui s'intéressent de près à la politique sont 33 points de pourcentage plus enclins à voter que ceux dont l'intérêt politique est faible. Là encore, parmi les immigrants canadiens, l'écart correspondant s'inscrit dans le même sens, mais il se situe à seulement 22 points de pourcentage. Les immigrants qui n'ont pas les mêmes niveaux de scolarité ou de revenu et qui n'ont pas le même degré d'intérêt pour la politique et les élections exercent leur droit de vote dans des proportions similaires.

Figure 1
Estimation de l'influence des facteurs de facilitation et de motivation sur la participation électorale

Figure 1 Estimation de l'influence des facteurs de facilitation et de motivation sur la participation électorale

Source : Étude électorale canadienne, de 1988 à 2004

On constate des résultats surprenants si l'on examine l'incidence de l'expérience en matière de politique canadienne sur le taux de participation électorale note 6. Pour les personnes nées au Canada, l'âge traduit parfaitement leur niveau d'expérience en matière de politique canadienne : les citoyens les plus âgés ont tout simplement vécu davantage d'élections que leurs concitoyens plus jeunes. Évidemment, pour ce qui est des immigrants, l'âge est une mesure moins représentative de l'expérience de la politique canadienne. De par leur situation, ils ont d'abord connu le système politique de leur pays d'origine, et la portée de cette expérience peut varier d'un immigrant à l'autre. Accumuler l'expérience de la politique canadienne au fil des ans influence certainement beaucoup le taux de participation électorale des Canadiens de naissance. Cependant, l'observation la plus frappante que nous ayons faite dans le cadre de notre examen est que l'âge semble être un indicateur encore plus important du taux de participation électorale des immigrants. Selon nos estimations, l'écart entre le taux de participation électorale d'un immigrant canadien de 20 ans et d'un autre de 50 ans est d'environ 40 points de pourcentage, toutes autres choses étant égales par ailleurs. À l'opposé, l'écart entre le taux de participation électorale des Canadiens de naissance de ces âges se situe à moins de 20 points de pourcentage (voir figure 2).

Figure 2
Estimation de l'augmentation de la participation électorale selon l'âge des répondants

Figure 2 Estimation de l'augmentation de la participation électorale selon l'âge des répondants

Note : Le taux de participation électorale des immigrants de 20 ans est utilisé comme point de comparaison.
Source : Étude électorale canadienne, de 1988 à 2004

La tendance des jeunes Canadiens à voter dans une moins grande proportion que leurs aînés, fait bien établi, est encore plus prononcée chez certains groupes d'immigrants.

Cette observation soulève automatiquement une autre question : pourquoi l'âge exerce-t-il une si grande influence sur le taux de participation électorale des immigrants canadiens? Il existe une vaste documentation sur le fossé entre les générations en matière de participation électorale des Canadiens d'origine. Non seulement les jeunes Canadiens de naissance sont-ils moins enclins que leurs aînés à exercer leur droit de vote, mais ceux des générations plus récentes sont encore moins portés à voter que ne l'étaient leurs prédécesseurs au même âge note 7. Est-il possible que les données présentées dans cet article reflètent en définitive les écarts entre générations plutôt que les différences liées à l'expérience en matière d'élections canadiennes? En un mot, non. Dans la mesure où l'on constate des différences entre les générations, on pourrait s'attendre à ce que la corrélation négative entre l'âge et le taux de participation électorale soit plus prononcée chez les Canadiens de naissance que chez les immigrants canadiens. Après tout, ces derniers sont plus nombreux à avoir vécu leurs années d'apprentissage dans un autre pays.

Comprendre l'influence de l'expérience

Même si l'hypothèse fondée sur les générations peut être réfutée, fournir une interprétation fiable de l'influence de l'âge sur le taux de participation électorale des immigrants canadiens constitue malgré tout un défi, parce qu'il est difficile de déterminer avec certitude ce que l'âge des immigrants permet de mesurer. Est-ce qu'il indique l'expérience politique accumulée au Canada? Est-il représentatif de l'expérience politique accumulée à la fois au Canada et dans le pays d'origine? Ou bien reflète-t-il le moment dans le cycle de vie des immigrants canadiens où ils ont quitté leur pays d'origine?

Il est tout à fait possible que le nombre total d'années d'expérience politique des immigrants, celles accumulées au Canada aussi bien que dans leur pays d'origine, soit un facteur important pour déterminer s'ils votent ou non. Il est nécessaire de comprendre les nuances de cette influence. D'une part, le degré d'adaptation des immigrants au système politique canadien dépend du nombre d'années d'expérience accumulées sous le régime politique du Canada : par exemple, plus ils ont connu d'élections canadiennes, plus ils sont enclins à voter. Le fait qu'aux États-Unis le taux de participation électorale de différents groupes d'immigrants augmente en fonction de leur nombre d'années de résidence au pays milite certainement en faveur d'une pareille interprétation note 8.

D'un autre côté, l'âge d'un immigrant peut donner un indice de l'expérience accumulée avant son arrivée au Canada. Or, la difficulté d'adaptation au système politique canadien peut être d'autant plus grande que l'immigrant a vécu longtemps dans son pays d'origine. La majorité des prédispositions à l'égard de la politique sont acquises tôt dans la vie durant les années d'apprentissage. Ces prédispositions deviennent ancrées dans une relativement courte période, et il devient difficile de les changer après les années d'apprentissage. Par conséquent, les orientations envers la politique développées tôt dans la vie poussent les gens à éviter ou à rejeter les messages perçus dans l'environnement qui vont à l'encontre de ces orientations note 9. Dans cette optique, on peut avancer que plus les immigrants ont vécu dans leur pays d'origine, moins ils sont portés à voter.

D'un autre point de vue, on peut toutefois croire qu'un changement dans l'environnement de l'apprentissage politique n'entraîne qu'une très faible incidence sur l'acquisition des normes et des comportements à l'égard de la politique. En l'occurrence, on dirait que les immigrants sont capables de tirer des leçons de tous leurs antécédents et de transférer ces leçons dans leur nouvel environnement note 10. Selon Jerome Black, [traduction] « Plus importante encore que le contexte particulier dans lequel l'expérience politique se déroule est l'expérience réelle en matière de politique, c'est-à-dire que c'est l'accumulation de l'expérience – et l'intérêt – en matière de politique en soi qui importe le plus » note 11. Cette perspective implique que l'âge est le facteur qui compte vraiment comme mesure de l'expérience totale en politique.

Afin de déterminer ce qui pousse réellement les immigrants canadiens les plus âgés à voter en plus grand nombre que les plus jeunes, nous avons élaboré une deuxième façon d'analyser les données qui tient compte des effets distincts de l'âge, de la durée de la période de résidence dans le pays d'origine et du nombre d'années vécues sous le système politique canadien note 12. Ces conclusions démontrent que c'est l'expérience au chapitre de la politique canadienne qui détermine principalement le taux de participation électorale des immigrants canadiens (voir figure 3). Lorsque l'âge, la durée de résidence dans le pays d'origine et toutes les autres variables des analyses précédentes sont maintenus constants, l'ampleur de l'expérience en matière de politique canadienne a une incidence forte et positive sur le taux de participation électorale. Selon nos estimations, la probabilité qu'un immigrant établi au Canada depuis 10 ans exerce son droit de vote est de 15 points de pourcentage plus élevée que celle d'un immigrant établi au Canada depuis seulement 5 ans. Après environ 20 ans au Canada, l'influence de l'expérience sur la participation électorale plafonne. Fait intéressant, ni l'âge ni la durée de résidence au pays d'origine n'ont une influence distincte statistiquement significative sur le taux de participation électorale.

Figure 3
Estimation de l'augmentation de la participation électorale selon le nombre d'années de résidence au Canada (immigrants au Canada seulement)

Figure 3 Estimation de l'augmentation de la participation électorale selon le nombre d'années de résidence au Canada (immigrants au Canada seulement)

Note : Le taux de participation électorale chez les immigrants qui vivent au Canada depuis cinq ans est utilisé comme point de comparaison.
Source : Étude électorale canadienne, de 1988 à 2004

Une courbe d'apprentissage plus abrupte pour les immigrants

Les données présentées ici brossent un tableau plus complexe que nous n'aurions prévu en ce qui concerne le taux de participation électorale des immigrants. Les données de l'Étude électorale canadienne (EEC) indiquent que la courbe d'apprentissage politique est plus abrupte pour les immigrants, mais de toute évidence, ils peuvent rattraper le temps perdu. En bout de ligne, le manque d'expérience quant au système politique canadien n'empêche pas vraiment les immigrants de voter. Cependant, plusieurs des autres ressources qui facilitent normalement la participation électorale – ressources socioéconomiques, niveau de scolarité et intérêt politique – ont une influence plus faible chez les immigrants que chez les Canadiens de naissance.

Conclusion

Des immigrants asiatiques arrivent au centre d'immigration de l'aéroport international de Vancouver.

Les immigrants font face à de nombreuses difficultés dès leur arrivée au Canada, et il est tout à fait compréhensible que leur participation électorale ne soit pas nécessairement leur principale priorité. L'intégration des immigrants à la politique conventionnelle, tout comme pour les Canadiens de naissance, s'avère être graduelle : leur degré d'expérience politique concrète ne s'accumule que d'une manière progressive. Toutefois, les immigrants sont confrontés à un obstacle additionnel : lorsqu'ils arrivent au Canada, ils n'ont aucune base d'expérience concrète de la politique canadienne sur laquelle ils peuvent s'appuyer. L'EEC donne à penser que les immigrants canadiens pallient ce manque d'expérience politique plus rapidement et plus complètement qu'on ne pourrait le supposer. Même si la politique n'est pas une très grande priorité pour eux, les immigrants recueillent avec le temps suffisamment d'information pour savoir quand ils doivent voter, s'ils vont le faire ou non, et pour qui ils voteront.

Il reste toutefois au moins deux autres questions à propos de la participation électorale des immigrants canadiens auxquelles nous n'avons pas de réponse. Premièrement, pourquoi les Canadiens nés à l'étranger réussissent-ils à surmonter la courbe d'apprentissage abrupte auxquelles ils sont confrontés en ce qui concerne l'exercice de leur droit de vote? Une grande motivation qui pourrait pousser les immigrants à exercer leur droit de vote – que nous n'avons pas pu mesurer dans la présente analyse – est le sentiment que voter est un devoir de citoyen note 13. Cette obligation perçue pourrait être le facteur essentiel qui détermine si les Canadiens naturalisés choisissent d'aller aux urnes ou non, particulièrement s'ils proviennent d'un pays où les droits démocratiques sont au mieux fragiles. Dans un même ordre d'idées, une autre motivation pour voter pourrait être le désir de prendre la place qui leur revient. Les immigrants intègrent les normes et les comportements de la collectivité locale dans un effort volontaire de s'intégrer note 14.

Deuxièmement, pourquoi l'influence de certains facteurs sur le vote, comme le niveau de scolarité, le revenu et l'intérêt politique, est-elle moindre chez les immigrants que chez les personnes nées au Canada? Il est possible que puisque les immigrants ressentent un sens du devoir de voter plus marqué que les Canadiens de naissance, ils pourraient être plus enclins à voter peu importe leur degré d'intérêt politique ou leur situation socioéconomique. Une autre possibilité pourrait être que les liens sociaux profonds que tissent les immigrants au sein de leurs communautés respectives contribuent à favoriser la participation électorale. Après tout, des liens solides au sein de la communauté sont un des principaux éléments expliquant pourquoi les Afro-Américains aux États-Unis sont davantage actifs sur le plan politique que ne le laisseraient supposer leurs antécédents socioéconomiques note 15.

Au début de cet article, nous avancions que certaines ressources comme le niveau de scolarité, le revenu, l'intérêt politique et l'expérience antérieure en matière de politique sont cruciales pour la participation électorale. Voter est relativement simple, mais les citoyens ont en général besoin d'acquérir une certaine base de compétences et de connaissances pour le faire. Il s'avère que les immigrants canadiens dont le niveau de scolarité, le revenu et l'intérêt politique sont faibles ont tendance à voter tout autant que les immigrants qui ont ces ressources en abondance. Toutefois, un facteur – l'expérience en matière de politique canadienne – a une incidence particulièrement grande sur le vote des immigrants. Les Canadiens nés à l'étranger profitent pleinement de cette ressource.

Notes

Note 1 Les données préliminaires non pondérées de l'Étude électorale canadienne de 2006 indiquent que 50 % des immigrants arrivés au Canada après l'âge de 12 ans ont voté pour le Parti libéral. Aux cinq élections fédérales tenues entre 1988 et 2004, ce sont 48 % des immigrants de cette catégorie qui ont voté pour le Parti libéral.

Note 2 Nous avons tenu compte de la pondération à l'échelle nationale des cinq études. Parce que nous nous intéressions aux effets de l'apprentissage politique qui précède et qui suit l'immigration, l'échantillon ne compte que des immigrants qui sont arrivés au Canada après l'âge de 12 ans. Il y a 308, 209, 371, 354 et 437 immigrants dans les études de 1988, 1993, 1997, 2000 et 2004 respectivement. Les études ont été financées par le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada ainsi que par des fonds additionnels fournis par Élections Canada (2000 à 2006) et par l'Institut de recherche en politiques publiques (2000). La collecte de données sur le terrain a été réalisé par l'Institute for Social Research de l'Université York (1988 à 2006) et par Jolicœur et Associés (2000). Les enquêteurs principaux sont André Blais (1988 à 2006), Henry E. Brady (1988 à 1993), Jean Crête (1988), Joanna Everitt (2004 à 2006), Patrick Fournier (2004 à 2006), Elisabeth Gidengil (1993 à 2006), Richard Johnston (1988 à 1993), Richard Nadeau (1993 à 2000) et Neil Nevitte (1993 à 2006).

Note 3 Voir Steven J. Rosenstone et John Mark Hansen, Mobilization, Participation, and Democracy in America (New York : Macmillan, 1993); Russell J. Dalton, Citizen Politics: Public Opinion and Political Parties in Advanced Industrial Democracies, 4e éd. (Washington : Congressional Quarterly, 2006); Sidney Verba, Kay Lehman Schlozman et Henry E. Brady, Voice and Equality: Civic Volunteerism in American Politics (Cambridge, Massachusetts : Harvard University Press, 1995).

Note 4 Peter S. Li, Destination Canada: Immigration Debates and Issues (Don Mills, Ontario : Oxford University Press, 2003).

Note 5 Les estimations sur la probabilité de vote ont été obtenues grâce à la méthode de simulation Monte Carlo (M=1000) en utilisant un modèle logit binaire. De plus, les variables pertinentes (âge, niveau de scolarité, revenu et intérêt politique), lieu de résidence (Vancouver, Toronto, Montréal), sexe des répondants et année du sondage ont été contrôlés pour chacun des modèles.

Note 6 Bien que les années d'expérience additionnelles soient certainement importantes pour l'apprentissage social, les psychologues ont démontré que l'apprentissage social se fait tôt, tandis que les gains en matière d'apprentissage fondés sur l'expérience diminuent au fur et à mesure que les années d'expérience s'accumulent (voir Paul B. Baltes, Ursula M. Staudinger et Ulman Lindenberger, « Lifespan Psychology: Theory and Application to Intellectual Functioning », Annual Review of Psychology, vol. 50 [février 1999], p. 471-507). C'est pour cette raison que nous utilisons la transformation des logarithmes naturels, selon laquelle une pondération réduite est attribuée aux années d'expérience additionnelles.

Note 7 Voir, par exemple, Elisabeth Gidengil, André Blais, Neil Nevitte et Richard Nadeau, « La politique électorale : où sont passés les jeunes? », Perspectives électorales, vol. 5, n° 2 (juillet 2003), p. 9-14.

Note 8 Voir John R. Arvizu et F. Chris Garcia, « Latino Voting Participation: Explaining and Differentiating Latino Voting Turnout », Hispanic Journal of Behavioral Sciences, vol. 18, n° 2 (mai 1996), p. 104-128; S. Karthic Ramakrishnan et Thomas J. Espenshade, « Immigrant Incorporation and Political Participation in the United States », The International Migration Review, vol. 35, n° 3 (automne 2001), p. 870-909.

Note 9 Voir, par exemple, Leon Festinger, A Theory of Cognitive Dissonance (Stanford : Stanford University Press, 1957) et John Zaller, The Nature and Origins of Mass Opinion (Cambridge, Massachusetts : Cambridge University Press, 1992).

Note 10 Voir Jerome H. Black, « Immigrant Political Adaptation in Canada: Some Tentative Findings », Canadian Journal of Political Science/Revue canadienne de science politique, vol. 15, n° 1 (mars 1982), p. 3-27; Jerome H. Black, « The Practice of Politics in Two Settings: Political Transferability Among Recent Immigrants to Canada », Canadian Journal of Political Science/Revue canadienne de science politique, vol. 20, n° 4 (décembre 1987), p. 731-753; Jerome H. Black, Richard G. Niemi et G. Bingham Powell, Jr., « Age, Resistance, and Political Learning in a New Environment: The Case of Canadian Immigrants », Comparative Politics, vol. 20, n° 1 (octobre 1987), p. 73-84.

Note 11 Black, « The Practice of Politics », p. 739.

Note 12 On a utilisé la même méthode d'estimation (la méthode de simulation Monte Carlo et le modèle logit binaire) pour l'échantillon d'immigrants, avec une transformation des logarithmes naturels pour les années d'expérience antérieure dans le pays d'origine et les années d'expérience au Canada intégrées dans le modèle. Aucun des coefficients de tolérance relatifs à l'âge, à l'expérience antérieure ou à l'expérience dans le pays d'origine n'est inférieur à 0,10 dans cette analyse.

Note 13 André Blais, To Vote or Not to Vote? The Merits and Limits of Rational Choice Theory (Pittsburgh : University of Pittsburgh Press, 2000).

Note 14 Michael MacKuen et Courtney Brown, « Political Context and Attitude Change », American Political Science Review, vol. 81, n° 2 (juin 1987), p. 471- 490; James M. Glaser et Martin Gilens, « Interregional Migration and Political Resocialization: A Study of Racial Attitudes Under Pressure », Public Opinion Quarterly, vol. 61 (1997), p. 72-86.

Note 15 Sidney Verba et Norman H. Nie, Participation in America: Political Democracy and Social Equality (New York : Harper & Row, 1972); Carole J. Uhlaner, « Rational Turnout: The Neglected Role of Groups », American Journal of Political Science, vol. 33, n° 2 (mai 1989), p. 390-422.


Note : 

Les opinions exprimées par les auteurs ne reflètent pas nécessairement celles du directeur général des élections du Canada.