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Perspectives électorales - Réforme du financement des élections : Canada, Grande-Bretagne et États-Unis

Perspectives électorales – Mai 2002

Thérèse Casgrain

Photo supérieure : Yousuf Karsh/Archives nationales du Canada PA-178177
Photo du bas : Archives nationales du Canada PA-126768 Utilisée avec la permission de Renée Casgrain Nadeau

Thérèse Casgrain a mené la campagne pour le droit de vote des femmes au Québec et est devenue la première femme élue à la tête d'un parti politique au Canada. En 1970, à 74 ans, elle a été nommée membre du Sénat du Canada. Mme Casgrain n'a siégé que pendant neuf mois, car l'âge de la retraite obligatoire au Sénat est fixé à 75 ans.

Thérèse Casgrain
suffragette, première femme à diriger un parti et sénatrice

Wayne Brown
Rédacteur, Perspectives électorales
Élections Canada

Thérèse Casgrain a mené la campagne pour le droit de vote des femmes au Québec et est devenue la première femme élue à la tête d’un parti politique au Canada. En 1970, à 74 ans, elle a été nommée membre du Sénat du Canada. Mme Casgrain n’a siégé que pendant neuf mois, car l’âge de la retraite obligatoire au Sénat est fixé à 75 ans.

Pendant près de 20 ans, Thérèse Casgrain milite pour que les Québécoises obtiennent le droit de voter aux élections provinciales. La loi leur accordant ce droit est finalement adoptée au printemps de 1940 et annonce une ère nouvelle pour les femmes du Québec. Une décennie plus tard (il y a 50 ans seulement), Mme Casgrain devient la première femme élue à la tête d'un parti politique au Canada. Même si Thérèse Casgrain ne jouit pas aujourd'hui d'une aussi grande renommée que bien des femmes qui sont par la suite devenues députées fédérales et provinciales, chefs de parti, ministres et chefs d'État, il n'en demeure pas moins qu'elle réussit à s'imposer à une époque conservatrice où les femmes jouent rarement un rôle public. Parallèlement à sa carrière politique, Mme Casgrain élève quatre enfants et travaille sans relâche à corriger de nombreuses injustices sociales. À 74 ans, elle est nommée membre du Sénat du Canada.

« Aujourd’hui, les femmes n’ont pas à envisager les mêmes difficultés qu’autrefois; elles s’affirment davantage et sont un peu mieux écoutées, mais la société d’égalité entre les hommes et les femmes est loin d’être réalisée. Toute ma vie, j’ai préconisé qu’il fallait questionner, prendre position et agir. »
– Thérèse Casgrain, dans son autobiographie parue en 1972

Une enfance aisée

Thérèse Casgrain naît à Montréal, le 10 juillet 1896; elle est la fille de lady Blanche MacDonald et de sir Rodolphe Forget, un éminent financier et politicien conservateur, considéré au tournant du siècle comme l'un des hommes les plus riches de Montréal. Thérèse vivra jusqu'à l'âge de 85 ans. Issue d'une famille aisée, elle aurait pu facilement s'offrir une vie « tranquille ». comme l'écrit True Davidson dans The Golden Strings, « Thérèse Forget a grandi dans une famille où il semble normal d'avoir une gouvernante à domicile, de fréquenter le pensionnat, de se déplacer dans une voiture tirée par des chevaux, de porter des robes du soir en velours et des colliers de perles, de passer l'été dans une résidence de 16 chambres à Saint-Irénée, à quelques milles seulement du Manoir Richelieu, de séjourner à Paris et d'avoir de nombreux domestiques à son service. Mais sir Rodolphe Forget est apparemment un philanthrope aux multiples visées progressistes pour sa collectivité. » Sa fille fréquente les meilleurs couvents où elle étudie la musique, les langues et l'économie domestique. Cependant, lorsqu'elle exprime le désir de poursuivre des études de droit, il lui rappelle que sa place est dans la cuisine.

Déjà jeune femme , Thérèse se fait remarquer par sa très grande confiance en elle et son sens de l'humour; elle conteste les réalités qui lui semblent inacceptables et aime exercer son leadership. L'auteure Susan Mann Trofimenkoff (Thérèse Casgrain and the CCF in Quebec) explique que Thérèse « s'opposait résolument à la ronde incessante des divertissements et à la frivolité dont elle était témoin dans son milieu. Elle garde aussi ses distances par rapport à l'Église catholique et affirme avoir été moins obéissante que les autres femmes dans les débuts du mouvement féministe. »

À l'époque où elle fait son entrée dans le monde, Thérèse est bénévole à un souper d'huîtres organisé chaque année au profit de l'Institut des sourds-muets et, à cette occasion, renoue avec Pierre Casgrain, un jeune avocat rencontré quelques années auparavant alors qu'elle était écolière. « Il semble aujourd'hui qu'il lui ait fait une cour rapide et intense, écrit Davidson, quoique leurs fréquentations aient été strictement chaperonnées comme le voulait alors la coutume. Ils se marient en janvier 1916 et vont passer leur lune de miel à Cuba. Sur place, la jeune mariée, faisant preuve d'une capacité de réflexion peu commune chez les gens de son âge et chez les membres du groupe social auquel elle appartient, prend de nouveau conscience de l'écart entre les riches et les pauvres, qui vivent côte à côte, et s'interroge sur les conséquences d'une telle injustice. » Cette préoccupation, conjuguée à sa nature grave et indépendante, explique peut-être pourquoi une femme née dans l'aisance combattra sans relâche une société indifférente et ultra-conservatrice, non seulement pour revendiquer les droits des femmes, mais aussi pour réclamer des réformes sociales qui profiteront tout aussi bien à la gent masculine que féminine.

Aux côtés de son mari

Le père de Thérèse Casgrain siège au Parlement durant 13 ans à titre de député conservateur indépendant; il décide cependant de ne pas se présenter à l'élection fédérale de décembre 1917. Il a voté contre la loi sur la conscription présentée par son gouvernement, une loi qui est fortement contestée au Québec et qui divise le pays. À sa place, son gendre Pierre, le mari de Thérèse, décide de se porter candidat dans la circonscription de Charlevoix. Il choisit de briguer les suffrages sous la bannière libérale, c'est-à-dire d'appuyer sir Wilfrid Laurier et de s'opposer à la conscription. Durant la campagne électorale, qui se déroule en plein hiver, il fait très mauvais. Les conditions difficiles n'empêchent pas Thérèse d'accompagner bravement son mari qui réussit à se faire élire, exactement comme l'avait fait sa mère pour son père.

La deuxième campagne électorale de Pierre Casgrain, en 1921, est beaucoup plus difficile. Son adversaire est un ministre du Cabinet. Dès le début de la campagne, il tombe gravement malade et la pleurésie dont il souffre l'empêche de prendre la parole lors d'un vaste rassemblement de partisans. Courageusement, et en dépit du fait que les femmes ne prenaient pratiquement jamais la parole en public au Canada à cette époque, Thérèse décide de le remplacer. Il s'agit de son premier discours politique et aussi de la première élection fédérale à laquelle les femmes peuvent voter et se porter candidates. Pierre Casgrain est réélu. Il est nommé président de la Chambre des communes en 1936 et secrétaire d'État dans l'un des premiers cabinets que forme Mackenzie King en temps de guerre. Les Casgrain sont souvent invités à la résidence du premier ministre, à Ottawa. Ces visites chez le premier ministre, les débats de la Chambre des communes auxquels elle assiste le plus souvent possible, de même que ses fonctions sociales à titre d'épouse du président de la Chambre, fournissent à Thérèse Casgrain de nombreuses occasions d'approfondir sa connaissance de la vie politique et du gouvernement au Canada.

Chef du mouvement réclamant le droit de vote pour les femmes au Québec

Photo : AN, négatif C-22001
Thérèse et Pierre Casgrain étaient souvent invités à la maison Laurier, la résidence du premier
ministre William Lyon Mackenzie King, à Ottawa. Thérèse Casgrain allait quitter le Parti libéral
pour se joindre à la Fédération du Commonwealth coopératif (CCF) en 1946, soit deux ans
avant la fin du dernier mandat de celui qui aura été premier ministredu Canada le plus lontemps
(21 ans). Sur cette photo, M. King dépose son bulletin de vote lors du plébiscite national de
1942 sur la conscription.

En 1918, le Parlement accorde à toutes les Canadiennes âgées d'au moins 21 ans le droit de voter aux élections fédérales, à condition qu'elles ne soient pas étrangères de naissance et qu'elles répondent aux exigences en matière de propriété, dans les provinces où de telles règles sont en vigueur. L'année suivante, les femmes obtiennent également le droit de briguer les suffrages au Parlement. Mais les femmes du Québec ne peuvent toujours pas voter aux élections provinciales. L'Acte constitutionnel de 1791 avait institué une assemblée législative dans le Bas-Canada et accordé le droit de vote à toutes les personnes satisfaisant à certains critères liés à la propriété. Mais en 1843, une loi promulguée par le Parlement de la province du Canada récemment créée avait aboli ce droit parce que certains hommes craignaient de voir leur autorité diminuer si les femmes pouvaient jouer un rôle actif dans les affaires publiques.

Pendant de nombreuses années après la Confédération, les rares tentatives visant à obtenir le droit de vote pour les Québécoises sont en grande partie le fait de femmes anglophones. Puisque la province est majoritairement de langue française, des femmes du Québec décident de former, en 1921, une association bilingue dont Mme Casgrain est l'une des fondatrices. L'association entend se consacrer « à une campagne d'éducation afin de persuader le public et la législature que les femmes ne désiraient pas le vote pour changer leur sphère d'action dans la vie mais plutôt pour élever et améliorer le niveau social en général ». Les femmes devront attendre encore près de deux décennies avant d'obtenir le droit de vote au Québec.

Au cours de l'hiver 1922, une délégation d'environ 400 personnes se rend à Québec afin de demander au gouvernement provincial d'accorder le droit de vote aux femmes. Le gouvernement ne leur donne presque aucun espoir et Mme Casgrain entend dire par la suite que le premier ministre libéral, Alexandre Taschereau, aurait déclaré en privé : « Si jamais les femmes du Québec obtiennent le droit de vote, ce n'est pas moi qui le leur aurai donné. » Le clergé, qui jouit à l'époque d'une grande influence, ne donne pratiquement aucun appui à cette cause. Les femmes décident de prendre des mesures pour qu'un projet de loi favorable au vote féminin soit présenté à chacune des sessions de l'assemblée législative, à chaque année par un député différent.

Mais les groupes féministes sont eux-mêmes divisés et cette division ne prend fin qu'avec la création, en 1928, d'un comité sur le droit de vote des femmes au Québec, dont Mme Casgrain est élue présidente. Par la suite, ce comité se constitue en société sous le nom de la Ligue des droits de la femme , car les femmes sont également intéressées à obtenir de nombreuses réformes familiales, sociales et juridiques. Les femmes francophones des régions rurales n'appuient que timidement le mouvement qui réclame le droit de vote pour les femmes; Mme Casgrain décide donc de les rejoindre en prenant la parole à des congrès et en s'adressant à elles dans le cadre de sa populaire émission de radio « Fémina ». Mme Casgrain dirige la ligue durant plus de 14 ans. Au cours des dernières années de cette période, le premier ministre de l'Union nationale, Maurice Duplessis, s'oppose fermement aux femmes qui militent pour avoir le droit de voter aux élections provinciales.

Les femmes tentent à de nombreuses reprises de réunir des fonds pour financer des campagnes de sensibilisation. Entre-temps, de multiples projets de loi sur le droit de vote des femmes sont défaits à l'assemblée législative. Mais éventuellement, de réels progrès apparaissent. Alors qu'ils sont dans l'opposition, à la fin des années 1930, les libéraux commencent à s'intéresser au droit de vote pour les femmes. Ils bénéficient d'un important appui des femmes lorsqu'ils reprennent le pouvoir en 1939, et le nouveau premier ministre, Adélard Godbout, annonce dans le discours du Trône un projet de loi sur le droit de vote des femmes. Le 25 avril 1940, l'assemblée législative adopte enfin ce projet de loi et les femmes obtiennent le droit de voter aux élections provinciales du Québec.

Sa première campagne électorale personnelle

À l'élection partielle fédérale de 1942, Mme Casgrain est candidate libérale indépendante dans la circonscription de Charlevoix–Saguenay, le siège détenu antérieurement par son père, puis par son mari. Elle doit faire campagne dans un comté qui s'étend sur près de 1 100 km, mais elle compte sur les relations de sa famille dans la circonscription pour lui assurer la victoire. Elle termine cependant en deuxième place. Plus tôt cette année-là, comme la plupart des résidents du Québec, elle avait voté « non » à la question du plébiscite sur la conscription, tenu par le gouvernement libéral de Mackenzie King, et continué par la suite de dénoncer le service outre-mer obligatoire. Pendant la campagne électorale, elle ne reçoit pratiquement aucune aide des personnalités libérales avec lesquelles elle collabore depuis plus de 20 ans. « Je m'aperçus bien vite que les chefs du Parti libéral, tant fédéral que provincial, ne voulaient pas de moi comme député », écrit Mme Casgrain. « Non seulement j'étais une femme , mais ils savaient aussi que si j'étais élue, jamais ils ne pourraient me faire accepter des idées contre lesquelles je m'étais déjà prononcée avec raison. »

Mme Casgrain et le CCF

En 1946, Mme Casgrain devient membre de la Fédération du Commonwealth coopératif (CCF). Qu'est-ce qui peut bien inciter une Canadienne française de la haute société, fortunée et bien entourée, à jouer un rôle actif dans un petit parti socialiste qui a pris naissance dans l'Ouest canadien? C'est peut-être là l'aspect le plus fascinant de la carrière de Mme Casgrain. Trofimenkoff remarque que Mme Casgrain avait alors perdu ses illusions au sujet des libéraux. À titre d'exemple, elle avait espéré que le premier ministre Mackenzie King nomme au Sénat l'une des cinq femmes qui s'étaient illustrées dans l'affaire « personne », ce qui aurait constitué une première au Canada. Somme toute, les cinq Albertaines connues sous le nom des « Famous Five » avaient défié les vues conventionnelles en contestant la notion selon laquelle seul un homme était une « personne », au sens juridique du terme, et seules les « personnes » qualifiées pouvaient être nommées au Sénat. Elles ont finalement remporté leur combat lorsque le comité judiciaire du Conseil privé britannique, le plus haut tribunal du Canada à l'époque, a convenu que les femmes canadiennes étaient à n'en point douter des « personnes » et pouvaient donc être nommées au Sénat et participer à la promulgation des lois du pays. Mais c'est finalement Cairine Wilson, une militante du Parti libéral, qui est la première femme à accéder à la Chambre haute du Canada.

Mme Casgrain semble également avoir eu une grande admiration pour J.S. Woodsworth, le chef du CCF, et pour Agnes Macphail, la première femme élue au Parlement (en 1921); Mme Macphail fait partie d'un groupe de députés indépendants qui se qualifient eux-mêmes de « progressistes ». (Pour en savoir davantage sur Agnes Macphail et sur les progressistes, voir le numéro de novembre 1999 de Perspectives électorales). Le CCF est en faveur de programmes universels de sécurité sociale organisés et financés par l'État, et Trofimenkoff rapporte que Mme Casgrain voit dans le CCF le parti qui partage le plus ses préoccupations concernant le chômage des femmes, leur piètre état de santé, leur faible niveau d'études, leurs conditions de logement médiocres et leurs bas salaires. Dans son autobiographie, Thérèse Casgrain explique ainsi son changement de parti politique : « [...] je voyais à quel point le Canada avait besoin d'une politique axée sur le bien commun plutôt que sur la promotion d'intérêts personnels. »

La goutte d'eau qui fait déborder le vase et qui pousse Mme Casgrain à rompre avec le Parti libéral est peut-être un autre événement survenu en 1945. Le gouvernement se prépare à envoyer les premiers chèques d'allocation familiale. Dans la plupart des régions du Canada, ces chèques seront envoyés aux mères, tandis qu'au Québec, ils seront libellés à l'ordre des pères. Pourquoi cette différence? D'aucuns avaient prétendu que le fait de donner de l'argent aux mères québécoises risquait de miner l'autorité paternelle au sein de la famille, autorité qui était sanctionnée tant par la tradition que par le Code civil de la province. Mme Casgrain fait en sorte que le bureau de King soit inondé de protestations. Elle réussit à le faire changer d'avis mais, un an plus tard, décide de joindre les rangs du CCF.

Première femme à diriger un parti politique au Canada

En 1948, Mme Casgrain accède à l'un des postes de vice-président du CCF; elle est la seule femme à siéger au comité exécutif. Élue chef de l'aile québécoise du parti en 1951, elle devient la première femme de toute l'histoire canadienne à diriger un parti politique. Fait qui semble étrange, Mme Casgrain n'est même pas présente au congrès où elle est nommée chef du parti. Elle se trouve à Francfort, en Allemagne, où elle représente le CCF à un rassemblement international de mouvements socialistes. En 1955, le parti provincial qu'elle dirige est rebaptisé Parti social démocratique du Québec, un nom qui indique plus clairement les objectifs poursuivis par ses membres et qui est aussi plus facile à traduire. Thérèse Casgrain en demeure le chef provincial jusqu'en 1957.

Dans ses mémoires, Mme Casgrain affirme que le CCF a eu « beaucoup de difficultés à s'établir [au Québec], en grande partie à cause de l'emprise de l'Église catholique ». En fait l'Église soupçonne le CCF d'être un mouvement communiste. Dans la province, le parti ne compte que 300 membres et a très peu de chances de succès aux élections. « Nos élites d'alors ont failli à leur devoir. Beaucoup d'hommes remarquables qui, dans leur for intérieur, étaient des radicaux, des réformistes, sacrifiaient leurs idées à leur carrière plutôt que de subir les défaites répétées d'un nouveau parti », écrit-elle. Et elle ajoute : « Militer dans les rangs d'un parti victime de sourdes campagnes menées par les détenteurs du pouvoir, sans caisse électorale et devant une opinion publique mal informée, n'était guère facile. » Par la suite, Thérèse Casgrain se présente comme candidate du CCF à huit élections fédérales et provinciales. Elle fait cependant observer, non sans réalisme, que « le fait d'être une femme , dirigeant un parti de gauche par surcroît, m'enlevait toute chance de succès. Cependant, mon but était atteint puisque mon désir était avant tout de faire connaître la philosophie du CCF et de lui assurer une large publicité. »

Les progressistes-conservateurs de John Diefenbaker enlèvent l'élection fédérale de 1958. À la suite de la piètre performance du CCF lors de cette élection, ses dirigeants et leurs collègues du mouvement ouvrier décident que le moment est venu de créer un nouveau parti. En assemblée, les membres du Congrès du travail du Canada et ceux du CCF adoptent, chacun de leur côté, une résolution demandant la création d'un mouvement politique à larges assises qui regroupera le CCF, le mouvement ouvrier, les associations agricoles, des professionnels et d'autres personnes aux vues progressistes intéressées à utiliser le régime parlementaire pour entreprendre une réforme et une reconstruction sociales de base. C'est Thérèse Casgrain qui préside, à Regina, le congrès du CCF au cours duquel la résolution est adoptée. Trois ans plus tard, le Nouveau Parti Démocratique (NPD) voit le jour et Tommy Douglas, ex-premier ministre de la Saskatchewan, en devient le chef.

Reconnaissance de ses qualités de chef

En 1961, Mme Casgrain fonde la division québécoise de la Voix des femmes, un mouvement voué à la paix dans le monde. Au cours des années ultérieures, elle représente cette organisation à de nombreuses conférences internationales. En 1969, elle devient présidente, pour le Québec, de l'Association des consommateurs du Canada. En 1967, le Conseil national des femmes juives du Canada décerne à Thérèse Casgrain la médaille de « femme du siècle » dans la province de Québec. Cette même année, elle est nommée Officier de l'Ordre du Canada et, en 1974, elle est reçue Compagnon de l'Ordre. En 1979, en reconnaissance du rôle prépondérant qu'elle n'a cessé de jouer dans la lutte pour que les femmes obtiennent le droit de vote au Québec, Thérèse Casgrain se voit décerner le Prix du Gouverneur général en commémoration de l'affaire « personne ».

La sénatrice Casgrain

À l'âge de 74 ans, Mme Casgrain est fort surprise de recevoir un appel téléphonique du premier ministre Pierre Elliott Trudeau qui lui offre un siège au Sénat. Ce n'est que pour quelques mois car, cinq ans auparavant, le Parlement a adopté une loi exigeant que les sénateurs et sénatrices prennent leur retraite le jour de leur 75e anniversaire. Mme Casgrain accepte le poste qui lui est proposé parce qu'elle a la conviction que ce sera une excellente occasion de travailler à l'atteinte de ses objectifs et de servir son pays. Le 8 octobre 1970, Thérèse Casgrain est assermentée sénatrice et choisit de siéger comme indépendante parce que ses collègues du CCF et du NPD ont toujours refusé d'accepter ce genre de nomination, sous prétexte qu'il fallait d'abord réformer le Sénat en profondeur.

Quelques jours plus tard, le Canada vit l'un des événements les plus traumatisants de son histoire. Le délégué commercial britannique à Montréal, James Cross, et le ministre du Travail du Québec, Pierre Laporte, sont kidnappés. La population apprend ensuite avec stupeur le meurtre de Pierre Laporte. Lors de son premier discours au Sénat, Mme Casgrain se dit totalement d'accord avec la décision de Pierre Elliott Trudeau de proclamer la Loi sur les mesures de guerre, qui suscite la controverse. Par la suite, Thérèse Casgrain se rend dans plusieurs villes du pays dans le cadre des travaux du comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes sur la Constitution afin de consulter les Canadiens et Canadiennes sur la meilleure façon de modifier ou de rapatrier l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Lorsque le rapport de la Commission royale d'enquête sur la situation de la femme au Canada est déposé au Parlement, elle préconise que tous les ministres soient chargés d'apporter les améliorations relevant de leurs compétences respectives, mais ce rôle est finalement confié au secrétaire d'État chargé des Affaires urbaines.

Au Sénat, Mme Casgrain s'intéresse à d'autres causes qui lui tiennent à cœur depuis longtemps. Elle rappelle à ses collègues qu'au Québec, contrairement à ce qui se passe dans la plupart des provinces, les femmes ne peuvent toujours pas faire partie d'un jury. Quelques mois plus tard, le gouvernement du Québec supprime cette règle. De plus, Thérèse Casgrain conteste énergiquement certains contrôles exercés dans le domaine agricole, tels celui du prix des œufs, qui, selon elle, risque d'encourager grandement les ventes sur le marché noir. Elle reproche également aux médias de s'intéresser davantage aux scandales de l'heure qu'aux questions économiques sérieuses, ratant ainsi de bonnes occasions, croit-elle, d'éduquer le public et d'accélérer l'adoption des réformes nécessaires.

Mme Casgrain ne siège au Sénat que pendant neuf mois, soit jusqu'en juillet 1971, date à laquelle elle est forcée de prendre sa retraite. Elle aurait préféré rester en place et entreprend donc de se battre contre la retraite obligatoire, quel que soit le type d'emploi occupé. Elle poursuit sa carrière en militant activement pour des organismes canadiens de bienfaisance et pour la défense des droits des consommateurs.

Thérèse Casgrain s'éteint à Montréal, le 3 novembre 1981, à l'âge de 85 ans. Le meilleur résumé de sa vie et de ses réalisations est peut-être celui qui figure dans l'introduction de son autobiographie. Un collègue de longue date de Mme Casgrain, le professeur Frank Scott, écrit en effet ceci : « Mais ceux qui savent qu'une réforme continuelle est essentielle et possible dans notre système parlementaire reconnaîtront que l'apport de Thérèse Casgrain à la démocratie canadienne a été considérable. »

Sources

CASGRAIN, Thérèse F. Une femme chez les hommes, Montréal, Éditions du Jour, 1971, 296 p.

TROFIMENKOFF, Susan Mann. « Thérèse Casgrain and the CCF in Quebec » dans Canadian Historical Review, vol. 66, no 2, juin 1985, p. 125-153. Réédité dans Beyond the Vote: Canadian Woman and Politics, publié sous la direction de Linda Kealey et Joan Sangster, Toronto, University of Toronto Press, 1989, p. 139-168.

DAVIDSON, True. The Gentle Heroine, Thérèse Casgrain, The Golden Strings, Toronto, Griffin House, 1973, p. 35-47.

Bibliothèque nationale du Canada.

Élections Canada. L'histoire du vote au Canada, 1997.


Note : 

Les opinions exprimées par les auteurs ne reflètent pas nécessairement celles du directeur général des élections du Canada.