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Perspectives électorales - Application de la législation électorale

Perspectives électorales – Mars 2003

Election Financing in Canada

Application de la Loi électorale du Canada

Raymond Landry
Commissaire aux élections fédérales

Le processus électoral canadien se caractérise aujourd'hui par un certain nombre de freins et de contrepoids qui réduisent considérablement la probabilité d'abus généralisés, et par des mécanismes d'application qui servent de moyens de dissuasion. Au niveau fédéral, le commissaire aux élections fédérales, agent impartial et indépendant nommé par le directeur général des élections, veille à l'observation et à l'exécution de la Loi.

Le présent article donne un aperçu du rôle et des responsabilités du commissaire aux élections fédérales dans l'application de la législation électorale fédérale, et décrit la démarche à plusieurs volets utilisée pour assurer l'application de la Loi.

Rôle et responsabilités du Bureau du commissaire aux élections fédérales

L'adoption de la Loi sur les dépenses d'élection en 1974 a mené à la création de la fonction de commissaire aux dépenses d'élection. La Loi lui conférait le pouvoir d'appliquer les nombreuses dispositions financières alors introduites dans la Loi électorale du Canadanote 1. En 1977, le commissaire a été chargé de l'application de toutes les dispositions de la Loi, et le titulaire de la charge a été renommé commissaire aux élections fédéralesnote 2.

Le commissaire aux élections fédérales est un agent impartial choisi et nommé par le directeur général des élections (ce dernier est nommé par résolution de la Chambre des communes et relève directement du Parlement). Le commissaire est donc totalement indépendant des politiciens, des partis politiques et du gouvernement lorsqu'il décide de la suite à donner à une allégation d'infraction.

L'article 509 de la Loi électorale du Canada stipule que le commissaire aux élections fédérales doit veiller à l'observation et à l'exécution de la Loinote 3. À cette fin, le commissaire peut ordonner une enquête en cas d'infraction éventuelle et décider des mesures à prendre pour y remédier.

Avant l'adoption de la nouvelle Loi électorale du Canada en 2000, le seul outil d'application dont disposait le commissaire, outre les conséquences administratives automatiques dans le cas de certains actes ou omissions, était l'engagement de poursuites devant les tribunaux. Il avait, et a toujours, la responsabilité exclusive de toutes les poursuites sous le régime de la Loi électorale du Canada et des poursuites découlant d'infractions à l'article 126 du Code criminel. La Loi électorale du Canada adoptée en 2000 est cependant venue élargir son rôle en lui donnant deux nouveaux outils : les transactions et les injonctions, qui seront toutes deux expliquées ci-dessous.

Jusqu'en 1993, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) menait pour le compte du commissaire les enquêtes sur les infractions présumées à la Loi. Un changement majeur est intervenu en 1993 avec la création d'un réseau national d'enquêteurs spéciaux chargés de mener les enquêtes sur le terrain en son nom et à sa demande. À l'heure actuelle, le pays compte 26 enquêteurs spéciaux, qui agissent selon les lignes directrices énoncées dans le Manuel des enquêteurs spéciaux. Ce manuel est accessible en ligne afin que le public ait connaissance des règles auxquelles les enquêteurs sont soumis pour assurer l'équité et l'uniformité du processus d'enquête note 4.

En outre, le commissaire est aidé par des conseillers juridiques et des enquêteurs en chef. Lorsque le commissaire décide d'intenter des poursuites, en se fondant sur la preuve établie par une enquête, un avocat de pratique privée, dont l'indépendance politique a été déterminée, est engagé dans la région en question pour s'occuper du procès.

Le fait d'utiliser un réseau d'enquêteurs spéciaux au lieu de confier les enquêtes à la GRC, et le recours à des avocats de pratique privée plutôt qu'à des procureurs de la Couronne pour intenter les poursuites sont deux éléments qui ont rehaussé l'indépendance du Bureau du commissaire aux élections fédérales. Ces mesures réduisent encore davantage tout risque d'ingérence politique dans l'exercice de ses fonctions.

Enfin, il faut mentionner que le commissaire aux élections fédérales défend habituellement la constitutionnalité des dispositions relatives aux infractions à la Loi électorale du Canada lorsqu'une poursuite est intentée en son nom et que l'avocat de la défense entame une contestation constitutionnelle des dispositions visées. Un avis de question constitutionnelle doit cependant toujours être signifié au procureur général du Canada et au procureur général de chaque province.

L'application de la Loi électorale du Canada : une démarche à plusieurs volets

Le régime d'application de la Loi comporte plusieurs volets, allant des mesures incitatives d'ordre administratif aux poursuites criminelles. Si les poursuites demeurent l'outil d'application de dernier recours, la Loi électorale du Canada adoptée en 2000 donne au commissaire deux nouveaux outils : le pouvoir de conclure des transactions et la capacité de demander une injonction en période électorale. Ces nouveaux outils peuvent servir aussi bien à prévenir des infractions à la Loi qu'à mettre fin à des infractions en cours.

Le simple fait d'intervenir en période électorale, que ce soit pour demander une injonction ou pour conclure une transaction afin d'éviter une violation de la Loi ou la perpétration d'une infraction, peut prêter à la controverse politique. Des ressources peuvent être détournées d'une campagne et des réputations mises en cause. Dans l'exercice de ses pouvoirs, le commissaire doit donc prendre soin d'éviter que le processus de plainte ne devienne une tactique politique.

Nous examinerons ci-dessous chacun des éléments du régime d'application de la Loi.

Mesures administratives

La Loi contient un certain nombre de dispositions prévoyant des conséquences légales automatiques à certains actes ou omissions. Ces mesures d'incitation (ou de dissuasion) visent à encourager les partis politiques et les candidats à se conformer à leurs responsabilités juridiques. Il est à noter que le directeur général des élections est responsable de l'administration de ces mesures, qui comprennent :

  • la perte automatique du cautionnement de candidature si les exigences de déclaration ne sont pas respectées après le scrutin (article 468);
  • la perte du deuxième versement du remboursement des dépenses électorales d'un candidat si les exigences de déclaration ne sont pas respectées (article 465);
  • la suspension du parti politique enregistré qui omet de présenter son rapport financier annuel (articles 386 et 387).

L'existence de ces sanctions légales peut avoir une incidence sur la démarche que choisit le commissaire pour aborder une plainte. En fait, il incombe au commissaire de choisir l'outil qui convient le mieux au règlement efficace d'un cas de dérogation.

Le pouvoir de demander une injonction

L'article 516 confère au commissaire l'autorité de demander au tribunal compétent de délivrer une injonction ordonnant à une personne soit de s'abstenir de tout acte contraire à la Loi, soit d'accomplir tout acte exigé par la Loi. Ces nouvelles mesures ont été spécialement adaptées au processus électoral.

Le commissaire ne peut lui-même délivrer une injonction. Il peut seulement demander à un tribunal de le faire. De plus, il peut le demander uniquement en période électorale, une période qui peut ne compter que 36 jours entre la date de délivrance du bref et le jour du scrutin.

Avant que le commissaire puisse demander une injonction et qu'un tribunal puisse y donner suite, il doit y avoir des motifs raisonnables de croire à l'existence, à l'imminence ou à la probabilité d'un acte ou d'une omission pouvant constituer une infraction à la Loi. En conséquence, si le commissaire et le tribunal n'ont pas à être convaincus hors de tout doute raisonnable d'une infraction réelle ou éventuelle, ni l'un ni l'autre ne peut agir sur une simple hypothèse ou de manière arbitraire. Il faut une preuve objective suffisante qu'il y a eu ou qu'il pourrait y avoir une infraction.

Avant qu'une injonction puisse être délivrée, elle doit pouvoir se justifier selon trois critères fondamentaux :

  • la nature et la gravité de l'infraction;
  • le besoin d'assurer l'équité du processus électoral;
  • l'intérêt du public.

Tous ces facteurs doivent être pris en compte et examinés à la lumière des circonstances particulières. La période restreinte au cours de laquelle une injonction peut être demandée, à savoir la période électorale, limite sensiblement l'exercice pratique du pouvoir. C'est pour cette raison que les plaignants sont invités à donner le plus tôt possible toute l'information pertinente et vérifiable dont ils disposent. Tout retard à communiquer ces renseignements peut réduire la probabilité que le commissaire demande une injonction dans les délais prescrits, ou sa capacité de le faire.

Depuis l'adoption de cette nouvelle mesure, les éléments requis pour justifier une demande d'injonction ne se sont présentés dans aucun cas.

Le pouvoir de conclure une transaction

Photo : Philipe Landreville
La Cour suprême du Canada

L'article 517 de la Loi de 2000 confère au commissaire l'autorité de conclure une transaction.

Une transaction est une entente officielle entre le commissaire aux élections fédérales et une autre personne appelée partie contractante. L'entente, entièrement volontaire, est assortie de conditions destinées à faire respecter la Loi et acceptables pour les deux parties. Le commissaire peut conclure une telle entente avec une personne s'il a des motifs raisonnables de croire qu'elle a commis, est sur le point de commettre, ou commettra probablement une infraction.

Tant que la partie contractante respecte les conditions de la transaction, aucune poursuite ne peut être intentée ou continuée contre cette personne pour l'acte ou l'omission constituant l'infraction en cause. La déclaration de responsabilité dans une transaction, contrairement à un plaidoyer de culpabilité devant un tribunal, n'entraîne pas de casier judiciaire.

Au surplus, la transaction peut servir à prévenir des infractions probables et donc à éviter des torts. Elle constitue aussi un mécanisme supplémentaire de résolution de plainte lorsque l'intérêt public n'exige pas une poursuite ou lorsque des poursuites auraient été possibles mais ne se justifieraient pas au nom de l'intérêt public. Enfin, la transaction, en tant que solution de rechange aux interventions judiciaires, permet d'alléger la charge des tribunaux.

Afin d'assurer la transparence du processus, un avis de toutes les transactions conclues doit être publié. Toute personne qui conclut une transaction avec le commissaire aux élections fédérales doit ainsi consentir à ce que celle-ci soit publiée. Depuis l'adoption de ce nouveau pouvoir, le commissaire a conclu des transactions avec plus de 50 personnes et groupes dans le but de régler des cas d'infraction à la Loi électorale du Canada. Un avis public pour chaque transaction conclue figure dans la Gazette du Canada et peut être consulté sur le site Web d'Élections Canada (www.elections.ca).

L'outil d'application de dernier recours : les poursuites judiciaires

Bien que les transactions et l'autorité de demander une injonction donnent au commissaire une plus grande souplesse dans l'application de la Loi, il reste des cas où des poursuites judiciaires s'imposent. En vertu de l'article 511, le commissaire peut opter pour cette voie s'il a des motifs raisonnables de croire qu'une infraction a été commise et que ce recours servirait l'intérêt public.

Les considérations qui peuvent entrer en ligne de compte au moment d'évaluer l'intérêt du public comprennent le besoin de maintenir la confiance du public dans l'équité et l'efficacité du système électoral, le besoin de dissuasion, et la nécessité de mesures décisives si l'infraction suscite de graves préoccupations publiques. Les autres facteurs portent sur la pertinence des modes d'application et la présence d'importantes circonstances atténuantes ou aggravantes.

Conformément à l'article 512, le commissaire doit donner son consentement par écrit avant que des poursuites puissent être intentées pour une infraction à la Loi électorale du Canada. Pour déterminer l'existence de motifs raisonnables de croire qu'une infraction a été commise, le commissaire doit être convaincu que la preuve est fiable, admissible et suffisante pour prouver qu'une infraction a été commise par une personne ou un groupe et qu'il existe une possibilité raisonnable de condamnation. Comme c'est le cas pour toutes les autres poursuites pénales, la preuve doit être au-delà de tout doute raisonnable.

En vertu de l'article 510 de la Loi, le directeur général des élections peut, dans certaines circonstances, ordonner au commissaire de faire enquête s'il le juge nécessaire, à savoir lorsqu'il a des motifs raisonnables de croire qu'un fonctionnaire électoral a commis une infraction à la Loi ou qu'une personne a contrevenu aux dispositions mentionnées à cet article. Le pouvoir d'engager les poursuites appartient toutefois au commissaire.

Infractions

Depuis la réforme électorale de 2000, il n'est généralement plus nécessaire d'invoquer l'article 126 du Code criminel pour intenter des poursuites liées à un acte ou une omission contraire à la Loi électorale du Canada. La Loi est un code complet pour la conduite d'une élection fédérale; la partie 19 de la Loi comporte 175 infractions distinctes couvrant les actes ou omissions des candidats, des électeurs, des partis enregistrés, des tiers, des employeurs, des agents officiels et des fonctionnaires électoraux.

La Loi établit aussi le degré d'intention nécessaire pour qu'une personne soit jugée coupable d'une infraction. Certaines infractions sont des infractions de responsabilité stricte : il suffit que l'acte ait eu lieu pour justifier une condamnation, à moins que la personne n'ait agi avec diligence raisonnable. Pour d'autres infractions, il faut qu'il y ait mens rea, soit le fait d'avoir « sciemment » commis une infraction. Cela signifie essentiellement que la personne savait ce qu'elle faisait, mais sans nécessairement vouloir commettre un délit. Enfin, dans d'autres cas, l'infraction doit être « volontaire », ce qui signifie que la personne qui a commis le délit avait l'intention de produire le résultat interdit.

Sanctions

La Loi stipule des échelles précises de peines pour chaque infraction, y compris des amendes et des peines d'emprisonnement. La sévérité de la peine est proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré d'intention en cause. Les tribunaux disposent aussi d'une plus grande souplesse pour imposer d'autres formes de peines en vertu de l'article 501, notamment :

  • une amende pouvant atteindre cinq fois l'excédent des dépenses de publicité sur le plafond autorisé, dans le cas d'un tiers;
  • l'exécution de travaux d'intérêt collectif;
  • l'indemnisation des personnes ayant subi des dommages;
  • l'exécution de l'obligation faisant l'objet de l'infraction (p. ex. soumettre un rapport);
  • toute autre mesure raisonnable (p. ex. un don à une œuvre de charité).

Enfin, l'article 502 contient un certain nombre d'infractions qualifiées soit d'actes illégaux, soit de manœuvres frauduleuses. Ces infractions comprennent des délits graves portant atteinte à l'intégrité du processus électoral. Une personne déclarée coupable d'une telle infraction perd automatiquement certains droits pendant une période de cinq ans dans le cas d'un acte illégal, et pendant sept ans dans le cas d'une manœuvre frauduleuse, à savoir :

  • le droit de se porter candidate à une élection fédérale ou de siéger à la Chambre des communes;
  • le droit de remplir une charge dont le titulaire est nommé par la Couronne ou le gouverneur en conseil.

Depuis la réforme de 2000, la perte du droit de vote n'est plus une peine liée à une condamnation relativement à un acte illégal ou une manœuvre frauduleuse.

Une liste de toutes les condamnations pour infractions en vertu de la Loi électorale du Canada est tenue sur le site Web d'Élections Canada.

Conclusion

J'occupe la charge de commissaire aux élections fédérales depuis plus de 10 ans. Depuis 1992, j'ai eu à exercer mes fonctions lors d'un référendum national, trois élections générales et 37 élections partielles.

Certaines des mesures de décriminalisation adoptées depuis que je suis en fonction reflètent ce que j'observe dans le cours de mon travail, à savoir que les Canadiens, dans l'ensemble, souhaitent agir en conformité avec leurs responsabilités légales. Si on les informe qu'ils dérogent à ces obligations, la plupart cherchent sans délai à corriger leur comportement pour se conformer à la loi.

Les sanctions et poursuites criminelles doivent nécessairement continuer à être appliquées aux délits graves qui compromettent l'intégrité du processus électoral. Cependant, lorsqu'une poursuite ne servirait aucun intérêt public d'importance primordiale, il faut, dans toute la mesure du possible, privilégier d'autres façons d'assurer le respect de la Loi électorale du Canada.

Il importe de se rappeler que l'élément le plus efficace pour assurer le déroulement harmonieux d'un scrutin et des processus politiques qui l'entourent demeure la volonté des intervenants de respecter, en toute bonne foi, les règles prescrites par la loi. En définitive, l'intégrité du processus électoral ne peut être maintenue que si les partis, les candidats, les tiers et les électeurs font confiance au système et agissent dans le respect de leurs obligations légales.


Notes

Note 1 Les candidats étaient tenus de déclarer leurs dépenses d'élection depuis 1874 (Loi des élections fédérales, S.C. 1874, ch. 9), mais la Loi ne comportait aucun mécanisme d'application.

Note 2 Les titulaires précédents de la charge étaient John P. Dewis (1974–1976), Joseph Gorman (1976–1987) et George M. Allen (1988–1991). L'usage du genre masculin dans cet article est intentionnel étant donné qu'à ce jour tous les commissaires ont été des hommes.

Note 3 Bien que l'article 38 de la Loi référendaire confère un rôle semblable au commissaire relativement à cette loi, le présent article traite uniquement des responsabilités du commissaire en regard de la Loi électorale du Canada, S.C. 2000, ch. 9.

Note 4 Le manuel, ainsi que tous les autres avis publics et renseignements pertinents au Bureau du commissaire aux élections fédérales, est affiché en ligne sur le site Web d'Élections Canada sous la rubrique Lois et politiques électorales.


Note : 

Les opinions exprimées par les auteurs ne reflètent pas nécessairement celles du directeur général des élections du Canada.