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Chapitre 3 – L'histoire du vote au Canada

La modernisation, 1920–1981

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Photo en noir et blanc de centaines de sacs de toile disposés en rangées et d'un homme assis au milieu d'eux.

Nous avons vu que le droit de vote a été élargi graduellement jusqu'à la Première Guerre mondiale et que l'électorat a doublé lorsque les femmes se sont vu accorder le suffrage. En 1920, presque tous les adultes ont le droit de vote, les critères relatifs à la propriété foncière et au sexe étant abolis. Néanmoins, plusieurs ne peuvent toujours pas l'exercer pour des raisons d'ordre administratif, et certains groupes demeurent exclus à cause de leur race ou de leur religion, ou pour des motifs économiques. Cette année-là débute, grâce à l'établissement du Bureau du directeur général des élections – un des premiers du genre au monde –, la tradition de confier l'administration du processus électoral à un organisme indépendant et non partisan.

Au début de la période que nous examinons dans le présent chapitre, il existe peu de mesures spéciales destinées à faciliter ou à encourager l'exercice du droit de vote. La façon traditionnelle de voter – où l'électeur se présente en personne au bureau de scrutin le jour de l'élection – est la seule reconnue. On suppose que les citoyens et citoyennes :

  • sont dans leur circonscription le jour de l'élection;
  • ont le temps d'aller voter à un bureau de scrutin;
  • ont un emploi qui ne pose aucun obstacle à cet égard;
  • n'ont aucune limitation – telle qu'une déficience ou un problème de langue – susceptible d'entraver l'exercice de leur droit de vote.

En 1981, cette vision, reconnue comme inadéquate, n'a plus cours dans la législation et l'administration électorales.

Photo en noir et blanc d'une femme observant une scrutatrice déposer son bulletin de vote dans l'urne le jour de l'élection fédérale de 1963.

Jour d'élection, 1963

Une votante torontoise regarde une scrutatrice déposer son bulletin de vote dans l'urne. Il faudra attendre 30 ans avant que des modifications soient apportées à la loi électorale (par le projet de loi C-114) pour autoriser les électeurs à déposer eux-mêmes leur bulletin dans l'urne. Pierre Gaudard, Musée des beaux-arts du Canada, Collection ONF

On verra dans les pages qui suivent comment la législation et les procédures administratives régissant les élections ont été façonnées et refaçonnées pour tenir compte de la grande diversité qui caractérise l'électorat canadien. Des innovations législatives et administratives ont facilité le vote, modernisé l'appareil électoral, réformé la réglementation des partis politiques, la réglementation du financement de campagnes et le processus de redécoupage des circonscriptions et éliminé les restrictions d'ordre racial et religieux.

Portrait en noir et blanc de sir Wilfrid Laurier dans un ovale sur une carte postale.

La vision de Laurier, 1917

Craignant les effets de l'élection de 1917 sur les relations entre francophones et anglophones, sir Wilfrid Laurier s'oppose à certains changements à la législation électorale qui précèdent ce scrutin. Il demeure toutefois chef de l'opposition après le dépouillement des votes. Cette image est tirée d'une carte postale utilisée lors de sa campagne de 1911. Bibliothèque et Archives Canada

Comme on l'a vu au chapitre 2, sir Wilfrid Laurier craignait que la Loi des élections en temps de guerre n'ouvre un gouffre qui ne se refermerait peut-être pas avant plusieurs générations. Il faisait allusion à un affrontement entre Canadiens d'origines française et britannique. Mais au cours des années qui suivent immédiatement la Première Guerre mondiale, l'hystérie de 1917 semble vouloir s'étendre à d'autres groupes. Par exemple, les sentiments anti-germaniques ne disparaissent pas du jour au lendemain à la fin de la guerre. Les troubles sociaux, comme la grève générale de Winnipeg en 1919, sont fréquemment teintés de sentiments xénophobes. Dans les années 1920, une vague d'hostilité envers les minorités raciales et religieuses déferle sur l'Amérique du Nord. Exacerbée par la Grande Dépression des années 1930 et par la Seconde Guerre mondiale, cette hostilité donnera lieu notamment à des lois électorales limitatives et ne se dissipera qu'après la fin de la guerre

Portrait en noir et blanc de sir Robert Borden, le visage tourné vers l'appareil photographique.

Une ère nouvelle, 1920

Critiqué pour sa stratégie électorale de 1917, sir Robert Borden, premier ministre de 1911 à 1920, est néanmoins considéré comme l'initiateur de l'ère électorale moderne pour avoir fait adopter l'Acte des élections fédérales, ancêtre de l'actuelle Loi électorale du Canada. William Topley, Bibliothèque et Archives Canada, PA-027012

Mais l'évolution du droit de vote a aussi des côtés positifs. Après l'adoption de la Loi des élections en temps de guerre (qui va régir une seule élection, celle de 1917), le gouvernement conservateur de Borden la remplace en 1920 par l'Acte des élections fédérales1. L'Acte crée le poste de directeur général des élections et Oliver Mowat Biggar, un colonel de l'armée à la retraite, en devient le premier titulaire. À sa démission en 1927, le mécanisme actuel de nomination du directeur général des élections par voie d'une résolution de la Chambre des communes est adopté, ce qui protège le titulaire des pressions politiques.

En vertu de la nouvelle loi, le directeur général des élections a rang de sous-ministre et un mandat de la même durée que celle d'un juge de la Cour suprême, qui à l'époque est nommé à vie. En 1927, la retraite obligatoire à 75 ans sera imposée pour les juges de la Cour suprême et, par extension, pour le directeur général des élections. En 1948, la Loi des élections fédérales sera modifiée afin de fixer l'âge de la retraite obligatoire du directeur général des élections à 65 ans.

Pendant le débat sur la Loi, certains expriment leur opposition à la nomination à vie. Selon J.A. Currie, député de Simcoe-Nord, une telle mesure ne peut que conduire à une sorte de dictature à la prussienne. D'autres députés mettent en doute le bien-fondé du poste. Cependant, beaucoup estiment, à l'instar de Norman Ward, qu'il s'agit d'une réforme des plus salutaires (Ward, 181).

Comme premier directeur général des élections, le colonel Biggar administre ce qui aurait pu se révéler l'élection la plus chaotique depuis de nombreuses années. Pas moins de 75 000 fonctionnaires électoraux nouvellement désignés sont chargés de superviser un système transformé de fond en comble, et le nombre des nouveaux électeurs, femmes comprises, dépasse le nombre total des personnes habiles à voter avant 1917. En dépit de ces innovations, le colonel Biggar signale dans son rapport au Parlement que les problèmes ont été relativement mineurs, compte tenu du grand nombre de personnes qui ont participé au processus.

Une tâche importante du directeur général des élections consiste à publier un rapport après chaque élection, comme l'exige la Loi électorale du Canada. Ce rapport lui donne l'occasion d'évaluer régulièrement le fonctionnement de la législation électorale et de proposer des modifications au Parlement. Bon nombre des modifications ainsi proposées porteront sur l'accessibilité du système électoral, c'est-à-dire sur les moyens d'assurer concrètement l'exercice du droit de vote. Les rapports postélectoraux auront des effets positifs sur le système électoral, puisque le Parlement adoptera un grand nombre de recommandations des directeurs généraux des élections.

Par exemple, dans son rapport sur l'élection de 1921, le colonel Biggar mentionne les difficultés éprouvées par les électeurs – particulièrement les femmes – dont le nom n'avait pas été inscrit sur les listes électorales. Il suggère la nomination d'un plus grand nombre d'agents réviseurs et l'ouverture d'un plus grand nombre de bureaux de vote par anticipation. Le Parlement réduit donc de 50 à 15 le nombre d'électeurs nécessaires pour ouvrir un bureau de vote par anticipation.

Après l'élection de 1925, le colonel Biggar signale que le scrutin ayant eu lieu un jeudi, le vote par anticipation a été peu utile aux voyageurs de commerce : ils étaient déjà en déplacement lorsque les bureaux de vote par anticipation ont été ouverts, soit pendant les trois jours précédant le jour de l'élection. En 1929, la loi est modifiée de façon à ce que le jour de l'élection tombe un lundi.

Les directeurs généraux des élections et leur époque

Seulement sept personnes ont occupé le poste de directeur général des élections depuis sa création en 1920.

Oliver Mowat Biggar (1920-1927)
Portraits en noir et blanc de Oliver Mowat Biggar

Oliver Mowat Biggar

Élections Canada

Oliver Mowat Biggar, premier directeur général des élections, met en place les rouages de l'administration électorale fédérale aux termes de la nouvelle loi. Sa tâche consiste à établir un système centralisant pour la première fois les aspects financiers et organisationnels des élections fédérales. Au cours de son mandat, des réformes sont entreprises pour améliorer l'exactitude et l'exhaustivité des listes électorales et pour rendre le vote par anticipation plus accessible.

Jules Castonguay (1927-1949)
Portraits en noir et blanc de Jules Castonguay

Jules Castonguay

Élections Canada

Jules Castonguay fait une première tentative pour établir des listes électorales permanentes. C'est durant son mandat qu'est supprimé le dernier vestige des exigences du cens électoral liées à la propriété. Il est responsable de l'introduction, en 1935, de l'envoi d'une carte postale indiquant à l'électeur inscrit où voter. Abandonnée en 1938, cette pratique est réintroduite en 1982, lorsque des progrès technologiques la rendent moins coûteuse. Pendant son mandat, un système est adopté pour permettre aux militaires canadiens en service outre-mer de voter.

Nelson Jules Castonguay (1949-1966)
Portraits en noir et blanc de Nelson Jules Castonguay

Nelson Jules Castonguay

Élections Canada

Nelson Jules Castonguay voit l'élimination de la discrimination religieuse dans la législation, l'octroi du droit de vote à tous les « Indiens inscrits » et l'introduction de la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales. Pendant son mandat, des arrangements spéciaux sont pris pour les électeurs dans des sanatoriums, des établissements pour malades chroniques et des foyers pour personnes âgées. Le vote par bulletin postal devient accessible aux conjoints de militaires en poste à l'étranger et le droit de voter par anticipation est accordé à toute personne qui prévoit ne pas être chez elle le jour de l'élection.

Jean-Marc Hamel (1966-1990)
Portraits en noir et blanc de Jean-Marc Hamel

Jean-Marc Hamel

Élections Canada

Jean-Marc Hamel met en œuvre de nombreux changements à la loi et l'administration électorales, notamment l'enregistrement des partis politiques, l'implantation d'un régime de financement des élections encadré par la Loi sur les dépenses d'élection de 1974 et la création du poste de commissaire aux dépenses d'élection, qui deviendra le commissaire aux élections fédérales en 1977. Après 1982, Jean-Marc Hamel supervise la mise en œuvre de modifications législatives qui résultent de contestations judiciaires fondées sur la Charte canadienne des droits et libertés. Pendant son mandat, l'âge de voter passe de 21 à 18 ans et des mesures sont mises en place pour faciliter le vote aux électeurs handicapés.

Jean-Pierre Kingsley (1990-2007)
Portraits en noir et blanc de Jean-Pierre Kingsley

Jean-Pierre Kingsley

Élections Canada

Jean-Pierre Kingsley poursuit les réformes requises par la Charte et fait entrer Élections Canada dans l'ère de l'informatique. Il met en œuvre le nouveau mandat d'Élections Canada visant l'information et l'éducation des électeurs, particulièrement des personnes susceptibles d'avoir de la difficulté à exercer leurs droits démocratiques. Durant son mandat, on assiste également à l'adoption du calendrier électoral de 36 jours, au développement de systèmes et outils numériques de géographie électorale et à la création du Registre national des électeurs. En outre, le régime de financement des élections est élargi de façon à réglementer la publicité par les tiers et le financement électoral de toutes les entités politiques. Pendant le mandat de Jean-Pierre Kingsley, Élections Canada participe à de nombreuses reprises à des missions importantes de développement international visant à promouvoir des processus électoraux démocratiques. Enfin, suivant les recommandations de Jean-Pierre Kingsley au Parlement, la Loi électorale du Canada est modifiée en 2006 de façon à habiliter le directeur général des élections à nommer les directeurs du scrutin.

Marc Mayrand (2007-2016)
Portraits de Marc Mayrand

Marc Mayrand

Élections Canada

Marc Mayrand adopte une approche axée sur l'ouverture et la consultation pour traiter de questions électorales avec les parlementaires et les partis politiques, notamment des obstacles au vote auxquels se heurtent, entre autres, les électeurs handicapés et les jeunes. Il met sur pied le Comité consultatif sur les questions touchant les personnes handicapées, lequel, grâce à l'expertise de ses membres en matière d'initiatives sur l'accessibilité, trouve des façons d'améliorer l'accès à l'information sur le processus électoral. Il crée également le Comité consultatif d'Élections Canada afin d'obtenir des conseils sur la conduite des élections, la participation électorale des électeurs et des acteurs politiques, la conformité à la réglementation et la réforme électorale. Au cours du mandat de Marc Mayrand, le Parlement adopte des mesures législatives prévoyant la tenue des élections générales à date fixe, la restriction des programmes d'information et d'éducation populaire d'Élections Canada aux élèves du primaire et du secondaire, et la mise en place de mesures d'identification des électeurs aux bureaux de scrutin. Sous sa direction, le Service d'inscription en ligne des électeurs voit le jour, et l'on commence à utiliser les médias sociaux pour communiquer avec les électeurs.

Stéphane Perrault (2018 à aujourd'hui)
Portraits en noir et blanc de Stéphane Perrault

Stéphane Perrault

Élections Canada

Stéphane Perrault a occupé plusieurs fonctions à Élections Canada avant de devenir direc4teur général des élections délégué, puis directeur général des élections par intérim en 2016. Il a officiellement été titularisé en 2018. Il a établi un mécanisme de consultation des partis politiques pour accroître la transparence et la collaboration au moment de résoudre des questions de réglementation, en plus de diriger des initiatives pour intéresser davantage les jeunes à la démocratie électorale, dont la création du Cercle consultatif d'éducateurs et le renouvellement du programme d'éducation civique de l'organisme. En prévision de l'élection générale de 2019, il a piloté la mise en œuvre des dispositions de la Loi sur la modernisation des élections. Sous sa direction, Élections Canada a également collaboré avec des organismes gouvernementaux responsables de la sécurité afin de contrer les menaces grandissantes pour la sécurité des élections, telles que les cyberattaques et la désinformation.

L'Acte des élections fédérales de 1920

En plus d'établir le poste de directeur général des élections, la réforme électorale de 1920 centralise pour la première fois les aspects financiers et logistiques de l'administration des élections fédérales. Il s'agit d'une profonde révision de la loi électorale, mais des lacunes persistent dans le système.

Proclamation d'Élections Canada annonçant l'élection générale du lundi 21 novembre 1988 aux électeurs de la circonscription de Nunatsiaq, dans les Territoires du Nord-Ouest.

Jamais le dimanche

Depuis 1929, la loi exige que toute élection se tienne un lundi, sauf s'il s'agit d'un jour férié fédéral ou provincial, auquel cas le scrutin a lieu le mardi. Les proclamations électorales suivaient à peu près le même modèle depuis 200 ans. Cette proclamation de 1988 vise la circonscription de Nunatsiaq, qui était alors la plus grande du pays (depuis 1993, la plus grande est celle de Nunavut) et la moins populeuse. Bibliothèque et Archives Canada, Fonds du Bureau du directeur général des élections

Les plus graves de ces lacunes sont les obstacles au vote qui subsistent pour certaines électrices, l'exclusion de certains groupes pour des raisons raciales, religieuses ou économiques, l'exclusion des juges, des prisonniers, des expatriés et des personnes ayant une déficience intellectuelle, et l'exclusion d'électeurs individuels à cause d'obstacles administratifs. Cent ans après la refonte de la loi électorale, le travail continue afin d'améliorer l'accessibilité, l'équité et la transparence, pour protéger les valeurs démocratiques.

Les listes électorales

Comme c'était le cas avant 1920, la nouvelle loi prévoit que des listes d'électeurs seront utilisées lors des élections; dans les régions urbaines, on utilisera les listes électorales déjà établies par les provinces, mais dans les régions rurales, on procédera à un recensement. Ces listes soulèvent une certaine controverse : on critique leur mode d'établissement, mais également les renseignements qu'elles contiennent et la façon dont elles sont publiées. Le problème le plus grave – l'inscription des femmes – est réglé en 1929, mais les méthodes d'établissement, de révision et de publication des listes continueront de faire l'objet de débats et de modifications au fil des ans.

Si l'on fait une distinction entre sections de vote « rurales » et « urbaines » et que l'on prévoit deux méthodes distinctes pour établir et réviser les listes électorales, c'est pour assurer l'exhaustivité et l'exactitude des listes en milieu rural. À l'élection de 1921, en effet, les listes des régions rurales de l'Ontario s'étaient révélées pratiquement inutilisables.

La nouvelle législation prévoit donc que, dans les sections de vote rurales (les endroits comptant moins de 1 000 habitants), les listes seront « ouvertes ». Des « régistrateurs » expressément nommés à cette fin effectueront un recensement porte-à-porte. Les électeurs qui n'ont pas été recensés pourront être assermentés le jour de l'élection, à condition qu'un électeur inscrit sur la liste se porte garant d'eux.

Dans les sections de vote urbaines, les électeurs qui ne sont pas inscrits sur une liste provinciale doivent présenter une demande d'inscription à un régistrateur – une personne nommée par le directeur du scrutin pour inscrire des personnes sur la liste électorale – qui, dans chaque circonscription, se tient prêt à les inscrire, 10 heures par jour, 6 jours durant. Passé ce temps, les listes urbaines demeurent « fermées » jusqu'à l'élection suivante. Pour justifier cette différence dans le traitement des électeurs, on fait valoir que les régions rurales sont plus difficiles à recenser, et que l'inscription le jour de l'élection s'impose pour protéger le droit de vote des électeurs ruraux. On suppose également qu'en région rurale, les gens sont plus susceptibles de se connaître qu'en ville. Les électeurs en milieu urbain ne pourront profiter de cette mesure qu'à partir de 1993, lorsque le projet de loi C-114 abolira la distinction entre sections de vote urbaines et rurales.

La distinction entre sections de vote urbaines et rurales s'avère un obstacle important à l'exercice du droit de vote pour de nombreux électeurs. Certaines circonscriptions comptent à la fois des sections rurales et urbaines, et certains électeurs, ne sachant pas dans quel genre de section ils résident, ne prennent pas les moyens nécessaires pour se faire inscrire. En outre, pour ajouter à la confusion, la définition de « section rurale » est modifiée quelques mois avant l'élection de 1921. Dorénavant, les localités comptant moins de 2 500 habitants seront considérées comme « rurales » (ce chiffre sera encore modifié à plusieurs reprises par la suite).

Mais la conséquence la plus importante de cette distinction apparaîtra lors de l'élection de 1921 : de très nombreuses femmes seront apparemment empêchées d'exercer le droit de vote acquis en 1917-1918.

Au Québec, par exemple, les femmes n'ont pas le droit de voter aux élections provinciales avant 1940. (Alexandre Taschereau affirme même qu'elles n'obtiendront pas le droit de vote tant qu'il demeurera premier ministre – et il conservera son poste jusqu'en 1936.) Jusqu'en 1929, les listes provinciales sont utilisées dans les sections rurales. Puisque les femmes ne sont pas inscrites sur ces listes, elles sont souvent dans l'impossibilité de voter. La seule façon dont les femmes qui vivaient dans des sections rurales pouvaient s'inscrire était de prêter serment le jour de l'élection.

Les conséquences ressortent clairement si l'on examine le nombre d'électeurs inscrits en 1921. En Ontario, 99,7 % de la population de 21 ans et plus est inscrite; le chiffre correspondant pour le Québec est de 90,6 %. Cet écart de 9 points représente 107 259 personnes. Comme il y a 581 865 femmes de 21 ans ou plus au Québec en 1921, il semble probable que la vaste majorité des électeurs non inscrits sont des femmes, qui sont ainsi empêchées d'exercer leur droit de vote dans une élection fédérale.

En 1929, la loi est modifiée de façon à abolir l'utilisation des listes provinciales : dorénavant, il sera plus facile pour les électrices du Québec de se faire inscrire sur les listes fédérales, quoiqu'elles n'obtiendront le suffrage au niveau provincial qu'en 1940.

Ces changements ne se font pas sans protestation. Le chef conservateur Arthur Meighen pense que l'inscription le jour de l'élection dans les agglomérations de 2 500 habitants ouvre la porte à la fraude. Le député libéral Charles G. (« Chubby ») Power est d'accord, affirmant que certaines personnes pourraient manifester leur patriotisme en allant « jusqu'à voter plus que la loi ne le juge convenable » (Débats, 19 juin 1925, 4534). En fait, ces craintes sembleront peu fondées dans les décennies qui suivront.

De 1930 jusqu'aux années 1990, la plupart des élections fédérales se font à partir de listes établies par des recenseurs pendantXIX la période électorale. Pendant la plus grande partie de cette époque, les recenseurs des régions urbaines travaillent en équipes de deux; en milieu rural, il y a un seul recenseur par section de vote. En milieu urbain, les recenseurs sont nommés à partir de listes de noms présentées aux directeurs du scrutin par les partis politiques dont les candidats se sont classés premier et deuxième dans la circonscription lors de l'élection précédente.

Photo en noir et blanc d'un homme à pied, en complet et manteau long, qui passe près d'un arbre sur lequel sont fixés des documents, dont un où on lit « Notice of Election » [avis d'élection].

Le respect de la vie privée

À l'élection générale de 1963, l'emplacement des bureaux de scrutin est affiché bien en vue. Les listes électorales sont également affichées en public jusqu'en 1982, quand la pratique est abandonnée par souci de protection des renseignements personnels. Désormais, pour informer les électeurs de leur inscription, on envoie une carte par la poste à toutes les personnes recensées. Depuis 1997, les listes électorales préliminaires sont établies à partir du Registre national des électeurs, par suite d'une modification apportée l'année précédente à la Loi électorale du Canada. Pierre Gaudard, Musée des beaux-arts du Canada, Collection ONF, no 63-3289

Une fois les listes établies, les électeurs – particulièrement dans les sections de vote urbaines – doivent s'assurer que leur nom y est inscrit s'ils veulent voter. Quelques exemplaires de la liste pertinente sont affichés dans chaque section de vote afin que les électeurs puissent vérifier l'exactitude du recensement. Dans son rapport de 1926, le colonel Biggar signale que les listes ont été dressées à la hâte, que les listes affichées ont été endommagées par les intempéries ou des vandales, et que de nombreux électeurs non inscrits s'estiment victimes de partisanerie. Comme les agents réviseurs sont normalement désignés par les partis, de simples erreurs sont souvent attribuées à la mauvaise foi. Le colonel Biggar recommande que les listes soient plus accessibles pour que les électeurs puissent les vérifier plus facilement.

Le « télégraphe »

Malgré les améliorations apportées à la législation électorale, le « télégraphe » – une forme de fraude électorale bien connue au 19e siècle – n'est disparu que vers le milieu du 20e siècle. Pour « passer un télégraphe », un organisateur politique remettait à un électeur un bulletin de vote obtenu illégalement et déjà marqué en faveur du candidat pour lequel l'organisateur travaillait. Dans l'isoloir, l'électeur cachait sur lui le bulletin vierge qu'il avait reçu du scrutateur, puis revenait avec le bulletin déjà marqué, qui était alors déposé dans l'urne. Par la suite, il remettait le bulletin vierge à l'organisateur, qui lui donnait une récompense et marquait le bulletin afin de recommencer le manège avec un autre électeur. Comme la récompense était donnée seulement à la sortie du bureau de scrutin, l'électeur pouvait jurer impunément, au moment de voter, qu'il n'avait reçu ni argent ni autre avantage. Cette pratique frauduleuse a finalement cessé grâce à la mise en place de mesures administratives appropriées.

La deuxième personne à occuper le poste de directeur général des élections, Jules Castonguay, signale après l'élection de 1930 qu'il n'est pas facile pour les électeurs de protéger leur droit de vote en vérifiant s'ils sont inscrits sur les listes. Il propose donc que chaque foyer reçoive un exemplaire de la liste électorale de sa section de vote. Cette recommandation finira par être adoptée, mais seulement après l'essai d'une autre méthode en 1934.

Photo en noir et blanc d'un enfant dans une charrette à chien utilisée pour promouvoir le « oui » au plébiscite de 1942 sur la conscription militaire. Un autre enfant et un homme accompagnent l'enfant.

Trop jeune pour voter, 1942

À l'échelle fédérale, les règles concernant l'admissibilité à voter sont les mêmes pour les référendums et les élections. Cette photo montre un des moyens utilisés par le Rooney Club de Toronto pour promouvoir le « oui » au plébiscite du 27 avril 1942 sur la conscription militaire. Les autres référendums nationaux ont porté sur la prohibition (1898) et sur l'Accord de Charlottetown (1992). En 1992, le Parlement a adopté la Loi référendaire, qui régit la conduite de référendums consultatifs sur la Constitution du Canada. Milne Studios, Bibliothèque et Archives Canada, C-029452

L'innovation de 1934 consiste à expédier à chaque électeur inscrit une carte postale lui indiquant où voter. Le rapport du directeur général des élections décrira cependant cette méthode comme très coûteuse, car chaque carte doit être adressée individuellement. La formule des cartes postales est donc abandonnée : de l'élection de 1940 jusqu'en 1982 (année où ces cartes seront réintroduites), les électeurs recevront un exemplaire de la liste électorale montrant les nom, adresse et profession de tous les électeurs inscrits de la section de vote visée.

Caricature montrant un recenseur et une recenseuse dans l'embrasure de la porte d'entrée d'une résidence. L'homme d'un certain âge qui leur a ouvert fronce les sourcils alors que sa femme lui demande : « Mais voyons, Rodney! Êtes-vous certain que l'exigence de la Convention de Genève de ne donner que votre nom, votre adresse et votre numéro d'assurance sociale s'applique ici? »

Le défi du recenseur, 1965

« Mais voyons, Rodney! Êtes-vous certain que l'exigence de la Convention de Genève de ne donner que votre nom, votre adresse et votre numéro d'assurance sociale s'applique ici? » Comme l'illustre cette caricature de Len Norris du Vancouver Sun, le recenseur n'a pas toujours la vie facile. Depuis la création du Registre national des électeurs, au printemps 1997, les recensements électoraux sont chose du passé. Len Norris, Bibliothèque et Archives Canada, C-1333444

Par ailleurs, le gouvernement conservateur de R.B. Bennett crée ce qui se rapproche d'une liste électorale permanente en 1934. C'est aussi sous ce gouvernement qu'est établi le poste de commissaire du cens électoral fédéral, et que l'inscription des électeurs est réglementée en application de la Loi du cens électoral fédéral. Après un dernier recensement, des régistrateurs dans chaque circonscription seront chargés de réviser la liste une fois par année. Toutes les listes, tant en milieu rural qu'urbain, seront « fermées » – et tout électeur omis par inadvertance devra demander à être inscrit pour pouvoir voter.

Une première révision annuelle est effectuée et la liste permanente sert à l'élection de 1935 mais, à cause de contraintes financières, elle cesse d'être révisée par la suite. La technologie de l'époque est en effet insuffisante pour surmonter les obstacles logistiques. L'idée est donc abandonnée en 1938. L'on revient alors à la méthode des recensements.

Les députés qui ont connu le registre des électeurs de M. Bennett le jugent beaucoup trop coûteux et encombrant. Même le directeur général des élections, normalement circonspect dans ses rapports, affirme que la formule n'apporte aucune amélioration. Jules Castonguay déclare que la mise à jour de la législation électorale n'a pas donné les résultats escomptés, et que l'expédition de cartes individuelles aux électeurs est une opération longue et coûteuse. À sa suggestion, le gouvernement décide d'expédier la liste électorale à tous les électeurs, et l'idée d'une liste permanente ne sera pas reprise avant les années 1980.

L'accès au vote

Une autre disposition de la législation électorale de 1920 constitue une amélioration importante : des groupes particuliers d'électeurs, soit les voyageurs de commerce, les employés des chemins de fer et les marins, pourront dorénavant voter par anticipation dans les trois jours (à l'exclusion du dimanche) précédant le jour du scrutin.

Même si, pour la plupart des gens, le vote par anticipation apparaît comme une mesure positive, la disposition est contestée d'entrée de jeu. Un ancien ministre des Finances, W.S. Fielding, n'y voit qu'un gaspillage d'argent. Selon lui, « ce serait pour ainsi dire construire une machine à vapeur pour actionner un canot » au profit d'une poignée d'électeurs. Le politicien est d'avis que les employés des chemins de fer et autres devraient voter par procuration. Le secret du vote ne sera pas préservé mais ce n'est pas bien grave, dit-il, car de toute façon la plupart des hommes, du moins dans sa province, la Nouvelle-Écosse, ne cachent pas pour qui ils votent (Débats, 13 avril 1920, 1192).

Cette réticence face au vote par anticipation persistera pendant des décennies. En 1934, le vote par anticipation sera accordé aux travailleurs des « aéronefs » (terme utilisé dans la loi jusqu'en 1960), aux membres des forces armées et de la Gendarmerie royale canadienne et aux pêcheurs – même si certains députés font remarquer qu'il est peu vraisemblable que les pêcheurs soient à la maison pendant la brève période de vote par anticipation si elle tombe pendant la saison de la pêche.

Le vote par anticipation est accessible uniquement aux électeurs qui prévoient être absents de la circonscription pour affaires le jour de l'élection. Ils doivent prêter serment et obtenir un certificat. Il n'est donc pas facile de voter par anticipation, même pour les rares personnes admissibles.

Une autre mesure améliore l'accès au vote : c'est une disposition législative qui augmente le temps accordé aux employés pour voter. La disposition avait été adoptée pour la première fois en 1915, obligeant les employeurs à permettre à leurs employés de s'absenter pendant une heure pour voter (en plus de leur heure de repas). En 1920, cette période est portée à deux heures. Le nombre d'heures consécutives passe à trois en 1948, puis à quatre en 1970.

Pendant l'entre-deux-guerres, le seul nouveau groupe admis au suffrage est celui des personnes qui reçoivent un soutien des organismes publics de bienfaisance ou qui reçoivent des soins dans des asiles municipaux pour pauvres (qui n'étaient pas recensés avant cette époque, faute d'une adresse « domiciliaire »). Ce groupe reçoit le droit de vote en 1929. Dans l'ensemble, les deux décennies qui suivent la Première Guerre mondiale seront marquées par des améliorations modestes mais régulières des conditions d'exercice du droit de vote.

La Seconde Guerre mondiale et ses suites

L'étape suivante verra l'élimination des restrictions fondées sur la race et la religion, dont certaines sont en vigueur depuis de nombreuses années. Ce sera également une période d'innovation en matière d'accessibilité au suffrage, car des changements législatifs et administratifs viendront faciliter encore davantage l'exercice du droit de vote.

L'entre-deux-guerres est marqué par une montée de ressentiment envers certains groupes minoritaires au Canada. Une certaine méfiance envers les « étrangers » persiste depuis la Première Guerre mondiale. Comme il arrive souvent en période de difficultés économiques, ce sentiment se transforme en véritable hostilité pendant la grande dépression des années 1930, exacerbant les conflits sociaux qui découlent de la rareté des emplois et des ressources. Finalement, l'avènement de la Seconde Guerre mondiale provoquera une animosité accrue envers certains groupes raciaux, particulièrement les Canadiens d'origine japonaise.

En raison de ces puissants courants sociaux, certains groupes continuent d'être privés du droit de vote pour des motifs liés à la race ou à la religion. Beaucoup de Canadiens et Canadiennes ordinaires semblent accepter la situation tout naturellement. Cependant, et c'est tout à leur honneur, des députés de tous les partis s'opposent au racisme et à l'injustice sociale dans des discours passionnés à la Chambre des communes. Mais dans le climat d'intolérance qui règne alors, particulièrement dans les années 1930, leurs paroles n'auront guère d'écho.

Photo en noir et blanc de la carte d'identité d'un citoyen canadien d'origine japonaise datant de 1941. Sa photo figure du côté droit de la carte.

Les Canadiens japonais

Déjà fichés et internés pendant la Seconde Guerre mondiale, les citoyens d'origine japonaise vivant en Colombie-Britannique sont privés du droit de vote par la Loi électorale du Canada de 1920. Cette carte d'identité de Sutekichi Miyagawa a été remise aux Archives nationales du Canada en 1975, avec une collection d'articles connexes. Bibliothèque et Archives Canada, PA-103542

Après la Seconde Guerre mondiale, les Canadiens semblent se rendre compte qu'ils ont mal agi envers un grand nombre de groupes minoritaires, et la tendance à l'exclusion des années antérieures commence à se renverser. En 1960, lorsque tous les « Indiens inscrits » – personnes inscrites comme « Indien » en vertu de la Loi sur les Indiens – obtiennent enfin le droit de vote inconditionnel, les mesures d'exclusion fondées sur la race ou la religion se trouvent éliminées. Parallèlement, des changements législatifs et administratifs permettent à un nombre toujours croissant de Canadiens d'exercer leur droit de vote de diverses façons.

Les exclusions fondées sur la race

Une des exceptions importantes au suffrage universel des adultes prévue dans l'Acte des élections fédérales de 1920 est une disposition stipulant que toute personne privée du droit de vote dans une province « à cause de sa race » est privée du même droit au niveau fédéral. En 1920, une seule province, la Colombie-Britannique, exclut à cause de leur race de nombreuses personnes qui seraient autrement aptes à voter. En effet, la Colombie-Britannique ne reconnaît pas le droit de vote aux personnes d'origine japonaise ou chinoise, de même qu'aux « hindous », expression qu'on applique alors à quiconque vient du sous-continent indien et n'est pas d'origine anglo-saxonne, peu importe qu'il soit de religion hindoue, musulmane, sikhe ou autre. La Saskatchewan exclut également du suffrage les personnes d'origine chinoise, mais le nombre de personnes ainsi exclues y est beaucoup moins élevé qu'en Colombie-Britannique.

Cette discrimination date de longtemps en Colombie-Britannique : lorsque la province s'est jointe à la Confédération, en 1871, on estime qu'au moins les deux tiers de sa population étaient d'origine autochtone ou chinoise. Les mesures visant à exclure du suffrage les membres des Premières Nations et les personnes d'origine asiatique ont été élargies par des gouvernements provinciaux successifs, à mesure que l'immigration s'intensifiait vers la fin du 19siècle.

Cette exclusion sera contestée en 1900, dans l'affaire Homma, mais en 1903, le Comité judiciaire du Conseil privé du Royaume-Uni (qui, à l'époque, est l'instance de dernier recours du Canada) confirmera que l'Assemblée législative de la Colombie-Britannique a le droit de décider qui peut voter aux élections provinciales.

Ce déni du droit de vote a d'importantes répercussions, car en vertu de la législation provinciale, les personnes qui exercent les professions de pharmacien et d'avocat, de même que les fonctionnaires municipaux et provinciaux, doivent être inscrits sur les listes électorales. En conséquence, les Canadiens d'origine japonaise et chinoise se voient refuser l'accès à ces professions et ne peuvent pas non plus passer de marchés avec les administrations municipales, qui ont les mêmes exigences.

Même le service militaire ne suffit pas pour ouvrir le droit de vote aux personnes d'origine asiatique. Après la Première Guerre mondiale, l'Assemblée législative de la Colombie-Britannique décide, à l'issue de longs débats, de ne pas accorder le vote aux anciens combattants d'origine japonaise, et encore moins à d'autres Canadiens japonais. Certains d'entre eux avaient voté à l'élection fédérale de 1917; en vertu de la Loi des électeurs militaires, leur exclusion au niveau provincial ne les avait pas exclus du suffrage fédéral. Lors du débat sur la législation électorale de 1920, cependant, Hugh Guthrie, solliciteur général de l'époque, exprime clairement ses objections :

Le droit de citoyen britannique n'entraîne pas le droit de vote; il en est ainsi, je crois, dans tous les pays. Le droit de vote est toujours un droit à part [….] Le Parlement statue sur les conditions se rattachant à l'exercice du droit de suffrage [...] Nul Oriental, qu'il soit hindou, japonais ou chinois, n'acquiert l'électorat en ce pays, par le seul fait qu'il est citoyen.

— Débats, 29 avril 1920, 1862

Il affirme qu'il ne s'agit pas de discrimination, mais tout simplement du fait, pour le gouvernement, de reconnaître les exclusions imposées par la loi de toute province pour des motifs liés à la race.

En 1936, une délégation de Canadiens japonais se rend à la Chambre des communes pour demander le droit de vote. Le premier ministre William Lyon Mackenzie King répond qu'il ignorait que les Canadiens japonais désiraient avoir le droit de voter. A.W. Neill, député indépendant de Comox–Alberni (Colombie-Britannique), qui compte une importante population canado-japonaise, affirme que cette requête n'est que du verbiage sentimental. Un autre député de la Colombie-Britannique, Thomas Reid, laisse entendre que toute cette histoire est un complot pour permettre au gouvernement japonais d'installer des espions en Colombie-Britannique. La requête, évidemment, est refusée.

Photo en noir et blanc d'un groupe de trois hommes et une femme d'origine japonaise, debout sur les marches du Parlement.

Réclamer le droit de vote

En 1936, cette délégation de la Japanese Canadian Citizens League se rend à la Chambre des communes, à Ottawa, pour réclamer le droit de vote. Collection Isami (Sam) Okamoto, Nikkei National Museum, 2000.14.1.1.1

Pendant la guerre, à la suite de l'attaque de Pearl Harbor, des Canadiens d'origine japonaise sont expulsés ou internés. En 1944, le Parlement modifie l'Acte des élections fédérales pour refuser le droit de vote aux Canadiens japonais qui ont été forcés de quitter la Colombie-Britannique pour s'installer dans des provinces où ils n'étaient pas traditionnellement exclus du suffrage. L'élargissement au reste du Canada des exclusions raciales appliquées en Colombie-Britannique provoque de vives réactions chez certains députés d'autres provinces.

Clarence Gillis, député de la Fédération du commonwealth coopératif de Cap-Breton-Sud, affirme :

Si, d'une part, la guerre que nous faisons au Japon est quelque chose de sérieux et si, d'autre part, la population de ce pays s'est rendue coupable de nombreux actes d'atrocité, il ne faudrait pas que nous fassions de même à notre tour.

Débats, 17 juillet 1944, 5098

Le député libéral Arthur Roebuck, de Toronto–Trinity, déclare :

Je ne pourrais pas faire face aux groupements minoritaires de ma circonscription, de ma ville – les Ukrainiens, les Polonais, même les Italiens, et plusieurs autres – si je laissais passer cette occasion sans démontrer bien clairement à la Chambre et au pays que, lorsqu'il s'agit d'établir des distinctions de race contre un groupement quelconque, il ne faut pas compter sur moi.

Débats, 17 juillet 1944, 5112

Mais tous les députés ne partagent pas ces idées. Le député indépendant A.W. Neill est en faveur de l'exclusion, affirmant que « Le Canada est un pays habité par les Blancs et nous voulons qu'il en soit toujours ainsi ». Débats, 17 juillet 1944, 5121

Le premier ministre Mackenzie King nie que cette politique soit raciste : un Canadien japonais qui a vécu en Alberta avant 1938 ne perdra pas son droit de vote, affirme-t-il; la mesure s'applique uniquement aux Canadiens japonais qui ont quitté la Colombie-Britannique pour s'installer en Alberta après 1938. Les évacués, ajoute-t-il, « sont encore citoyens de la Colombie-Britannique » et, à ce titre, assujettis aux lois de cette province même s'ils n'y résident plus (Débats, 17 juillet 1944, 5098 et suiv.).

Après la Seconde Guerre mondiale, les députés les plus âprement anti-japonais perdent leur siège en faveur de députés plus modérés, et l'opinion publique commence à changer. Les restrictions sur le vote des Canadiens japonais sont maintenues jusqu'en 1948, année où le Parlement élimine les mesures de discrimination raciale en matière de vote. Le débat est bref, occupant une seule colonne des Débats de la Chambre des communes du 15 juin 1948. Cette forme particulière de racisme électoral relève désormais de l'histoire, mais il va s'écouler encore plus d'une décennie avant que les membres des Premières Nations obtiennent le droit de vote.

Photo en noir et blanc d'un homme âgé d'origine chinoise qui dépose son bulletin de vote dans une urne en métal à côté d'une travailleuse électorale assise et souriante.

Voter pour la première fois

Won Alexander Cumyow, Canadien de descendance chinoise né au Canada, vote pour la première fois à l'élection fédérale de 1949, alors qu'il a 88 ans. La plupart des restrictions liées à l'ethnicité ont été abolies l'année précédente, et les citoyens d'origine chinoise peuvent désormais voter. Collections spéciales des bibliothèques de l'Université de la Colombie-Britannique, Fonds Won Alexander Cumyow. BC 1848, 9

Les exclusions fondées sur la religion

Divers groupes religieux sont privés du droit de vote par la Loi des élections en temps de guerre de 1917, surtout parce qu'ils s'opposent au service militaire. Les plus connus sont les mennonites et les doukhobors. La mesure d'exclusion est levée à la fin de la Première Guerre mondiale, mais ces deux groupes pacifistes font l'objet, par la suite, de traitements très différents sur le plan électoral.

Les mennonites, immigrés au Canada dans les années 1870, sont exemptés du service militaire par un décret du 3 mars 1873, mais perdent leur droit de vote pendant la Première Guerre mondiale parce qu'ils parlent une « langue ennemie » (l'allemand). Ils sont à nouveau admis au suffrage en 1920, lorsque l'Acte des élections fédérales remplace la Loi des élections en temps de guerre.

Les mennonites suscitent peu de xénophobie, car leur mode de vie leur permet de bien s'intégrer aux collectivités agricoles où ils vivent. Les huttérites et les doukhobors sont la cible d'une plus grande animosité, non pas à cause de leurs croyances pacifistes, mais parce qu'ils pratiquent l'agriculture communautaire. Les huttérites ont immigré au Canada en provenance des États-Unis en 1918 pour éviter le service militaire obligatoire. S'ils soulèvent une certaine opposition locale là où ils sont établis, ils attirent peu l'attention, en général, et votent rarement.

Photo en noir et blanc d'une foule réunie devant une grande église.

Les objecteurs de conscience

Les mennonites et d'autres groupes dont la religion leur interdit de porter les armes perdent le droit de vote en vertu de la Loi des élections en temps de guerre, adoptée en 1917. Si les mennonites retrouvent le droit de vote en 1920, d'autres, comme les doukhobors, doivent attendre la levée de l'interdiction de voter pour les objecteurs de conscience, en 1955. Mennonite Historical Society of Saskatchewan

Il n'en est pas de même des doukhobors. En 1917, puis de 1934 à 1955 (année où sera levée l'interdiction de voter pour les objecteurs de conscience), les doukhobors se voient retirer le droit de vote aux élections fédérales, en principe parce que leur foi leur interdit de porter les armes. Toutefois, les débats sur la question à la Chambre des communes montrent clairement que les députés favorables à l'exclusion des doukhobors se préoccupent moins du service militaire que des vues sociales et des comportements des doukhobors.

Le débat entourant l'Acte des élections fédérales de 1934 révèle l'intolérance de certains députés de la Colombie-Britannique, par opposition aux députés d'autres provinces qui appuient plus largement la liberté de religion.

Le député conservateur de Kootenay-Ouest, W.J. Esling, déclare que si les députés d'autres provinces vivaient dans sa circonscription, ils seraient aussi disposés que lui à retirer le droit de vote à cette secte religieuse.

Un autre député conservateur, Grote Stirling, qui deviendra peu après ministre de la Défense nationale, affirme que les doukhobors agissent avec un manque de décence « dégoûtant ». Il est particulièrement offusqué de constater qu'ils « votent en bloc pour les libéraux », sur les ordres de leur leader. Le député indépendant A.W. Neill soutient que les députés favorables à l'octroi du droit de vote aux doukhobors font preuve d'un « sentimentalisme maladif ».

Un des députés qui appuient les doukhobors est J.S. Woodsworth, chef de la Fédération du commonwealth coopératif. Il fait l'éloge des doukhobors pour leur tempérament industrieux, et proteste contre le fait que leurs croyances religieuses servent de prétexte pour leur retirer le droit de vote. Woodsworth et un certain nombre de députés libéraux font valoir que les doukhobors peuvent difficilement devenir de bons citoyens si eux-mêmes et leurs descendants se voient retirer le droit de vote.

En 1938, lors d'une nouvelle révision de la législation électorale, les députés Esling, Stirling et Neill s'opposent encore une fois au droit de vote pour les doukhobors. T.C. Love, député provincial de la région de la Colombie-Britannique où on trouve le plus grand nombre de doukhobors, affirme que leur accorder le droit de vote « sonnerait la fin de la véritable démocratie dans Kootenay-Ouest » (Vancouver Province, 7 avril 1938). Les doukhobors ne seront pas admis au suffrage.

Après la Seconde Guerre mondiale, la discrimination raciale et religieuse s'atténue et les exclusions fondées sur des motifs raciaux sont graduellement éliminées. En 1955, les derniers vestiges de discrimination à l'endroit d'un groupe religieux dans la législation électorale canadienne seront supprimés.

Les peuples autochtones et le droit de vote

L'histoire du droit de vote des peuples autochtones du Canada n'est pas uniforme; elle diffère selon qu'il s'agit des Premières Nations, des Inuits ou des Métis.

Dans la plupart des régions du Canada, les membres des Premières Nations ont le droit de voter à partir de la Confédération – à condition de renoncer à leur statut selon un processus appelé « émancipation » prévu dans la Loi sur les Indiens. Très peu d'entre eux, bien sûr, sont prêts à se plier à cette exigence. Il est à noter que cette exigence ne leur est pas imposée s'ils entrent dans l'armée. Le droit de vote est d'ailleurs accordé aux membres des Premières Nations qui servent pendant les guerres mondiales – quoique, jusqu'en 1924, les anciens combattants de la Première Guerre mondiale qui retournent vivre dans leur réserve perdent leur droit de vote. Un grand nombre de membres des Premières Nations se distinguent aussi dans les Forces canadiennes pendant la Seconde Guerre mondiale; c'est une des raisons qui amèneront les Canadiens à conclure qu'il convient d'accorder à tous les membres des Premières Nations les pleins droits de la citoyenneté.

L'idée d'étendre le droit de vote à tous les membres des Premières Nations remonte au moins à 1885, année où les « Indiens inscrits » de l'est du Canada obtiennent le droit de vote s'ils remplissent les exigences alors imposées aux autres Canadiens; ce droit sera cependant retiré en 1898. De façon générale, l'idée de modifier les règles à cet égard suscite une grande hostilité.

Une des raisons de cette opposition, outre les attitudes paternalistes ou racistes typiques de l'époque, est la crainte que les membres des Premières Nations ne deviennent inféodés à des politiciens non autochtones. Le Canada et les États-Unis ont tous deux une longue tradition de nouveaux électeurs qui votent en bloc, souvent sur les indications de leurs leaders communautaires. À mesure que ces électeurs s'instruisent et s'intègrent à la société nord-américaine, ils se laissent moins influencer par ces leaders.

Black and white photo of an election worker and Inuit man shaking hands while several other Inuit men stand on the steps of a building watching.

Les élections dans le Nord

En 1950, le droit de vote des Inuits est rétabli. Lors de l'élection fédérale de 1953, des administrateurs d'élections visitent de nombreuses communautés nordiques pour apporter du matériel électoral et fournir des services de vote. Grâce aux moyens de communication modernes ainsi qu'aux modifications de la loi permettant l'inscription et le vote par la poste, il est devenu plus facile de voter dans les collectivités du Nord et les collectivités éloignées. Élections Canada

L'opposition vient également de l'autre camp. Les Premières Nations avaient établi des groupements sociaux et des systèmes de gouvernement complexes bien avant leurs premiers contacts avec les Européens. Ainsi, au 19siècle, beaucoup de membres des Premières Nations désapprouvent les propositions d'émancipation pour au moins deux raisons.

Premièrement, avec une telle réforme, ils cesseraient d'être reconnus comme nations ou peuples distincts et ils commenceraient à être assimilés à la société non autochtone.

Deuxièmement, en votant aux élections canadiennes, ils participeraient à un système étranger aux traditions, conventions et pratiques de gouvernement d'une grande partie des Premières Nations. De surcroît, leur participation au processus électoral serait essentiellement redondante puisqu'ils ont déjà leurs propres mécanismes pour choisir leurs leaders et se gouverner eux-mêmes.

Pendant près d'un siècle après le débat de 1885, peu de pressions s'exerceront en faveur de l'extension du droit de vote aux membres des Premières Nations. En 1924, ce droit sera accordé aux membres des Premières Nations qui ont servi pendant la Première Guerre mondiale, y compris ceux qui vivent dans les réserves. Mis à part ces anciens combattants, la Loi du cens électoral fédéral de 1934 prive explicitement du droit de vote aux élections fédérales les membres des Premières Nations vivant dans les réserves, de même que les Inuits.

Le droit de vote des Inuits au Canada sera rétabli sans condition en 1950. Au début de la guerre froide dans les années 1950, pour aider à protéger sa souveraineté dans le Grand Nord, le gouvernement du Canada installe des personnes, familles et collectivités dans l'Arctique. À la même époque, il accorde le droit de vote et les droits de pleine citoyenneté aux Inuits. L'élection fédérale de 1952 est à la première à laquelle ils peuvent voter, et du matériel électoral est envoyé à des collectivités inuites isolées. Cependant, ce n'est qu'à l'élection fédérale de 1962 que des urnes seront finalement placées dans toutes les collectivités inuites de l'est de l'Arctique, permettant aux Inuits d'exercer pleinement leur droit de vote (Milen, 5).

Les Métis, par contre, sont considérés comme ayant les mêmes droits électoraux que tous les autres Canadiens et ces droits ne sont jamais entravés par des dispositions législatives. En outre, comme peu d'entre eux sont visés par un traité ou une loi fédérale, comme la Loi sur les Indiens, on ne peut pas invoquer de motifs pour tenter de justifier leur exclusion. De fait, en 1873, les Métis du Manitoba votent pour élire Louis Riel, un chef métis, au Parlement.

En 1948, un comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes recommande d'accorder le droit de vote aux membres des Premières Nations. Ce n'est que lorsque John Diefenbaker devient premier ministre que le droit de vote est accordé inconditionnellement aux Premières Nations. John Diefenbaker préconisait cette mesure depuis longtemps. Dans ses mémoires, il explique qu'il avait rencontré beaucoup de membres des Premières Nations dans son enfance en Saskatchewan et qu'il était déterminé à leur obtenir le droit de vote (Diefenbaker, 29-30). En 1958, M. Diefenbaker nomme au Sénat James Gladstone (Akay-na-muka, c'est-à-dire « Nombreux Fusils »), qui devient ainsi le premier sénateur issu des Premières Nations.

Le droit de vote est un des grands privilèges de la démocratie, car après tout c'est vous, le peuple, et non le sondage Gallup, qui déterminez à qui il est préférable de confier la conduite des affaires publiques.

— John G. Diefenbaker, 15 juin 1962
Photo en noir et blanc du premier ministre John Diefenbaker discutant avec trois hommes des Premières Nations.

Une question de droits

En 1960, les membres des Premières Nations obtiennent le droit inconditionnel de voter aux élections fédérales. Auparavant, ils ne pouvaient généralement pas voter à moins d'avoir renoncé à leur statut légal d'« Indien ». Le premier ministre de l'époque, John Diefenbaker, joue un rôle crucial dans l'élimination des restrictions au droit de vote des membres des Premières Nations. Université de la Saskatchewan, Archives et collections spéciales, Fonds John G. Diefenbaker, MG 411, JGD 3635

Le 10 mars 1960, après un débat où cette mesure recueille un soutien quasi unanime, la Chambre des communes vote pour enfin accorder le droit de vote aux membres des Premières Nations sans les obliger à renoncer à leur statut. En 1968, Len Marchand, de la circonscription de Kamloops–Cariboo (Colombie-Britannique), sera le premier « Indien inscrit » à être élu à la Chambre des communes. D'autres membres des Premières Nations seront élus par la suite, mais dans des proportions qui sont loin de correspondre à leur présence dans la population canadienne.

Photo en noir et blanc d'un bureau de vote où un membre des Premières Nations place son bulletin de vote dans une urne en métal sous l'œil attentif de travailleurs électoraux.

Les électeurs autochtones

Suivant l'obtention du droit de vote par les Premières Nations, des membres des bandes de Hiawatha et de Curve Lake, dans le centre de l'Ontario, votent pour la première fois, à l'occasion d'une élection partielle fédérale, le 31 octobre 1960. De gauche à droite : Lawrence Salleby; le chef Ralph Loucks, scrutateur; Lucy Muskratt, greffière du scrutin; Eldon Muskratt, préposé au service d'ordre. Bibliothèque et Archives Canada, PA-123915

Le cas des femmes est plus complexe. Aux termes de la Loi sur les Indiens, jusqu'en 1985, un « Indien inscrit » confère son statut à son épouse non inscrite dès leur mariage, alors qu'une « Indienne inscrite » qui marie un « non-Indien » ou un « Indien non inscrit » est privée du statut, tout comme les enfants issus du mariage. Ces femmes ne peuvent plus vivre dans une réserve et perdent le droit de posséder des terres de réserve ou d'hériter des biens familiaux; elles sont exclues des avantages conférés par les traités et ne peuvent pas participer aux conseils de bande ou aux affaires politiques ou sociales de leur collectivité; et elles perdent le droit d'être enterrées dans les cimetières ancestraux2. Le 28 juin 1985, le Parlement adoptera le projet de loi C-31, Loi modifiant la Loi sur les Indiens, qui aura pour effet, entre autres, de corriger cette situation discriminatoire.

Dans chacun des cas que nous venons de voir – l'élargissement du droit de vote aux Canadiens d'origines japonaise et chinoise, aux doukhobors et aux Autochtones –, les changements passent par une modification de la législation électorale. Ces progrès auraient pu être salués comme de grandes réalisations sur le plan des droits démocratiques. J.W. Pickersgill, ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration du gouvernement libéral précédent, suggère ainsi l'ajout d'un préambule explicatif spécial à la loi de 1960 qui a octroyé le droit de vote aux membres des Premières Nations sans qu'ils doivent renoncer à leur statut. Mais Ellen Fairclough, première femme ministre au Canada, qui a la responsabilité de faire adopter les modifications par la Chambre, n'y voit qu'une « disposition additive [...] superflue » (Débats, 10 mars 1960, 2050). Depuis l'octroi inconditionnel du droit de vote aux Autochtones du Canada, de nombreux électeurs des communautés des Premières Nations, des Métis et des Inuits ont reconnu l'importance de la participation aux élections fédérales et ont exercé leur droit de vote.

L'accessibilité et le processus électoral

Les mécanismes visant à faciliter l'exercice du droit de vote se multiplient à cette époque. En 1948, par exemple, le temps accordé aux employés pour voter passe à trois heures, puis à quatre heures en 1970, avant d'être ramené à trois heures en 1996, car les heures du scrutin sont alors prolongées.

Photo en noir et blanc d'un homme en fauteuil roulant qui se fait aider pour entrer dans un bureau de vote pendant l'élection générale de 1963. On peut aussi y voir un avis de scrutin, sur un arbre à l'extérieur du bureau de vote.

Encore des obstacles

À l'élection générale de 1963, la plupart des restrictions juridiques à l'exercice du droit de vote ont été levées. Malgré tout, certains électeurs handicapés rencontrent encore des obstacles au bureau de scrutin. Jack Marshall, Musée des beaux-arts du Canada, Collection ONF

Le vote postal pour les membres des forces armées représente un changement plus important dans les procédures électorales. Le gouvernement de Mackenzie King établit le système de vote postal pour les membres du personnel militaire à l'étranger pendant la Seconde Guerre mondiale. Après la dissolution du Parlement en 1940, le Cabinet adopte, en vertu de la Loi sur les mesures de guerre, une mesure permettant aux soldats de voter par la poste à l'élection qui vient d'être déclenchée. En 1944, cette mesure est enchâssée dans la Loi des élections fédérales, de sorte que quelque 342 000 membres des forces armées votent de cette façon à l'élection générale de 1945.

Lors de la même élection, le suffrage par procuration est institué pour les Canadiens qui sont prisonniers de guerre. Les votes par procuration (quelque 1 300 en 1945) sont déposés par les parents les plus proches des prisonniers. Cette disposition, rétablie en 1951, est utilisée à nouveau pendant la guerre de Corée, alors que 18 Canadiens sont prisonniers de guerre. Elle disparaît du recueil de lois au moment de la révision des lois du Canada de 1985.

Durant cette période, divers mécanismes innovateurs viennent faciliter le vote des personnes absentes de leur foyer. En 1951, des dispositions spéciales sont prises dans les sanatoriums et les établissements de soins de longue durée. Le vote aux bureaux de scrutin établis dans ces endroits, et dans les foyers pour personnes âgées après 1960, est suspendu temporairement pour permettre aux fonctionnaires électoraux (avec la permission des autorités de l'établissement) d'aller de chambre en chambre avec le matériel nécessaire pour que tout électeur alité puisse voter s'il le désire.

Le vote postal est étendu aux conjoints des membres des forces armées en 1955, pour permettre à ces personnes de voter lorsqu'elles accompagnent leur époux ou épouse dans ses affectations à l'extérieur de leur circonscription de résidence.

Photo en noir et blanc d'une femme en fauteuil roulant qui utilise une rampe d'accès à un bureau de vote.

L'accès de plain-pied

Dans les années 1970 et 1980, la population prend de plus en plus conscience des besoins particuliers de certains électeurs. Des mesures administratives rendent de nombreux bureaux de scrutin accessibles aux personnes handicapées. Ce n'est toutefois qu'en 1992, après l'adoption du projet de loi C-78, que l'accès de plain-pied aux bureaux de vote devient une obligation selon la loi. Élections Canada

Le plébiscite sur la conscription de 1942

Le 27 avril 1942 se tient le deuxième référendum fédéral. Le gouvernement libéral de William Lyon Mackenzie King demande à la population canadienne de le dégager de sa promesse de ne pas recourir aux conscrits pour le service militaire outremer dans la Seconde Guerre mondiale. Le taux de participation au référendum est de 71,3 %. Plus de 60 % des votants se prononcent en faveur, tandis que les autres sont contre. Au Québec, toutefois, environ 72 % s'y opposent.

Consolidation et révision, 1961-1981

Ainsi donc, en 1960, les modifications apportées à la législation électorale du Canada se traduisent par des progrès importants par rapport à 1920 : l'origine raciale ou la religion n'est plus un facteur de discrimination du droit de vote, et aucun groupe important n'est privé du suffrage de façon délibérée ou directe. Les changements législatifs les plus importants visent surtout à parfaire le processus électoral, et touchent la façon dont il se déroule, plutôt que la portée ou la nature du droit de vote.

Parmi ces modifications figurent la réglementation des partis politiques et du financement des campagnes, et la création de commissions impartiales chargées du redécoupage des circonscriptions en fonction de l'évolution démographique. Dans les deux cas, les changements auront des répercussions importantes sur le processus électoral. Du point de vue des électeurs, les résultats les plus concrets de ces changements seront probablement l'inscription du parti du candidat sur le bulletin de vote, de même que la possibilité de verser une contribution politique déductible d'impôt.

Cette période est également marquée par de nombreux changements qui visent à répondre aux besoins variés des électeurs, notamment l'élargissement à tous les électeurs des dispositions relatives au vote par anticipation, les modifications aux listes électorales et l'abaissement, de 21 à 18 ans, de l'âge électoral. De plus, le public se sensibilise aux droits et aux préoccupations des personnes handicapées, ce qui se traduit par des mesures pour leur faciliter l'accès aux bureaux de scrutin et pour préserver le secret de leur vote. Enfin, l'adoption de la Loi sur les langues officielles, en 1969, donnait à tous les électeurs, où qu'ils soient, le droit au matériel électoral en anglais ou en français.

Réglementation des partis politiques, des candidats et du financement des campagnes

Depuis la Confédération, l'admissibilité au vote a été constamment élargie, et le droit de vote des citoyens est devenu la pierre angulaire de la législation électorale. Mais pour que ce droit prenne tout son sens, il faut d'abord que les citoyens puissent choisir parmi des partis et des candidats qui se font la lutte et, deuxièmement, qu'ils puissent s'assurer du bien-fondé de leur choix en ayant accès à de l'information sur les activités des partis et des candidats.

Pourtant, la divulgation complète des activités électorales exigée selon les normes actuelles est une innovation étonnamment récente. Cela s'explique par le fait que les acteurs de la scène politique ont longtemps considéré que le financement des partis était une affaire interne, et que l'État n'avait pas à s'en mêler. Cette mentalité commence à disparaître au début des années 1960. Plusieurs scandales d'ici et d'ailleurs, comme celui du Watergate aux États-Unis, jouent un rôle important dans ce renversement de perspective.

Comme nous l'avons vu au chapitre 2, la Loi des élections fédérales a été modifiée à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle pour obliger les candidats à divulguer leurs dépenses électorales, pour rendre coupable d'infraction toute personne qui aide un candidat contre rémunération, pour interdire aux sociétés toute contribution à une campagne et pour obliger les autres donateurs à passer par l'agent officiel d'un candidat.

En 1920, il devient obligatoire pour les candidats de révéler les noms des donateurs et le montant de leurs contributions. En 1930, les restrictions applicables aux contributions versées par des sociétés sont levées. Jusqu'aux années 1970, ces changements demeurent les dernières modifications d'importance apportées aux dispositions financières de la Loi, malgré les lacunes qui sont mises en lumière au fil des ans.

Si la réforme des règles de financement électoral suscite peu d'intérêt au milieu du 20e siècle, on assiste en revanche à un foisonnement de mesures législatives à partir des années 1970. C'est au cours de cette période que la loi reconnaît les partis politiques et que les activités financières des partis, des candidats, des tiers ainsi que des associations de circonscription sont réglementées pour la première fois. C'est également pendant cette période qu'est créé le poste de commissaire aux dépenses d'élection, qu'on appellera par la suite commissaire aux élections fédérales.

La reconnaissance juridique des partis politiques

Avant 1970, la Loi électorale du Canada ne reconnaissait pas les partis politiques. La question est toutefois examinée en 1966 par un comité consultatif d'étude sur la limitation des dépenses électorales (Comité Barbeau, du nom de son président, Alphonse Barbeau). Celui-ci soutient qu'une telle reconnaissance juridique pourrait servir :

  • à égaliser les moyens financiers dont disposent les candidats;
  • à accroître la transparence, en exigeant la divulgation de l'information sur le financement électoral;
  • à augmenter la participation de l'électorat à la vie politique grâce à un système de crédits d'impôt.

Selon le comité, ces objectifs sont essentiels au développement du système démocratique.

En 1970, à la lumière des recommandations du Comité Barbeau, la Loi électorale du Canada est modifiée de façon à permettre aux partis politiques de s'enregistrer et d'obtenir ainsi une reconnaissance juridique. Cette innovation est intéressante pour les chefs des partis, puisqu'en s'enregistrant, un parti peut désormais faire inscrire son nom sur les bulletins de vote sous celui de ses candidats dans chaque circonscription. Comme l'appui aux candidats est fortement influencé par leur affiliation politique, il s'agit d'un renseignement important sur un bulletin de vote.

Réglementation des dépenses électorales

La question de l'enregistrement prend encore plus d'importance quelques années plus tard. À la suite des recommandations du Comité Barbeau et du rapport du Comité spécial de la Chambre des communes sur les dépenses électorales (Comité Chappell, du nom de son président, Hyliard Chappell), le Parlement adopte la Loi sur les dépenses d'élection en 1974. Cette loi est déterminante, car elle oblige les partis à limiter leurs dépenses électorales et à déclarer leurs sources de contributions, mais en même temps, elle les rend admissibles au remboursement d'une partie de leurs dépenses électorales.

Avant 1974, seules les finances des candidats sont réglementées en vertu de la législation électorale, ce qui laisse toutes les autres entités libres de promouvoir sans limites le parti ou le candidat de leur choix. Selon le Comité Barbeau :

il ne [devrait être] permis à aucune association ou organisme autre que les partis enregistrés et les candidats désignés [...] d'acheter des émissions à la radio ou à la télévision, de recourir à des annonces payées dans les journaux et les périodiques et d'utiliser les envois directs par la poste, les annonces ou panneaux-réclame afin d'appuyer ou de combattre un parti ou un candidat, à compter du jour de l'émission des brefs d'élection jusqu'au jour suivant le scrutin.

— Rapport du Comité Barbeau de 1966, 50

Le Comité Barbeau reconnaît que de telles restrictions peuvent, dans une certaine mesure, porter atteinte à la liberté de tiers, mais conclut néanmoins que sans restrictions, il est tout simplement impossible de limiter et de contrôler les dépenses électorales. Toutefois, sa recommandation ne vise que les dépenses destinées à appuyer ou à contrecarrer directement des partis ou des candidats en période électorale. Il ne préconise pas l'interdiction des dépenses indirectes (défense d'une cause), estimant qu'une telle mesure pourrait « entraver l'activité ordinaire » des tiers. En 1972, le Comité Chappell, tout en appuyant la position du Comité Barbeau sur les dépenses directes, élargit la recommandation aux dépenses indirectes.

En 1974, le gouvernement libéral minoritaire ne détient que quelques sièges de plus que le Parti progressiste-conservateur, et le Nouveau Parti démocratique détient la balance du pouvoir. Divers événements étroitement liés font alors craindre une flambée des dépenses électorales. À ce contexte s'ajoutent toutes les ramifications du scandale du Watergate, qui éclate après l'élection de 1972 aux États-Unis. Ces événements alimentent les inquiétudes concernant l'effet de dépenses électorales élevées sur la démocratie et auraient grandement influencé la décision du Parlement d'adopter, en 1974, la Loi sur les dépenses d'élection (Stanbury). Cette loi établit le premier ensemble complet de règles financières applicables aux partis politiques fédéraux.

Une des principales innovations de cette loi consiste à plafonner les dépenses de campagne des partis et des candidats. Cette mesure vise à empêcher l'escalade des dépenses et à rendre les courses électorales plus équitables en évitant que des partis et des candidats ne dépensent des sommes démesurées par rapport aux autres. Ce principe est dès lors maintenu et prévaut encore aujourd'hui. Par exemple, dans son rapport publié en 1992, la Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis (Commission Lortie, du nom de son président, Pierre Lortie) affirme que la limitation des dépenses est :

[...] un moyen important de renforcer l'équité du processus électoral. Le plafonnement réduit l'avantage potentiel de ceux et celles qui disposent d'importantes ressources financières et contribue ainsi à équilibrer le débat pendant les campagnes. Il facilite également l'accès au processus électoral [...]

— Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis, 349

La loi adoptée en 1974 marque un progrès important dans la transparence des dépenses, élément clé de tout cadre de réglementation du financement politique. En effet, pour porter un jugement éclairé sur les candidats et les partis, les électeurs doivent disposer d'information sur l'origine et le montant des contributions. À cet effet, la Loi sur les dépenses d'élection exige que les candidats et les partis divulguent le nom des donateurs qui versent plus de 100 $ ainsi que le montant de leurs contributions (le seuil passera à 200 $ après la modification de la Loi électorale du Canada en 2000).

Toujours en 1974, la Loi sur la radiodiffusion de 1968 est modifiée de manière à ce qu'un certain temps d'antenne, en partie gratuit, soit attribué à chaque parti enregistré lors d'une élection. Les stations de radio et de télévision se voient ainsi obligées d'offrir aux partis enregistrés jusqu'à 6,5 heures de temps d'antenne aux heures de grande écoute, pendant les quatre dernières semaines d'une campagne, pour la diffusion d'émissions politiques ou de publicités payantes. (Depuis 1983, ce temps d'antenne est distribué entre les partis par l'arbitre en matière de radiodiffusion, qui utilise une formule fondée sur la part du vote et le nombre de sièges que chaque parti a obtenus à l'élection précédente.) De plus, les réseaux de radio et de télévision sont tenus d'offrir du temps d'émission gratuit aux partis enregistrés pendant des périodes réservées par chaque réseau, mais pas nécessairement aux heures de grande écoute. Les radiodiffuseurs ne sont pas tenus d'accorder du temps d'antenne à des candidats individuels, mais s'ils le font, ils doivent en offrir autant à tous les candidats des mêmes circonscriptions.

Une autre innovation notable de la Loi sur les dépenses d'élection de 1974 est qu'elle prévoit le remboursement aux partis et aux candidats d'une partie de l'argent qu'ils ont dépensé pendant une campagne électorale. Ce financement public vise à rendre les postes électifs plus accessibles aux partis et aux candidats qui ne peuvent pas compter sur de riches bailleurs de fonds. Les candidats sont les principaux bénéficiaires de ce système de remboursement. En effet, ceux qui obtiennent au moins 15 % du vote dans leur circonscription ont droit à un remboursement partiel de leurs dépenses électorales. En 1974, le montant remboursé est calculé en fonction d'une formule tenant compte du nombre d'électeurs dans la circonscription.

La loi de 1974 prévoit aussi le remboursement de certaines dépenses électorales des partis enregistrés, en particulier de 50 % du total de leurs dépenses en publicité radiophonique et télévisée.

Le dernier élément majeur des réformes de 1974 est l'introduction du crédit d'impôt pour contributions politiques, grâce auquel les citoyens qui versent une contribution à un candidat ou à un parti enregistré peuvent obtenir un généreux crédit d'impôt. Cette mesure est un moyen d'utiliser les fonds publics pour financer les partis politiques tout en récompensant ceux qui réussissent à récolter des dons.

Dans le but d'éviter le contournement des limites de dépenses imposées aux partis et aux candidats, la Loi sur les dépenses d'élection de 1974 stipule aussi que seuls les partis et les candidats peuvent dépenser de l'argent en période électorale pour favoriser ou contrecarrer des candidats. Elle interdit ainsi les dépenses faites par un tiers – c'est-à-dire toute personne autre qu'un candidat ou tout groupe autre qu'un parti enregistré –, sauf si elles visent à promouvoir une position de principe ou les objectifs d'un groupe non partisan. La Loi offre toutefois un moyen de défense en cas de poursuite, à savoir la preuve que de telles dépenses électorales ont été faites « de bonne foi », c'est-à-dire sans intention malveillante ni recherche d'un avantage indu.

Enfin, la Loi sur les dépenses d'élection de 1974 crée le poste de commissaire aux dépenses d'élection pour veiller au respect et à l'application des dispositions de la Loi électorale du Canada relatives aux dépenses électorales. En 1977, le poste devient celui de commissaire aux élections fédérales, quand les responsabilités du titulaire sont élargies à toutes les dispositions de la Loi.

La Loi sur les dépenses d'élection de 1974
  • Limite les dépenses électorales des candidats et des partis politiques
  • Interdit aux groupes autres que les partis et aux particuliers autres que les candidats de dépenser en période électorale pour favoriser ou contrecarrer des candidats, à moins que les dépenses ne visent à promouvoir une position de principe ou les objectifs d'une organisation non partisane
  • Oblige les partis et les candidats à divulguer le montant et la source de toute contribution de plus de 100 $
  • Rend les partis enregistrés admissibles à un remboursement partiel de leurs dépenses électorales
  • Prévoit le remboursement partiel des dépenses électorales des candidats qui remportent au moins 15 % des votes dans leur circonscription
  • Oblige les stations de radio et de télévision à offrir aux partis enregistrés au moins 6,5 heures de temps d'antenne aux heures de grande écoute pour la diffusion d'émissions politiques ou de publicités payantes en période électorale
  • Oblige les réseaux de radio et de télévision à mettre du temps d'antenne gratuit à la disposition des partis enregistrés
  • Prévoit un crédit d'impôt maximal de 500 $ pour les particuliers qui font des contributions aux partis et aux candidats
Le commissaire aux élections fédérales

La Loi sur les dépenses électorales de 1974 a créé le poste de commissaire aux dépenses électorales. Le titre a été changé en 1977 pour celui de commissaire aux élections fédérales, lorsque le commissaire a été chargé de veiller au respect et à l'application de toutes les dispositions de la Loi électorale du Canada.

Le commissaire :

  • est nommé par le directeur général des élections après consultation auprès du directeur des poursuites pénales et ne peut être révoqué que pour un motif valable;
  • travaille indépendamment du gouvernement et du directeur général des élections;
  • examine toutes les plaintes et peut entamer des enquêtes, y compris celles de son propre chef;
  • a recours à diverses mesures d'observation et de contrôle d'application de la Loi, telles que :
    • l'émission de lettres d'avertissement et d'information;
    • la conclusion de transactions;
    • l'acceptation d'engagements (assurances formelles);
    • l'émission de procès-verbaux imposant des sanctions administratives pécuniaires et le dépôt d'accusations pour les infractions commises en vertu de la Loi (le Service des poursuites pénales du Canada est responsable de la poursuite).

Pendant une période électorale, le commissaire peut demander une ordonnance judiciaire pour obliger une personne ou une entité à se conformer à la Loi.

Le commissaire peut également demander la radiation judiciaire d'un parti politique dont l'un des objectifs fondamentaux n'est pas de soutenir un candidat à une élection.

Redécoupage des circonscriptions

Comme nous l'avons vu au chapitre 2, la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit que le nombre de sièges de chaque province à la Chambre des communes doit être proportionnel à sa population. Elle établit également un mécanisme pour le rajustement, après chaque recensement décennal, du nombre de sièges de chaque province et des limites de chaque circonscription. À l'origine, c'était le gouvernement qui déterminait les limites des circonscriptions, mais la Loi sur la représentation de 1903 assigne cette tâche à un comité de la Chambre des communes.

En 1915, la formule utilisée pour l'attribution des sièges (la formule de représentation) est modifiée en application de la « clause sénatoriale ». La clause sénatoriale garantit qu'aucune province ne peut avoir moins de sièges à la Chambre des communes qu'elle en a au Sénat. La formule est de nouveau modifiée en 1946, en 1951 et en 1974.

De plus, le Parlement suspend parfois le processus de rajustement afin d'apporter des modifications à la formule de représentation de la Loi constitutionnelle de 1867 et au processus de rajustement. C'est ce qui se produit après les recensements de 1971 et de 1981.

En 1964, la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales (LRLCE) établit un processus de redécoupage des circonscriptions fédérales réellement impartial qui demeure pratiquement inchangé depuis. Pour assurer cette impartialité, la LRLCE part du principe que la responsabilité du redécoupage doit être attribuée à des organismes officiellement non partisans. Elle prévoit donc la nomination, dans chaque province3, d'une commission de délimitation des circonscriptions électorales chargée de superviser le processus.

La révision des limites des circonscriptions

Le processus de redécoupage, essentiellement inchangé depuis l'adoption de la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales en 1964, est le suivant :

  1. Après chaque recensement décennal,

    le statisticien en chef du Canada transmet les données démographiques provinciales au directeur général des élections, qui applique la formule prévue par la loi pour établir le nombre de sièges de chaque province. (Depuis l'adoption de la Loi constitutionnelle, cette formule a été modifiée maintes fois dans le but de maintenir une représentation équitable en tenant compte des changements démographiques.)

  2. Les commissions de délimitation des circonscriptions électorales sont établies.

    Elles se composent d'un président – habituellement un juge de cour provinciale – nommé par le juge en chef de la province, et de deux résidents de la province, nommés par le président de la Chambre des communes. Les commissions doivent être constituées dans les 60 jours suivant la publication des résultats du recensement ou dans les 6 mois suivant le recensement, selon la première éventualité.

  3. Chaque commission élabore un plan de redécoupage

    qui est publié dans les journaux, en même temps que l'horaire et les lieux d'audiences publiques, au moins 30 jours avant la première audience. Sur avis écrit à la commission, toute personne ou tout groupe intéressé – y compris un député ou un sénateur – peut être entendu aux audiences.

  4. Chaque commission doit normalement terminer son rapport

    au plus tard 10 mois après avoir reçu les données du recensement.

  5. Un comité des affaires électorales désigné par la Chambre des communes

    reçoit les rapports des commissions par l'entremise du directeur général des élections et du président de la Chambre.

  6. Les députés ont 30 jours pour présenter par écrit leurs oppositions

    aux rapports, lesquelles doivent être signées par au moins 10 députés. Le comité a alors 30 jours pour discuter des oppositions avant de renvoyer les rapports, avec commentaires, aux commissions.

  7. Les commissions modifient leurs rapports

    – ou non, à leur gré –, puis communiquent leurs décisions finales au directeur général des élections.

  8. Le directeur général des élections établit un projet de décret de représentation

    fondé sur les rapports des commissions et précisant le nom, le nombre d'habitants et la délimitation de chaque nouvelle circonscription, puis envoie ce document au ministre responsable.

  9. Le Cabinet proclame le décret de représentation

    dans les cinq jours de sa réception, dévoilant ainsi le nouveau découpage. Dans les cinq jours qui suivent, le Cabinet publie dans la Gazette du Canada le décret de représentation ainsi que la proclamation de son entrée en vigueur.

  10. Au moins sept mois doivent s'écouler

    entre la proclamation du décret de représentation par le Cabinet et la dissolution du Parlement précédant une élection générale pour que les nouvelles limites puissent s'appliquer à cette élection.

Le vote par anticipation

Lorsqu'il est institué en 1920, le vote par anticipation est limité à quelques catégories d'électeurs. Il est étendu aux membres de la Gendarmerie royale du Canada et des forces armées en 1934, puis aux membres des forces de réserve en 1951. Dans chaque cas, l'électeur qui veut voter par anticipation doit prêter serment pour confirmer qu'il sera en déplacement pour son travail le jour de l'élection.

Photo en couleur d'une femme devant une table sur laquelle se trouve une urne. Elle fait face à deux administratrices d'élections qui l'aident à voter. Sur le mur, une affiche indique qu'il s'agit d'un lieu de vote par anticipation.

Le vote par anticipation

Tout électeur qui le désire peut voter à un bureau de vote par anticipation les 10e, 9e, 8e et 7e jours précédant le jour de l'élection. Avant 1960, seules les personnes occupant certains emplois désignés pouvaient voter par anticipation. En 1960, une modification à la Loi électorale du Canada permet à tout électeur de voter par anticipation s'il déclare sous serment qu'il sera absent de sa circonscription le jour de l'élection. L'obligation de prêter serment est abolie en 1977. Élections Canada

L'élection de 1953 se tient en août, au moment où beaucoup d'électeurs sont en vacances. Le taux de participation s'élève à 68 % seulement, contre 75 % en juin 1949 et en juin 1957. Les progressistes-conservateurs estiment avoir été particulièrement pénalisés par cet absentéisme4. Après leur victoire à l'élection de 1957, le droit de voter par anticipation est accordé à tous les électeurs qui ont des raisons de croire qu'ils seront absents de leur section de vote le jour de l'élection et qu'ils seront donc dans l'impossibilité de voter. Cependant, en vertu de cette modification législative adoptée en 1960, les électeurs qui veulent voter par anticipation doivent encore prêter serment. Dès la première élection générale tenue par la suite – celle de 1962 – la réponse des électeurs est remarquable : le nombre de personnes votant par anticipation, qui était d'environ 10 000 en moyenne aux élections antérieures, passe à près de 100 000.

En 1970, la liste des personnes autorisées à voter par anticipation est allongée, pour inclure celles pour qui il est plus pratique de voter de cette façon en raison de leur âge, d'un handicap ou d'une grossesse avancée, ou qui ne peuvent pas voter le jour du scrutin ordinaire en raison de leurs croyances religieuses ou de leur appartenance à une congrégation religieuse. En 1977, l'exigence de prêter serment est éliminée. En même temps, on autorise les électeurs à voter au bureau du directeur du scrutin pendant la période électorale s'ils ne peuvent pas voter par anticipation ou le jour de l'élection.

En 1993, une nouvelle disposition législative rend le vote par anticipation accessible à tous les électeurs. Désormais, il n'est plus réservé aux personnes qui prévoient être absentes le jour de l'élection.

L'avis aux électeurs

Comme nous l'avons vu, la disposition de 1934 prévoyant l'envoi d'une carte postale à chaque électeur inscrit s'était révélée trop onéreuse. L'électeur se voit plutôt envoyer un exemplaire de la liste électorale de sa section de vote. Ce système demeurera inchangé pendant plusieurs décennies. Dans les années 1970, cependant, de nombreux électeurs s'opposeront à ce qu'ils considèrent comme une intrusion inacceptable dans leur vie privée – particulièrement les femmes qui vivent seules et les personnes qui estiment que leur profession ou l'identité des membres de leur ménage ne regarde qu'eux-mêmes. Certains s'inquiètent également du fait que les listes – qui, globalement, renferment les nom, adresse et profession des adultes de chaque ménage au pays – puissent être utilisées à des fins autres qu'électorales.

En 1982, cette disposition est donc éliminée. Pour la remplacer, on adopte un système qui rappelle celui de 1934 : chaque électeur inscrit reçoit une carte postale confirmant son inscription et lui indiquant où voter; grâce à l'évolution de la technologie, cette formule est beaucoup plus pratique et moins coûteuse qu'en 1934. Les électeurs qui ne reçoivent pas de carte savent qu'ils doivent prendre l'initiative de se faire inscrire pour pouvoir voter.

Photo en couleur d'un homme qui sort une carte d'information de l'électeur de sa boîte aux lettres.

Le retour de la carte postale

L'envoi d'avis aux électeurs sous forme de cartes postales fait son apparition dans les années 1930, mais est abandonné en raison des coûts et de la lourdeur du processus. Dans les années 1980, les progrès de la technologie rendent le tout de nouveau possible. En 1982, les cartes remplacent l'affichage des listes électorales, une pratique notamment dénoncée comme portant atteinte à la vie privée. Élections Canada, ACU00701

Un système plus ouvert

En 1970 a lieu la plus forte expansion de l'électorat depuis que les femmes se sont vu accorder le droit de vote en 1918 : les personnes âgées de 18 à 20 ans sont autorisées à voter, et ont l'occasion d'exercer leur droit de vote pour la première fois à l'élection de 1972. L'abaissement de l'âge électoral à 18 ans élargit considérablement l'électorat – de quelque deux millions de personnes en tout – mais ce changement n'a pas la même résonance que l'élimination de la discrimination fondée sur la religion ou la race. Contrairement à l'élargissement du droit de vote à des minorités raciales ou religieuses, l'abaissement de l'âge électoral soulève relativement peu de controverse. On est dans les années 1970, la culture de la jeunesse est à son apogée et la vie politique et sociale est en train de s'ouvrir de façon générale, sous l'effet de la politique de la participation.

Photo d'un tas d'enveloppes envoyées à Élections Canada par des électeurs ayant choisi de voter par la poste.

Un système ingénieux

À partir de 1993, le vote par bulletin spécial permet aux électeurs absents de leur circonscription le jour de l'élection – y compris les personnes en voyage ou vivant temporairement à l'étranger – de voter par la poste. Un ingénieux système d'enveloppes insérées l'une dans l'autre garantit l'intégrité du vote (de sorte que personne ne vote plus d'une fois) et préserve le secret du vote. Élections Canada

C'est dans ce même climat social qu'on accorde plus d'importance aux droits des électeurs handicapés et d'autres personnes qui risquent de ne pas pouvoir voter pour cause d'incapacité physique ou de maladie. Certaines mesures législatives sont alors introduites, mais c'est surtout par le biais de changements administratifs intégrés ultérieurement à la Loi, que l'on répond aux besoins de ces électeurs. Ainsi, en 1977, le certificat de transfert sera introduit dans la Loi afin de permettre à ces personnes de voter à un bureau de vote par anticipation avec accès de plain-pied, si le leur n'en a pas. Au cours des années 1970, par ailleurs, les bureaux de scrutin sont plus nombreux à s'installer dans des lieux publics, de sorte que l'accès de plain-pied est plus largement disponible. Des gabarits spéciaux sont également conçus pour que les électeurs aveugles ou ayant une déficience visuelle puissent voter sans aide, ce qui préserve le secret du vote. Ces dernières mesures finiront par être intégrées à la Loi en 1992.

Photo des mains d'une personne qui remplit un bulletin spécial avec un stylo. Des instructions ainsi que deux enveloppes reposent sur la table, près du bulletin.

Voter de l'étranger

Grâce à une trousse comme celle-ci, l'électeur qui ne peut pas se rendre à un bureau de scrutin peut s'inscrire et voter par la poste. Le vote par bulletin spécial est particulièrement utile aux Canadiens qui vivent à l'étranger ou qui sont en voyage pendant une campagne électorale. Élections Canada

Pendant cette période, la Loi contient des dispositions visant le vote par procuration qui ont été utilisées pendant la Seconde Guerre mondiale et la guerre de Corée. En 1970, le droit de vote par procuration est accordé aux pêcheurs, marins et prospecteurs, ainsi qu'aux personnes malades ou ayant une incapacité physique; puis, en 1977, il est accordé aux membres des équipages d'avion, aux membres des équipes de forestiers et des équipes topographiques, et aux trappeurs. En 1993, le vote par procuration sera abrogé lorsque l'utilisation des bulletins de vote spéciaux, en vertu des Règles électorales spéciales, sera élargie.

Une troisième série de modifications donnera le droit de vote à certaines catégories d'électeurs et électrices vivant à l'étranger. En 1970, les fonctionnaires, principalement des diplomates, et leurs personnes à charge, qui sont en poste à l'étranger deviennent admissibles à voter en vertu des Règles électorales spéciales – autrefois réservées aux militaires et à leurs personnes à charge. En 1977, le même droit est accordé aux employés civils des Forces canadiennes (généralement les enseignants et les employés de soutien administratif dans les écoles des bases militaires canadiennes). Cependant, jusqu'en 1993, les Canadiens ordinaires absents de leur circonscription et incapables de voter, soit le jour de l'élection ou par anticipation, ne peuvent toujours pas exercer leur droit de vote.

Après l'adoption de la Loi sur les langues officielles en 1969, Élections Canada met en œuvre une politique garantissant aux électeurs le service dans leur langue officielle lorsqu'ils vivent dans une circonscription dont au moins 5 % de la population parle la langue officielle de la minorité. À partir du début des années 1990, ce service est offert dans tout le Canada.

Le droit de vote est légèrement restreint sur un point pendant cette période. En 1970, la législation est modifiée de manière à ce que les sujets britanniques qui n'ont pas adopté la citoyenneté canadienne n'aient plus le droit de voter à moins de devenir citoyens canadiens au plus tard en 1975. Auparavant, les sujets britanniques « résidant ordinairement au Canada » étaient habilités à voter. Ce privilège, dont ne jouissaient bien sûr pas les immigrants qui n'étaient pas sujets britanniques, avait sa raison d'être lorsque le Canada faisait partie de l'Empire britannique, mais n'avait plus sa place dans le contexte d'un pays indépendant.

Photo en noir et blanc de trois travailleurs électoraux qui préparent des colis et des documents sur une table dans un local d'entreposage.

La distribution du matériel électoral

Dans les années 1950, quelque 50 000 colis de matériel électoral étaient expédiés à l'ensemble des directeurs du scrutin durant une élection générale. Frank Royal, ONF, Bibliothèque et Archives Canada, PA-169812

Notes de bas de page

1 Qui deviendra la Loi électorale du Canada en 1951.

2 Cette loi injuste a été fréquemment contestée, tout d'abord par Mary Two-Axe Earley en 1967. Puis, en février 1973, la Cour suprême du Canada a entendu ensemble les affaires de Jeannette Corbiere Lavell et d'Yvonne Bédard, deux femmes qui avaient perdu leur statut « d'Indienne » en épousant un « non-Indien ». Le 27 août 1973, la Cour a décidé, par une majorité de 5 contre 4, que la Déclaration des droits ne s'appliquait pas aux dispositions visées de la Loi sur les Indiens. Celle-ci a donc été maintenue. En 1977, le Comité des droits de l'homme des Nations Unies a été saisi d'une cause semblable par Sandra Lovelace, qui allait être nommée au Sénat du Canada en 2005. En 1981, le comité a jugé que le Canada contrevenait au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

3 Les territoires sont exclus parce que chacun d'eux comprend une seule circonscription, qui n'a donc pas besoin d'être rajustée. C'est ainsi depuis 1999, année où le Nunavut a été créé et où les deux territoires formant les Territoires du Nord-Ouest ont été séparés. (Le Yukon compte une seule circonscription depuis sa création en 1898.)

4 Débats, 27 janvier 1954, 1598, J.W. Pickersgill, répliquant au nom des libéraux, affirme que « s'il existe un grand nombre de Canadiens qui préfèrent leurs vacances à leur droit de vote, cela ne veut pas dire qu'ils ont été privés de celui-ci ».