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Participation électorale des jeunes au Canada

5. Pourquoi le taux de participation est-il si faible chez les jeunes?

La dernière question, et non la moindre, concerne les causes de cette diminution de la participation chez les jeunes. Pour commencer, il faut avouer que nous en savons peu sur ces causes, ce qui ne devrait pas être étonnant. La diminution du taux de participation est un phénomène qui s'étend sur une longue période, et nous avons de bonnes raisons de croire qu'il s'agit d'une tendance complexe aux causes multiples. Certaines des données dont nous aurions besoin pour découvrir les causes fondamentales de cette diminution ne sont tout simplement pas disponibles. De plus, l'EEC ne comporte pas de séries de questions sur les attitudes qui, par leur uniformité, nous permettraient de déterminer si les cohortes les plus récentes ont une perception différente de la politique et des élections que les cohortes précédentes, au même âge.

Par ailleurs, nous possédons tout de même quelques connaissances à propos du phénomène, nous permettant d'exclure certaines interprétations. Soulignons d'abord que cette tendance ne se limite pas au Canada. Selon des données claires, les jeunes sont moins enclins à voter maintenant que par le passé et cela est la cause principale de la diminution générale du taux de participation dans d'autres pays également : les États-Unis (Dalton, 2007; Lyons et Alexander, 2000; Miller et Shanks, 1996; Wattenberg, 2007), la Grande-Bretagne (Clarke et coll., 2004) et la Finlande (Wass, 2007). Ceci implique que les causes de la non-participation électorale des jeunes ne sont pas propres au contexte canadien. Nous devons donc chercher des explications qui pourraient s'appliquer à de nombreux autres pays.

Comme l'a souligné Franklin (2004), la participation peut augmenter ou diminuer au fil du temps, que ce soit parce que les citoyens changent, parce que le contexte électoral évolue, ou pour ces deux raisons. On pourrait donc commencer par se demander si la diminution de la participation électorale des jeunes peut être attribuable à des changements au sein du contexte électoral.

Le plus important changement qu'a connu le contexte électoral canadien est le passage d'un système où l'on trouvait deux grands partis, ainsi qu'un troisième parti de moindre importance (le Nouveau Parti démocratique), à un système multipartite dans lequel quatre partis sont représentés au Parlement et cinq partis reçoivent au moins 5 % des votes. Il est plutôt paradoxal de constater que le taux de participation a diminué au Canada au moment précis où les électeurs avaient un choix plus vaste. Cependant, il serait inexact de conclure qu'il existe un lien de cause à effet entre ces deux phénomènes. En effet, en Grande-Bretagne, le taux de participation a connu une diminution comparable alors que le régime des partis dans ce pays est demeuré le même.

Il semble aussi que le caractère compétitif du contexte électoral a une incidence sur la participation. Plus des élections sont compétitives, plus la motivation à voter est grande, et plus le taux de participation est élevé (Franklin, 2004). On s'est donc demandé si le caractère compétitif des élections avait diminué au fil du temps au Canada (et ailleurs). La réponse est non. En fait, on pourrait même dire que la marge avec laquelle un parti gagne des élections a légèrement diminué au fil du temps dans les principaux pays démocratiques (Franklin, 2004, p. 187). Au Canada, comme on le voit dans la figure 1, l'écart entre le parti gagnant et le second sur le plan du nombre de votes ne semble pas suivre de tendance claire. En fait, l'écart moyen au cours des quatre dernières élections (9,8 points) est légèrement inférieur à l'écart moyen pour les 17 élections qui ont eu lieu de 1945 à 1997 (12,2 points). S'il fallait déterminer une tendance, on pourrait dire que les élections sont aujourd'hui un peu plus compétitives.

Figure 1: Écart entre le gagnant et le second au élections de 1945 à 2008

Source : Les données proviennent des résultats officiels des élections.

Il se peut aussi que les élections aient perdu de leur sens au fil du temps. Cette hypothèse a été expliquée de deux façons. On a d'abord invoqué les répercussions de la mondialisation. Certains prétendent que, à mesure que l'économie se mondialise, les gouvernements nationaux perdent du pouvoir et deviennent plus ou moins utiles. Il est difficile d'évaluer cette hypothèse de façon rigoureuse, et la preuve empirique des répercussions de la mondialisation est loin d'être concluante (Boix, 1998). Récemment, Vowles (2008) s'est servi de données concernant 40 pays et 72 élections afin de déterminer si, dans les pays qui sont le mieux intégrés à l'économie mondiale, les gens sont plus portés à penser que les personnes au pouvoir ne peuvent jouer un grand rôle, et il n'a découvert aucune relation de ce type. Il se peut toutefois qu'une telle relation puisse apparaître si l'on ne tient compte que des jeunes. Cela exigerait de faire des recherches plus poussées.

Il est également possible que les élections aient perdu de leur importance parce que ce qui distingue les partis disparaît au fil du temps. On a beaucoup parlé, entre autres, d'un nouveau rapprochement entre la gauche et la droite (voir Noël et Thérien, 2008, chapitre 7). Malgré tout, des « études systématiques portant sur les programmes de partis de pays démocratiques occidentaux entre la Seconde Guerre mondiale et la fin du 20e siècle ont révélé que la division gauche-droite demeure remarquablement stable au fil du temps et dans l'espace [traduction] » (Noël et Thérien, 2008, p. 196). Il est particulièrement difficile de conclure que les écarts partisans ont diminué au Canada, puisque le système canadien de partis a été décrit, dans les années 60 et 70, comme un système fondé sur une politique pragmatique de médiation (Carty et coll., 2000) et que les nouveaux partis qui ont fait leur apparition depuis, le Bloc Québécois et le Parti réformiste dans les années 90 et le Parti Vert, plus récemment, pourraient difficilement être qualifiés de « centristes ».

Autre possibilité : la diminution de la participation pourrait s'expliquer en partie par le fait que les campagnes électorales ne se déroulent plus de la même façon. Certaines études ont révélé que la sollicitation traditionnelle par le porte-à-porte a une grande incidence sur le taux de participation (Carty et Eagles, 2006; Green et coll., 2003; Pattie et coll., 1994). Il semble, de toute évidence, qu'il soit de moins en moins fréquent que les candidats entrent directement en contact avec les électeurs puisque les partis s'adressent surtout aux médias (Denver et coll., 2003). Ce changement a pu entraîner une diminution de la participation, mais on ne sait pas exactement pourquoi il affecterait davantage les jeunes que les personnes plus âgées.

Dans le même ordre d'idées, la diminution de la participation est peut-être accentuée par le caractère négatif croissant des campagnes électorales. Cependant, encore une fois, il s'agit d'une hypothèse douteuse. D'une part, aucune étude n'aurait documenté cette tendance négative de façon rigoureuse. D'autre part, il est important de souligner que le lien entre les campagnes négatives et une faible participation est loin d'être évident (pour des conclusions et des constatations contradictoires, voir Ansolabehere et coll., 1999; Geer, 2006; Lau et Pomper, 2001). Enfin, même s'il existait bel et bien un lien, il faudrait expliquer pourquoi des publicités négatives semblent réduire la participation seulement chez les jeunes.

Il n'y a donc aucune donnée permettant de conclure que la diminution de la participation chez les jeunes est attribuable à une évolution du contexte électoral. L'explication la plus plausible est donc celle selon laquelle la diminution de la participation chez les jeunes est attribuable à des changements qui touchent les jeunes citoyens. Il s'agit, évidemment, de déterminer les changements spécifiques qui ont entraîné une diminution de la participation. Il y a, encore une fois, deux possibilités : des changements sociodémographiques ou des changements d'attitude.

La première possibilité est liée à des changements dans le cycle de vie. Nous savons depuis longtemps que le taux de participation augmente à mesure que les gens vieillissent (Wolfinger et Rosenstone, 1980). Selon l'interprétation habituelle, quand les gens se marient, ont des enfants, achètent une maison et s'établissent au sein d'une collectivité, ils sont plus susceptibles de voter. Les gens sont davantage intégrés au sein de leur milieu, ils sont plus susceptibles de faire partie de groupes, et ils vont plus ou moins naturellement voter lors d'élections. C'était le cas dans les années 60 et 70, et c'est toujours le cas aujourd'hui (voir Goerres, 2007). Ce qui a changé, cependant, c'est que l'écart entre les jeunes et leurs aînés est plus important. Il se peut que les gens aient aujourd'hui besoin de plus de temps pour atteindre une certaine « maturité ». Les gens se marient, ont des enfants et achètent une maison à un âge plus avancé, ce qui signifie qu'il leur faut plus de temps pour s'engager dans leur milieu. Cette conclusion signifie que nous ne devrions pas trop nous inquiéter de la diminution récente de la participation chez les jeunes puisque ceux-ci finiront bien par se rattrapernote 19.

L'hypothèse de l'« arrivée tardive à la maturité » a fait l'objet de très peu d'examens systématiques. Smets (2010) a validé cette hypothèse dans le cas de la Grande-Bretagne, où la participation a aussi connu une grande diminution. Selon ses constatations préliminaires, une bonne partie de la diminution du taux de participation chez les jeunes de moins de 30 ans est attribuable au fait qu'ils se marient moins jeunes qu'avant, et qu'ils sont moins susceptibles de posséder une maison et d'habiter au même endroit pendant longtemps. Fait important, Smits a constaté que la participation à des services religieux, l'intérêt pour la politique et le degré d'identité partisane permettent de prédire la participation électorale. Selon nous, aucune étude semblable n'a été effectuée à l'aide de données sur le Canada. C'est une piste de recherche prometteuse pour l'avenir, particulièrement pour l'étude des répercussions de la mobilité.

Il se peut aussi que les cohortes plus jeunes aient des valeurs, des comportements et des perceptions différents. Trois hypothèses précises ont été formulées dans les recherches. On propose, d'abord, l'explication selon laquelle les cohortes récentes sont moins susceptibles de développer un sentiment d'appartenance à l'un ou l'autre des partis. Comme les jeunes n'ont pas tendance à s'identifier à un parti, ils n'ont pas de préférence claire pour l'un ou l'autre des partis et leur motivation pour voter est plus faible. Certaines données prouvent que de moins en moins de gens sont fidèles à un parti, surtout chez les jeunes citoyens (Dalton et Wattenberg, 2000), et que cette réalité a joué un rôle dans la diminution de la participation aux élections (Miller et Shanks, 1996). Nous n'avons entendu parler d'aucune étude systématique à ce sujet au Canada. Il s'agit, de toute évidence, d'une question qui mériterait une recherche plus poussée.

Selon une autre hypothèse, les jeunes générations seraient moins portées que les générations précédentes à considérer le vote comme un devoir civique. Des éléments de preuve circonstanciels viendraient appuyer cette hypothèse. Blais et coll. (2004) et Wass (2007) ont prouvé que l'écart de participation entre les jeunes et les gens plus âgés peut être attribuable à un sens du devoir civique plus faible chez les jeunes. Nous n'avons toutefois malheureusement pas de données longitudinales qui nous permettraient de déterminer si ce sens du devoir est bel et bien plus faible chez les jeunes d'aujourd'hui que chez les jeunes d'autrefois.

Il est possible également que la nature changeante de l'information politique, tant dans la façon de la communiquer que dans la façon de l'obtenir, engendre une génération de citoyens qui sont socialisés politiquement d'une manière différente des générations précédentes (Milner, 2010). Combiné à un niveau inférieur « d'alphabétisme civique », ce facteur pourrait entraîner une baisse des taux de participation électorale.

Enfin, Dalton (2007) a formulé une hypothèse selon laquelle les jeunes abandonneraient graduellement la politique électorale parce qu'ils s'intéressent davantage à des formes plus directes de participation politique, comme les manifestations. Cette interprétation a certainement un fond de vérité puisqu'il est vrai que les générations récentes sont plus portées que les générations précédentes à descendre dans la rue (Dalton, 2007). On ne sait toutefois pas clairement s'il existe un lien de cause à effet entre les deux tendances. Comme nous l'avons mentionné ci-dessus, les jeunes qui participent à des activités politiques autres que les élections sont également plus susceptibles que les autres de voter (voir aussi Teorell et coll., 2007; Verba et coll., 1995).


Note 19 Ils risquent cependant de ne pas se rattraper s'ils prennent l'habitude de ne pas voter (Franklin, 2004; Plutzer, 2002).