open Menu secondaire

Une analyse comparative du vote électronique


Partie VI : Considérations générales pour le Canada

Comme nous l'avons dit précédemment, bien qu'on puisse tirer des leçons des essais réalisés à l'étranger, l'élaboration d'un système de vote par Internet à distance au Canada doit tenir compte des particularités du contexte canadien. La présente rubrique aborde certains facteurs qui pourront être considérés lors de la conception d'un modèle pour le Canada.

Un compromis entre l'accessibilité et la sécurité

La possibilité de voter à distance est la solution la plus susceptible d'accroître l'accessibilité et le taux de participation. Toutefois, le personnel électoral n'exerce que peu de contrôle sur cette méthode de vote. Dans le cadre de la sélection d'une méthode de vote, évaluer les options de vote par Internet présentées dans le tableau qui suit (Tableau 1) s'avérera profitable, si l'on considère que l'exercice d'un contrôle direct sera compromis en faveur d'un meilleur accès au processus électoral. Cela étant dit, une perte de contrôle direct ne signifie pas nécessairement une augmentation inacceptable des risques liés à la sécurité. Des essais ont démontré que les difficultés techniques étaient associées aux postes Internet installés dans les bureaux de scrutin ou aux bornes interactives plutôt qu'au vote à distance par Internet en tant que tel. Ce dernier promet d'être des plus profitables pour les électeurs, eu égard à l'accessibilité accrue et à l'atténuation des risques liés à la sécurité, en supposant que des mesures de protection appropriées soient mises en place. Ces avantages devront néanmoins être soupesés par rapport à l'incidence du contrôle limité sur l'administration des élections et le processus électoral en général.

Tableau 1: Types de scrutin par Internet

Description texte pour le tableau 1 est disponible sur une page séparée.



Accès Internet

Si l'un des objectifs premiers du vote à distance par Internet est d'accroître l'accessibilité du processus électoral, cette méthode de vote exige qu'une proportion considérable de la population possède un ordinateur et une connexion Internet. Dans le cas des projets pilotes de vote à distance par Internet abordés précédemment, les gouvernements croyaient que les taux d'accès à Internet à l'échelle nationale étaient suffisamment élevés pour assurer la réussite de l'initiative (bien qu'Halifax ait choisi d'offrir conjointement le vote par téléphone). Des données indiquent que, dans l'ensemble, le Canada se compare aux autres pays au chapitre de l'accès à Internet47. Le nombre de ménages canadiens possédant un ordinateur personnel et une connexion Internet est en fait plus élevé que dans les pays européens mentionnés dans le présent document.

Par contre, l'accès à Internet varie d'une région à l'autre du pays. Dans les régions rurales et le Nord, par exemple, l'accès peut être limité. La superficie et la diversité du pays exigeront peut-être une approche plurielle, selon laquelle la méthode de vote traditionnelle par bulletin, le vote à des bornes interactives ou le vote par téléphone pourront convenir davantage à certains secteurs où l'accès à Internet est moins répandu. Les essais qui permettront d'évaluer ces diverses méthodes devront en outre tenir compte de ce facteur.

Tableau 2 : Ménages possédant un ordinateur personnel

Tableau 2 : Ménages possédant un ordinateur personnel

Description texte pour le tableau 2 est disponible sur une page séparée.

 

Tableau 3 : Ménages ayant accès à Internet

Tableau 3 : Ménages ayant accès à Internet

Description texte pour le tableau 3 est disponible sur une page séparée.

Haut de la page

Participation électorale

Les retombées éventuelles du vote électronique sur la participation électorale étaient l'une des principales motivations des municipalités européennes et canadiennes ayant mis à l'essai des méthodes de vote électronique. Bien qu'on puisse difficilement généraliser à partir de ces exemples, les essais réalisés jusqu'à maintenant dans les municipalités canadiennes ont permis de constater une augmentation du taux de participation lorsque des services de vote électronique étaient offerts. Par exemple, dans les cas de Markham et de Peterborough, même si le vote à distance par Internet n'était offert que pour le vote par anticipation, les taux de participation enregistrés lors de ces élections ont connu une forte augmentation par rapport aux élections précédentes qui ne reposaient que sur les méthodes de vote traditionnelles. Les autorités d'Halifax, de Markham, de l'Estonie et de Genève ont toutes observé des hausses importantes lors du deuxième scrutin officiel où il était possible de voter par Internet. De plus, en Estonie et à Genève (les seules instances ayant offert le vote par Internet dans le cadre de trois élections), le taux de participation a de nouveau grimpé lors du troisième scrutin. Il semble donc que, lorsque les électeurs ont la possibilité de voter par Internet, ils sont de plus en plus nombreux à le faire d'une élection à l'autre. Il demeure toutefois difficile de déterminer si le vote par Internet peut entraîner une augmentation globale du taux de participation électorale.

Les coûts électoraux

Les coûts électoraux sont déterminants dans l'administration des élections. Les méthodes de vote électronique peuvent être plus onéreux au début que les traditionnels bulletins de vote, mais bon nombre de fournisseurs de services de vote électronique affirment que les administrations ayant recours à leur service économiseront à long terme des sommes importantes. Au Canada, par exemple, le coût des élections fédérales de 2008 était d'environ 10 $ par électeur admissible48. Ce montant couvrait les dépenses relatives à l'impression des bulletins de vote, au recrutement de personnel pour les bureaux de scrutin et au paiement d'autres frais généraux liés à la tenue d'élections. De manière générale, le coût d'une élection provinciale peut varier entre 7 $ et 9 $ par électeur admissible, alors qu'il est de 4 $ à 6 $ pour une élection municipale. Si l'aménagement, l'entretien et l'entreposage de postes de vote par Internet aux bureaux de scrutin et de bornes interactives peuvent exiger d'importantes dépenses, les coûts associés à la tenue d'élections par Internet et par téléphone à distance sont infiniment plus bas. Ces coûts peuvent varier en fonction du fournisseur de services, mais la moyenne mondiale est d'environ 2 $49 par électeur, plus les frais associés à l'envoi de documents par l'organisme électoral (numéros d'identification personnels et autres renseignements indispensables). Ce montant couvre l'ensemble des activités mises en œuvre lors d'une élection par voie électronique (la prestation de services comme des centres d'appels pour répondre aux questions des électeurs, un système de nomination de représentants de candidats, et toute autre procédure exigée par le personnel électoral) (Smith, 26 août 2009).

Au début, les dépenses associées au vote électronique s'ajouteront aux frais afférents aux élections par bulletin de vote. De plus, des dépenses publicitaires devront être engagées afin d'informer le public sur le fonctionnement du système électronique. Par contre, plus les méthodes de vote électronique gagneront en popularité, plus les coûts associés aux procédures électorales traditionnelles pourront être réduits, ce qui garantira finalement des élections plus rentables. Enfin, il est impossible d'établir des estimations de coûts précises à l'avance.

Portée juridique

Au Canada, les municipalités peuvent adopter des règlements autorisant le recours à d'autres méthodes de vote. En cas de conflit entre un règlement municipal et une autre loi, le règlement municipal prévaut. Aux niveaux fédéral et provincial, le gouvernement doit déléguer aux directeurs généraux des élections des provinces le pouvoir de mettre diverses méthodes de vote à l'essai. Au fédéral, par exemple, l'article 18.1 de la Loi électorale du Canada (introduite par le projet de loi C-2 et sanctionnée le 31 mai 2000) autorise le directeur général des élections à faire l'essai d'autres méthodes de vote, dont les méthodes électroniques, ou à mener des études en ce sens. Cependant, avant de mettre en œuvre de telles méthodes dans le cadre d'élections officielles, la méthode ou le système en question doit être approuvé par des comités des Communes et du Sénat.

De plus, la mise en œuvre du vote électronique peut exiger l'adoption ou la modification d'une loi afin d'autoriser le recours à une telle méthode, surtout si elle est appelée à faire partie intégrante du processus électoral. Le libellé peut donner une certaine marge de manœuvre permettant l'inclusion de diverses méthodes de rechange, ou il peut encore être très précis en nommant les méthodes particulières envisagées, comme le vote à distance par Internet et le vote par téléphone. Cela dépend de la volonté du Parlement de se donner ou non le pouvoir d'approuver des méthodes particulières pouvant être utilisées à l'avenir. L'approbation officielle du vote électronique devrait être assortie de politiques et de procédures électorales qui établissent les règles et les lignes directrices expliquant les diverses composantes d'une élection. Trois questions devant absolument être abordées, le cas échéant, sont le format du bulletin de vote50, le mécanisme de dépouillement et le processus de contestation des votes (Smith, 26 août 2009). Parmi les autres questions à aborder, notons entre autres celles qui se rapportent à la compétence, aux définitions, au secret du vote, à la liste électorale, à l'admissibilité à voter, au processus de vote, au système de vote électronique, aux représentants des candidats, aux résultats, aux procédures de dépouillement judiciaire, aux urgences, aux rapports financiers des candidats ainsi qu'à divers autres aspects du processus électoral (Intelivote, 2009).

Incidences de la structure fédérale

L'expérience européenne indique qu'une approche progressive comportant l'introduction de seulement une ou deux options électroniques (Internet) à la fois, qui s'inscrit dans un programme bien conçu, augmente les chances de succès. Si les bureaux des élections fédéral, provinciaux et municipaux introduisaient simultanément leurs propres options de vote par Internet ou à distance, reposant sur des approches et des technologies différentes, les électeurs pourraient être confus. Un processus consultatif ouvert entre les diverses administrations canadiennes contribuerait à réduire les risques inhérents à une telle situation.

Logiciels

Le choix d'un logiciel de vote par Internet comporte deux options : les logiciels privés et les logiciels libres. Ce qui les distingue avant tout, ce sont les droits de propriété et la propriété intellectuelle. Les entreprises qui fournissent des logiciels privés ont un droit de propriété, à moins d'indication contraire, et on ne peut se servir de ces logiciels qu'en achetant une licence. Les logiciels libres ont aussi une licence, mais celle-ci a pour but d'en protéger le libre usage et ses utilisateurs (Gallagher, 2 octobre 2009).

Jusqu'à maintenant, tous les projets de vote par Internet, à l'exception du projet Australian Capital Territory, ont été menés à l'aide de logiciels privés. À Genève, en particulier, on a chaudement débattu de la question, puis on a tenu un référendum pour déterminer quel type de logiciel utiliser. À la fin, on a résolu qu'un logiciel privé inspirerait une plus grande confiance. Fait intéressant à noter, bon nombre d'universitaires américains connus (particulièrement Alvarez et Hall, 2004 et 2008) prônent le recours aux logiciels libres, même si les É.-U. n'ont pas encore fait l'essai du vote à distance par Internet. Une des principales critiques du projet de vote aux postes Internet en Irlande était le manque de transparence quant au code source, parce qu'il n'était pas ouvert. La Commission on Electronic Voting a recommandé de ne considérer que les logiciels libres dans le cadre des examens futurs de méthodes de vote électronique (Interim Report of the Commission on Electronic Voting, 2006). Compte tenu de ces vues divergentes, les organismes électoraux canadiens doivent être au courant des opinions exprimées en ce sens et soupeser l'une et l'autre avant de mettre au point un modèle devant servir dans une élection.

En ce qui concerne la scène canadienne locale, aucune municipalité n'a choisi de fournisseur de logiciel libre pour le vote électronique, pour des raisons pratiques et parce qu'elles n'avaient que peu ou pas d'argent dans leur budget de recherche. De plus, aucune entreprise canadienne n'offre de programmes de code source ouvert pour la tenue d'élections. Les municipalités ont donc trouvé plus facile et plus pratique de choisir une entreprise qui offre un programme et qui en a déjà fait la mise en œuvre dans d'autres administrations à des fins électorales.

Il y a plusieurs avantages importants à utiliser un logiciel libre. Pour commencer, le langage du programme informatique est transparent et peut être révisé n'importe où et par n'importe quel pair. On croit souvent à tort qu'un logiciel de code source fermé est plus sûr, parce qu'on suppose que « l'obscurité », plutôt que la conception, est gage de sécurité (Gallagher, 2 octobre 2009). La conception de machines à voter sur Internet ayant recours à des codes sources ouverts dans la région de la capitale australienne est un exemple pratique des avantages de la transparence offerte par les logiciels libres. Un universitaire local a déjà décelé une erreur de code, qui même si elle n'entraînait pas de problème fonctionnel ou de sécurité, n'en était pas moins une grave lacune. Si ce code n'avait pas été soumis à l'analyse publique, la lacune en question n'aurait peut-être jamais été détectée (Zetter, 2003). Certaines entreprises offrant des logiciels privés permettent parfois que ceux-ci soient examinés par des pairs à condition que ces derniers signent une entente de non-divulgation, mais cela n'est pas toujours le cas.

Plus encore, lorsqu'on utilise un logiciel privé, il faut acquitter des frais pour chaque utilisation et se fier au fournisseur pour les mises à jour. Il n'en est pas ainsi dans le cas des logiciels libres, parce que les droits peuvent être la propriété de l'acheteur. Ces logiciels permettent aussi de prendre une plus grande part dans l'élaboration du produit et offrent un meilleur contrôle sur la conception des éléments souhaités (Gallagher, 2 octobre 2009). Finalement, la nature ouverte du code fait que le modèle peut être reproduit et utilisé par d'autres. Si le Canada optait pour un tel modèle, d'autres gouvernements pourraient l'emprunter à titre de « modèle idéal » pour le vote sur Internet, même si personne ne peut en changer le cadre. En ce sens, un logiciel libre serait l'occasion pour d'autres d'emboîter le pas et d'apprendre directement de l'expérience canadienne.

Autres répercussions sur le processus électoral

L'émergence du vote par Internet au Canada n'aurait pas des répercussions que sur le choix des électeurs et leur façon de voter, mais aussi sur d'autres aspects du processus électoral, dont la nature même des campagnes électorales. La mise en œuvre et la popularité du vote par Internet auraient une grande incidence sur la campagne et la prévisibilité des élections, de même que sur la manière des partis et des candidats de mobiliser l'électorat. À Markham, par exemple, les autorités ont fait remarquer entre autres que le vote en ligne changeait la façon de faire campagne des candidats. En faisant leurs tournées, certains tombaient sur des électeurs qui avaient déjà voté. Un grand nombre d'électeurs votant à l'avance grâce à la commodité d'Internet signifie qu'il y en a moins à mobiliser le jour même du scrutin. De plus, des candidats d'Halifax ont été en mesure de rester en contact avec leurs partisans à des étapes précises de la campagne grâce à un module leur étant réservé sur Internet. Ils ont ainsi pu produire divers types de listes, comme une liste d'indécis ou une liste par secteur (p. ex. par rue), qui leur ont beaucoup servi dans leurs exercices de mobilisation. La fonction traditionnelle de représentant de candidat s'est également avérée moins indispensable parce que les candidats pouvaient suivre la participation en ligne. En plus de ces quelques exemples, l'élargissement du vote par Internet pourrait avoir plusieurs autres effets sur les campagnes électorales, en particulier sur la mobilisation des électeurs.

Haut de la page

Étapes à franchir pour la mise en œuvre du vote électronique au Canada

Nous avons déjà évoqué dans ce rapport bon nombre des étapes nécessaires à la mise en œuvre du vote électronique sur Internet. On peut insister sur les huit étapes suivantes, même si elles n'ont pas à être suivies dans l'ordre.

Premièrement, il importe d'assurer l'accès. Il faut donc veiller à ce qu'un nombre suffisant de ménages disposent d'un ordinateur branché à Internet, tout en tenant compte des différences entre circonscriptions. L'égalité d'accès peut aussi exiger l'ajout de lieux de scrutin publics sur Internet ou une accessibilité accrue à d'autres méthodes de vote là où le revenu familial est moins élevé, ou dans les zones rurales où la connectivité peut poser problème.

Deuxièmement, il doit y avoir une culture qui soutienne l'initiative. Il faut à cet égard un engagement du gouvernement, des organismes électoraux, des partis politiques, des candidats et des électeurs. Pour assurer une mise en œuvre en douceur, toutes les parties touchées par le changement doivent montrer leur appui et les enjeux doivent être abordés.

Troisièmement, il faut un cadre juridique qui appuie l'utilisation et la mise en œuvre d'autres méthodes de vote électronique. Dans la plupart des cas, les essais canadiens ne pourront avoir lieu que si les parlementaires approuvent la méthode en question, et fort probablement des mesures juridiques supplémentaires si on souhaite que la méthode fasse partie intégrante du processus électoral canadien.

Quatrièmement, il faut absolument procéder à des recherches et à une évaluation approfondies des mises à l'essai et des tests menés dans d'autres administrations, ainsi qu'à une analyse des résultats. Il serait utile de poursuivre l'étude des cas abordés dans ce rapport pour déceler les caractéristiques particulières des meilleures méthodes, qui pourraient servir à élaborer un modèle au Canada.

Cinquièmement, il importe d'avoir une idée nette des repères et des exigences d'une nouvelle méthode de vote, particulièrement en ce qui concerne les attentes, parce qu'il en ressortira un cadre de travail qui permettra de trouver la méthode de vote électronique ou par Internet qui conviendra le mieux au processus électoral canadien.

Sixièmement, il semble important de se doter d'une campagne de promotion et d'information non seulement pour le lancement, mais pour le maintien fructueux d'une méthode de vote par Internet. En plus d'informer les électeurs sur les diverses méthodes de vote, on pourrait inclure de l'information sur l'importance du vote ou sur d'autres questions relatives aux candidats et à leurs programmes électoraux.

Septièmement, des tests pratiques et progressifs semblent essentiels. Par des mises à l'essai progressives, on entend une introduction du vote par Internet dans des élections consécutives, où le nombre d'électeurs visés augmenterait d'une fois à l'autre, ainsi que l'importance perçue de l'élection.

Enfin, on recommande une évaluation appropriée des projets pilotes pour savoir si la méthode employée répond aux objectifs et si toutes les parties prenantes sont satisfaites du changement et de ses répercussions. Il faudra donc sonder les partis politiques, les candidats, les autorités électorales et les électeurs.

Haut de la page


47 Les données canadiennes de 2007 se fondent sur celles de 2008, car aucune donnée n'était disponible pour 2007. Les données de 2008 proviennent du Sondage des électeurs à la suite de la 40e élection générale.
48 En fait, le coût était de 13 $ par électeur admissible, mais les trois dollars supplémentaires servaient à rembourser les frais de campagne électorale engagés par les partis politiques (Smith, 26 août 2009).
49 L'estimation se base sur le vote à distance par Internet et par téléphone, et non sur les postes de vote électronique et les bornes.
50 On entend par cette expression ce à quoi ressemble un bulletin de vote, c.-à-d. l'ordre de présentation des candidats, etc.