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Une analyse comparative du vote électronique


Partie I : Méthodologie et justification des cas examinés

Ce rapport est fondé sur des documents gouvernementaux, des ouvrages et des articles universitaires, des articles de journaux et de magazines, des entrevues et des communications personnelles, ainsi que des données de sondage, selon leur disponibilité et leur pertinence. En plus d'examiner la littérature théorique sur le vote électronique à distance, le rapport examine aussi de près les essais municipaux canadiens menés à Markham, Peterborough et Halifax, ainsi que les essais européens menés à divers paliers en Estonie, à Genève et au Royaume-Uni. Au Canada, tous les essais ont été entrepris et gérés par les municipalités. Les projets européens, quant à eux, ont tous été lancés et gérés par les gouvernements nationaux, bien que les instances locales y aient participé. En raison de leurs différences d'envergure, de contexte et d'enjeux, les essais canadiens et européens sont examinés séparément, même s'ils se rejoignent sur certains points.

Bien que ce rapport porte principalement sur des expériences canadiennes et européennes, il convient d'examiner d'abord la situation aux États-Unis. Le vote par Internet, quoiqu'amplement discuté, n'a pas encore été mis en œuvre dans des élections américaines régulières. De plus, le débat sur le vote par Internet aux États-Unis est considéré comme de faible niveau à cause d'un manque de recherche (Alvarez et Hall, 2004). La discussion s'est surtout concentrée sur les exigences techniques du vote par Internet et n'a pas mené à la réalisation d'un projet concret dans ce domaine. Selon certains, plusieurs des problèmes survenus lors des essais sont attribuables à une insuffisance de tests préalables (Alvarez et Hall, 2004).

Beaucoup de recherche et de petits projets d'essai de vote par Internet ont été réalisés aux États-Unis, notamment un vote d'essai en janvier 2000 parmi les membres du Parti républicain en Alaska, les primaires du Parti démocrate en Arizona en mars 2000, un projet expérimental (Voting Over the Internet Pilot Project) mené dans le cadre du Federal Voting Assistance Program (FVAP) à l'occasion des élections présidentielles de 2000, et le vote des membres du Parti démocrate au Michigan en 2004. Cependant, un projet de plus grande envergure n'a jamais été lancé à cause du climat d'appréhension entourant la sécurité du vote par Internet (Alvarez et Hall, 2004; Alvarez et Hall, 2008; Mohen et Glidden, 2001). De plus, les recommandations des grands rapports américains sur les élections, le rapport du groupe de travail californien sur le vote par Internet (California Internet Voting Task Force), le rapport de l'atelier national américain sur le vote par Internet (National Workshop of Internet Voting) et le rapport du projet sur la technologie du scrutin de la Caltech/MIT (Caltech/MIT Voting Technology Project) formulent tous des mises en garde contre le vote par Internet, compte tenu de la perception de risque associée à l'Internet – notamment le risque de fraude, d'achat de votes, de coercition d'électeurs, de problèmes de sécurité et de cyberattaques (Alvarez et Hall, 2004). Ces rapports renforcent les inquiétudes en matière de sécurité et découragent la poursuite d'essais ou projets dans ce domaine.

Tous les projets de vote à distance par Internet lancés aux États-Unis ont fini par être annulés au stade de la planification. Le projet de l'an 2000 en Californie en est un exemple important. La Californie était jugée idéale pour le vote par Internet parce que l'État possède un taux élevé d'accès Internet (comparativement à la moyenne nationale), une abondance de commerces liés à l'Internet et, selon les sondages, une population généralement favorable au vote par Internet. Avant la mise en œuvre, cependant, le gouvernement californien a adopté un projet de loi, The Digital Electoral System Act, obligeant l'État de la Californie à mettre sur pied un groupe de travail pour étudier la faisabilité des méthodes de vote technologique (Alvarez et Hall, 2004). Le rapport final du groupe de travail a conclu que le vote par Internet ne pouvait pas remplacer le bulletin de vote en papier pour diverses raisons de sécurité (reliées notamment à la sécurité informatique et à l'identification des électeurs) et a fait deux grandes recommandations : (1) que, pour le moment, le vote par Internet soit uniquement testé dans le cadre du vote des électeurs absents; et (2) que la mise en œuvre se fasse de façon très graduelle à travers l'État, après d'abondantes recherches supplémentaires. Dans l'ensemble, les résultats du rapport sur le vote par Internet étaient très peu déterminants et toute recommandation de mise en œuvre était formulée sur le ton de la prudence (Alvarez et Hall, 2004; Bill Jones, secrétaire d'État de la Californie, 2000).

Lancée par le département de la Défense, la Secure Electronic Registration and Voting Experiment (SERVE), un prolongement du FVAP, a été la seule grande initiative dans ce domaine. Cette initiative visait à tester le vote par Internet comme solution de rechange au processus traditionnel de scrutin pour électeurs absents et s'adressait aux militaires et à leurs personnes à charge, ainsi qu'aux citoyens à l'étranger. Plus de six millions de citoyens remplissaient les conditions de participation au programme, mais il a été décidé de l'utiliser pour seulement 100 000 personnes lors des élections primaires et des élections générales de 2004 afin de permettre une quantité adéquate de tests et d'évaluations. Mais, même réduit à cette échelle, le projet a fini par être annulé, car une petite partie de la communauté scientifique s'y opposait. Ce n'est pas la conception ni la structure du système SERVE qui a mené à son annulation, mais plutôt les inquiétudes entourant le réseau Internet lui-même, et l'idée que les transactions effectuées par Internet ne sont pas sûres et sont considérées comme vulnérables à des infiltrations du réseau. Comme certains l'ont noté, le rapport qui soulevait ces problèmes omettait de mentionner que les risques associés au vote par Internet étaient analogues aux risques liés au processus traditionnel de vote d'électeurs absents, comme la vente ou l'achat de votes, la coercition et les actes de perturbation, qui existent quand même sans Internet (Alvarez et Hall, 2008).

D'autres grands projets américains de recherche, comme le National Workshop on Internet Voting et le Caltech/MIT Voting Project, ont présenté le vote à distance par Internet sous une lumière négative et ont contribué à renforcer les craintes à ce sujet (Internet Policy Institute, 2001; Caltech/MIT Voting Project Report, 2001). Si ces rapports reconnaissent que l'Internet pourrait augmenter l'accès au scrutin pour certains groupes d'électeurs, ils concluent néanmoins que les systèmes présentent des « risques considérables » : attaques potentielles à l'ordinateur de l'électeur, au serveur ou au réseau et problèmes d'authentification et de secret du vote. Ils concluent que le vote par Internet ne devrait pas être déployé à grande échelle (Alvarez et Hall, 2004:23). Aux États-Unis, en somme, la culture d'incertitude entourant la notion du vote par Internet a empêché la réalisation de recherches et d'essais sérieux.

L'Europe, en revanche, s'est avérée être un terreau fertile de projets de vote par Internet et peut être considérée comme à l'avant-garde mondiale dans ce domaine. Les différences importantes entre les États-Unis et l'Europe à cet égard sont bien expliquées par Alvarez et Hall dans leur dernier ouvrage, Electronic Elections (2008), sur l'évolution du vote électronique aux États-Unis :

Au moment de la parution de Point, Click, and Vote: The Future of Internet Voting en janvier 2004, nous étions loin de nous douter que c'est en Europe qu'il aurait fallu publier le livre, et non aux États-Unis. Le plan d'application proposé dans le livre a bel et bien été mis en œuvre, mais pas aux États-Unis. C'est dans des pays comme l'Estonie, la Suisse, les Pays-Bas et la France que l'on conduit des expériences de vote électronique(71). [traduction]

Les préoccupations soulevées dans la littérature américaine sont importantes, mais elles sont prises en compte dans les essais de vote par Internet au Canada et en Europe. Par ailleurs, les problèmes potentiels sont examinés dans le cadre d'exemples et de projets pilotes réels, plutôt que dans le cadre de discussions théoriques. Le reste de ce rapport se concentre donc sur les expériences canadiennes et européennes.

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Qu'est-ce que le vote électronique et le vote par Internet? Quels types de vote analysons-nous dans ce rapport et pourquoi traitons-nous surtout du vote à distance par Internet?

L'expression vote électronique est un terme général désignant une multitude de méthodes de vote faisant appel à la technologie électronique. Il existe trois principaux types de vote électronique : le vote par machine de dépouillement, le vote par ordinateur et le vote par Internet (ou vote en ligne)1. En ce qui concerne le dernier, il existe quatre types de vote électronique intégrés à l'Internet : le vote par borne électronique, le vote par Internet à un bureau de scrutin, le vote par Internet de circonscription et le vote à distance par Internet (Alvarez et Hall, 2004). Le vote par borne électronique se fait normalement à l'aide d'un ordinateur dans un lieu contrôlé par des fonctionnaires électoraux; ce processus diffère du vote par machine de dépouillement notamment par le fait que le vote s'effectue sur Internet. Le vote par Internet à un bureau de scrutin se fait à n'importe quel bureau de scrutin à l'aide d'un ordinateur contrôlé par des administrateurs électoraux. Le vote par Internet de circonscription est semblable au vote à un bureau de scrutin, sauf que l'électeur doit se rendre au bureau de scrutin auquel il est officiellement rattaché dans sa circonscription (Alvarez et Hall, 2004). Le vote à distance par Internet permet à l'électeur de voter de chez lui ou de n'importe quel autre endroit ayant un accès Internet.

La partie suivante discute des avantages et des risques associés au vote par Internet en général, et plus particulièrement au vote à distance par Internet. D'abord, dans la plus grande partie de la littérature sur le vote électronique, le terme « vote par Internet » est devenu synonyme de « vote à distance par Internet » (Mercurio, 2004). Ensuite, le vote à distance par Internet est le plus susceptible d'améliorer l'accès au processus électoral. Les machines de vote par Internet qui sont situées au bureau de scrutin ou à tout autre emplacement central exigent quand même le déplacement des électeurs. Bien qu'un endroit central comme un centre commercial ou un supermarché puisse être commode, ces solutions requièrent davantage d'efforts de la part des électeurs que de simplement voter à partir de chez eux ou du travail. Enfin, c'est le vote à distance par Internet qui reflète le mieux l'évolution des autres aspects politiques de la société qui ont changé avec la technologie. Bien que les bornes et les machines puissent être utiles, les gens réalisent désormais plus de transactions que jamais sur leur ordinateur personnel, et ce phénomène ne fera que s'amplifier dans la prochaine décennie.

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1Dans le vote par machine à dépouillement, les électeurs font un trou dans leur bulletin, qui est ensuite scanné puis compté par un ordinateur central. Le vote par ordinateur ou les machines de vote avec dépouillement électronique requièrent soit un clavier, un écran tactile, un stylo ou un curseur, ainsi qu'un terminal d'ordinateur. Les votes sont comptés immédiatement à mesure qu'ils sont exprimés (Parliamentary Office of Science and Technology, 2001).