La technologie et le processus de vote
II. Introduction
A. Notre mandat
Le présent rapport est le produit final d'une étude menée par KPMG et par Sussex Circle dans le cadre d'un contrat passé avec Élections Canada. Il s'agissait de cerner les forces et les facteurs qui transforment ou risquent de transformer le contexte dans lequel se tiennent les élections au Canada, notamment l'évolution des attitudes, des perceptions et des habitudes de vote de la population canadienne face aux progrès des technologies de l'information et des communications et aux occasions qu'elles présentent de faciliter l'accès des Canadiens et des Canadiennes au processus de vote.
Nous désirions étudier les questions associées au processus électoral sur lesquelles le Parlement devra se pencher au cours de la prochaine décennie, ainsi que les possibilités de favoriser l'accès au processus de vote grâce aux nouvelles technologies de vote.
On nous a demandé de désigner des solutions qui conduiraient à améliorer l'accès au vote proprement dit, plutôt que les étapes précédant ce geste, telles l'inscription des électeurs, ou celles y succédant, comme le dépouillement du scrutin. Même si nous avons traité des questions d'accessibilité susceptibles d'affecter la participation, nous n'avons pas abordé la question plus générale de la participation de l'électorat, pas plus que nous avons cherché à tirer de conclusions des attitudes des électeurs face au processus actuel de vote au Canada.
Au cours de l'étude, nous avons rédigé trois rapports d'étape. Le premier, Background Report and Workplan (Rapport de contexte et plan de travail), abordait la transformation des attitudes, des perceptions et des habitudes de vote de la population canadienne. Nous y discutions aussi de certaines recommandations récentes et de réforme concernant le processus de vote ainsi que des incidences générales des technologies de l'information et des communications sur la société et le gouvernement et, plus spécifiquement, sur le processus de vote. Le deuxième de ces rapports d'étape, Technology Progress Report (Rapport d'étape sur les technologies), constituait un survol des innovations technologiques présentement appliquées au processus de vote dans divers pays. Nous présentions une modélisation des étapes de base du processus de vote actuel, en cernant les technologies ou les catégories technologiques utilisées par différentes industries susceptibles d'être associées au processus de vote. Enfin, ce rapport se penchait sur des modèles de vote par téléphone ou par Internetnote 4. Le troisième de nos rapports d'étape, Technology Assessment Report (Rapport d'évaluation des technologies), comprenait d'autres analyses de modèles technologiques de vote, ainsi que des évaluations des systèmes d'administration, des régimes législatifs, de la culture politique et des questions de « processus de vote » que l'on pouvait associer à chacun de ces cas de figures. On y traitait également de consultations avec des dirigeants d'entreprises de haute technologie concernant les tendances dans ce domaine, des modèles détaillés de chacune des trois technologies de vote sélectionnées et des évaluations d'impact des technologies de vote sur différentes catégories d'électeurs. Ce rapport comprenait enfin une évaluation des modifications qu'il faudrait peut-être apporter à la Loi électorale du Canada dans le but d'autoriser des essais pilotes et une mise en œuvre intégrale des diverses formules de vote envisagées.
Le présent rapport rassemble les principales conclusions de nos rapports d'étape, ainsi que celles émanant de trois tables rondes où le Forum des politiques publiques avait convoqué divers intervenants, dont des députés, des sénateurs, des représentants de groupes d'électeurs directement intéressés à l'application de nouvelles technologies au processus électoral, ainsi que certains leaders d'opinion. On y trouvera également notre évaluation des conditions structurelles et administratives dont devrait s'assurer Élections Canada pour gérer efficacement les diverses technologies de vote.
Notre examen de l'expérience canadienne et internationale nous amène à conclure que le vote électronique en est encore à ses premiers balbutiements, tant au Canada que sur la scène internationale. Certaines technologies suscitent de plus en plus d'intérêt, et des gouvernements de tous les échelons sont de plus en plus disposés à en faire l'expérience. Mais il n'existe pas encore, à notre connaissance, de régime où les nouvelles technologies aient été largement intégrées à la boîte à outils du processus de vote.
Élections Canada a beaucoup travaillé à l'automatisation et à l'informatisation de ses méthodes de travail, dans le but d'ajouter à l'efficacité et à l'exactitude du processus électoral et de mieux servir ses clients. Ces innovations comprennent le Registre national des électeurs (une base de données permanente et informatisée mise à jour régulièrement qui vient remplacer le recensement et contribue à raccourcir le calendrier électoral), le Système de gestion des scrutins (qui lie par voie électronique tous les directeurs du scrutin au siège d'Élections Canada et qui facilite la transmission rapide et efficace des données électorales à l'organisme) et le site Web d'Élections Canada (qui fournit une mine d'information à la population canadienne, dont les résultats du vote le soir d'une élection).
Pour beaucoup de Canadiens et de Canadiennes, le geste de voter continuera dans un avenir prévisible à s'effectuer à la main, dans un bureau de scrutin situé dans une école ou une salle paroissiale et selon un modèle des plus familiers. Il n'en demeure pas moins que la technologie offre aujourd'hui à une proportion croissante de la population canadienne la possibilité de compléter ce système traditionnel par des façons de rendre le processus électoral plus accessible et plus efficace.
Le vote électronique est la prochaine étape naturelle dans l'introduction de nouvelles technologies et leur intégration au processus électoral. Notre étude des technologies et des attitudes de l'électorat nous a convaincus que les résistances à l'introduction des nouvelles technologies de vote sont moins grandes qu'on aurait pu le prévoir et que bon nombre de nos concitoyens sont intéressés à utiliser ces nouvelles technologies ou, du moins, à y avoir accès. Pour autant que l'intégrité du processus électoral soit respectée, nous percevons beaucoup d'excellentes raisons pour envisager d'éventuels projets pilotes d'application de ces technologies, dans le cadre des efforts continus du Parlement pour assurer à la population canadienne une administration électorale aussi équitable qu'accessible.
B. Contexte de la présente étude
1. Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis
La Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis a été mise sur pied en novembre 1989, avec le mandat d'enquêter et de faire rapport sur les principes et le processus devant régir l'élection des députés à la Chambre des communes et le financement des partis politiques et des campagnes menées par les candidats.
L'établissement de cette commission et le mandat qui lui était fixé répondaient en grande partie aux importants changements constitutionnels, sociaux et technologiques des dernières décennies, ainsi qu'à leur influence concomitante sur les attentes de la population canadienne à l'égard du processus politique lui-même. La Commission a affirmé qu'il ne suffisait pas de tenir pour acquis que le processus électoral canadien répondrait toujours aux normes d'un processus juste et démocratique ou que ce processus n'était pas susceptible d'améliorations; il était essentiel, a précisé la Commission, de faire valoir la légitimité du processus électoral et de l'administration fédérale dans son ensemblenote 5.
Dans le second volume de son rapport, intitulé Pour une démocratie électorale renouvelée, la Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis a présenté ses recommandations de réforme du processus de vote. La Commission avait pour objectif « d'assurer que personne ne soit privé du droit de vote pour des raisons d'ordre administratif »note 6. La Commission a également noté que, selon les recherches disponibles, les systèmes électoraux qui facilitent l'exercice du droit de vote par les électeurs bénéficient d'une participation au scrutin plus élevée.
Dans cet esprit, la principale recommandation de la Commission au sujet du processus de vote visait à étendre les Règles électorales spéciales à l'ensemble de la population canadienne, grâce à l'introduction du bulletin de vote spécial. La Commission a recommandé que ce bulletin desserve divers électeurs ayant des besoins spéciaux et fournisse une solution de rechange aux électeurs incapables de se rendre à un bureau de scrutin ordinaire ou spécial.
Au moment où la Commission a formulé cette recommandation, les Règles électorales spéciales étaient réservées aux militaires, à certains employés des Forces canadiennes et aux fonctionnaires en poste à l'étranger, ainsi qu'à leur conjoint et personnes à charge. Y avaient également accès les vétérans résidant dans certains hôpitaux et les membres des Forces canadiennes résidant au Canada. La Commission était d'avis que l'élargissement du vote par bulletin spécial offrirait plus de souplesse aux électeurs ne pouvant se rendre à un bureau de scrutin ordinaire.
Même si cette recommandation n'endosse pas directement le recours aux nouvelles technologies pour améliorer l'accessibilité du processus de vote, la justification présentée par la Commission jette un éclairage intéressant sur la proposition : « La Loi électorale du Canada ne doit pas empêcher l'utilisation de nouvelles techniques, au fur et à mesure de leur apparition, afin de permettre aux modalités de vote de rester conviviales et économiques. Mais on peut difficilement anticiper les prochaines découvertes dans ce domaine. La Loi doit maintenir l'intégrité du système électoral, mais elle ne devrait pas pour autant figer les modalités de vote en fonction des techniques actuelles.note 7»
Nous croyons que cette recommandation résume de façon assez éloquente le délicat équilibre qu'il est essentiel de maintenir lorsqu'on envisage l'introduction de nouvelles procédures de vote, y compris celles fondées sur de nouvelles technologies.
2. Les rapports de 1996 et de 1997 du directeur général des élections au Parlement
Dans son rapport au Parlement du 28 février 1996, suite à la 35e élection générale, le directeur général des élections (DGE) a fait écho à la recommandation formulée en 1991 par la Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis, selon laquelle la Loi électorale du Canada ne devait pas entraver une utilisation appropriée de solutions technologiques dans le processus électoral, à mesure que celles-ci devenaient disponibles. Le DGE réclama toute une gamme de modifications à Loi, dont une requête visant à obtenir l'autorisation de mettre à l'essai de nouvelles procédures électorales après consultation avec le comité de la Chambre des communes responsable des questions électorales. Le Parlement ne s'est pas encore penché sur cette recommandation.
Dans son rapport de 1997 au Parlement, après la 36e élection générale, le DGE fit valoir un certain nombre d'innovations à caractère technologique proposées au processus électoral dans le but de fournir à la population canadienne un service efficace et de haute qualité. La création du Registre national des électeurs était la plus marquante de ces innovations.
C. Méthode de la présente étude
Les auteurs de la présente étude désirent favoriser une meilleure compréhension des nouvelles technologies de vote et de leurs incidences sur l'administration du processus électoral, en tirant des leçons de trois sources documentaires :
- la recherche et les recommandations issues du Rapport de la Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis, publié en 1991;
- les diverses recommandations et initiatives élaborées par le DGE au cours des années récentes pour faciliter l'accès au processus de vote;
- un certain nombre d'études spécialisées, tant universitaires qu'internes à Élections Canada, qui traitent des diverses dimensions du dossier des technologies et de la démocratie électoralenote 8.
Le présent rapport a pour objet l'exploration des nouvelles technologies et des questions qui y sont associées, compte tenu de l'évolution des attitudes et des attentes de la population canadienne face au processus électoral et, notamment, au geste de voter. Nous y présentons nos conclusions quant à la viabilité des diverses technologies de base, en insistant sur les trois approches identifiées comme étant les plus appropriées et les plus prometteuses pour le Canada. Finalement, nous présentons une évaluation des incidences de l'adoption éventuelle de nouvelles technologies sur l'administration du processus électoral, à la lumière des 17 critères d'une bonne administration électorale qui sont énumérés à la section suivante du présent document.
Retour à la Note 4 Nous avons par la suite élaboré un troisième modèle de technologie de vote : celui des bornes interactives.
Retour à la Note 5 Pour une démocratie électorale renouvelée : rapport final de la Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis, vol. 1, 1991.
Retour à la Note 6 Ibid., vol. 2.
Retour à la Note 7 Ibid.
Retour à la Note 8 Ces études universitaires sont citées à plusieurs pages du présent rapport. Certaines données de l'Étude sur l'élection canadienne 1997 étaient les plus pertinentes pour notre travail. Nous sommes reconnaissants à Élections Canada de nous avoir donné accès à certains éléments de son travail. L'ensemble des résultats de cette étude demeurent confidentiels à ses auteurs jusqu'en juin 1998. Le projet, financé au premier titre par le Conseil de recherches en sciences humaines, a été coordonné par André Blais (Université de Montréal), Elisabeth Gidengil (Université McGill), Richard Nadeau (Université de Montréal) et Neil Nevitte (Universiy of Toronto). Nous avons également trouvé particulièrement utile une étude réalisée à l'interne pour Élections Canada par Christa Scholtz en 1997 et qui portait sur l'état actuel des processus de vote électronique. Voir Christa Scholtz, Electronic Voting: Preliminary Research and Recommendations (Le vote électronique : recherches et recommandations préliminaires), 23 juillet 1997.