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La technologie et le processus de vote


IV. Technologie et démocratie électorale : un environnement en pleine transformation

La présente section décrit brièvement les incidences des technologies de l'information et des communications sur la société et sur l'appareil gouvernemental. Suit un sommaire des recherches menées à ce sujet par Élections Canada et par notre équipe. Elle se termine par un aperçu des expériences de vote électronique, sur la scène domestique et internationale.

A. Technologie, société et gouvernement

L'économie mondiale vit présentement une transformation causée par la technologie, semblable à la transition d'une société passant du mode agraire au mode industriel. Ce passage d'une économie industrielle, fondée sur des biens physiques, à une économie numérique, à base de connaissances, entraîne une reconceptualisation complète des processus dans une foule de secteurs. À l'approche du millénaire, il importe donc de situer dans le contexte de l'influence sociale de la technologie les revendications de solutions électroniques aux questions d'accès et de participation au processus électoral.

Comme beaucoup d'autres pays, le Canada cherche des façons d'instaurer, dans l'administration fédérale, des infrastructures électroniques d'information pour simplifier la prestation de services, réduire les dédoublements de tâches et améliorer la qualité et la rapidité du service offert au public, en réduisant les coûts aux contribuables. De telles infrastructures informationnelles ressemblent à celles qu'utilise couramment la population canadienne dans les secteurs financiers et commerciaux.

La technologie des ordinateurs en réseau offre également la possibilité de forums interactifs où des citoyens peuvent poser des questions, formuler des suggestions, émettre des opinions et même voter sur des questions qui leur seraient soumises. Les réseaux permettent à des groupes de personnes ayant des intérêts communs, mais qui ne pourraient communiquer autrement, d'échanger au sujet de leurs opinions et de leurs intérêts, ce qui soulève le débat des avantages réciproques de la démocratie de représentation et de la démocratie directe note 9.

Le rythme accéléré de l'évolution technologique exige des administrateurs politiques qu'ils examinent soigneusement le genre de solutions technologiques à adopter, ainsi que le moment et la façon de le faire. La prudence financière et un souci croissant d'imputabilité ont contribué à l'acceptation de l'informatisation comme mode d'amélioration des services et de réduction des dépenses; toutefois, on note beaucoup de résistance face aux innovations technologiques qui n'offrent ni l'un ni l'autre de ces avantages, ou qui ne le font que de façon très partielle.

B. Recherches sur le vote électronique

1. La technologie et le processus démocratique

Jusqu'à maintenant, chercheurs et politiciens se sont surtout intéressés à la mise en œuvre actuelle et éventuelle des technologies de l'information en ayant comme projet d'accroître la participation de l'électorat à la vie civile et au processus politique et de contourner certains obstacles réels ou perçus à une telle participation. Cela a eu pour effet de raviver le débat opposant la démocratie de représentation à la démocratie directe. Les supporters d'une démocratie de représentation remettent en question les effets qu'aurait une démocratie directe sur l'équilibre entre la loi de la majorité et les droits des minorités, tandis que les adeptes de la démocratie directe vantent les avantages d'une participation accrue des citoyens aux processus de prise de décision politique.

Toutefois, la question qui intéresse Élections Canada au premier titre, et qui forme le sujet de notre étude, est l'opportunité d'utiliser ces technologies pour améliorer l'accès au processus de vote, par opposition à des questions comme la participation démocratique et l'engagement des citoyens.

2. Revendications de changement

Pour les administrateurs du processus électoral, les caractéristiques des systèmes électoraux actuels note 10 qui justifient un examen des modèles de vote électronique sont les suivantes : problèmes d'accessibilité, difficulté croissante de trouver des employés qualifiés pour travailler dans les bureaux de scrutin, problèmes de dépouillement irrégulier ou de bulletins de vote rejetés, bulletins de vote au libellé de plus en plus complexe, délais inacceptables de dépouillement du scrutin, capacité multilingue des appareils de vote électronique et problèmes actuels de transmission des résultats aux parties intéressées par les processus électoraux.

L'application des nouvelles technologies au processus de vote semble particulièrement intéressante dans les situations où l'accessibilité s'avère un problème important. Ainsi, les aînés, les personnes handicapées, les membres de collectivités ethnoculturelles et les Canadiens vivant en régions isolées ou à l'extérieur du pays pourraient tous bénéficier de ces technologies. Christa Scholtz a noté dans son étude note 11 que les personnes qui éprouvaient des difficultés de transport ou d'accès physique à un bureau de scrutin avaient exprimé plus d'intérêt pour les méthodes de vote qui leur permettaient de voter de chez elles (vote par courrier, par téléphone ou par Internet). Cette opinion était partagée par les personnes habitant des collectivités éloignées des régions urbaines.

Dans leurs réponses aux questions de l'Étude sur l'élection canadienne 1997, les Canadiens et les Canadiennes ont également exprimé de l'intérêt pour une exploration de nouvelles méthodes de vote. Élections Canada avait demandé que soient intégrées à ce sondage certaines questions visant à évaluer le niveau de réceptivité de la population canadienne face à l'idée du vote électronique et à d'autres solutions de rechange au mode actuel de scrutin. On posa aux répondants une série de questions portant sur leur disposition à utiliser cinq méthodes différentes de vote : par courrier, par téléphone, par ordinateur (personnel), par ordinateur à écran tactile (comme ceux utilisés dans certains guichets automatiques bancaires), ou au moyen d'un instrument compteur note 12.

Pour ce qui est des diverses solutions technologiques envisagées, 54 p. 100 des répondants ont indiqué leur intérêt à voter par ordinateur à écran tactile, 36 p. 100 se sont dits favorables au vote par téléphone et 29 p. 100 intéressés au vote par ordinateur personnel. En termes de préférences, l'ordinateur à écran tactile a retenu 37 p. 100 des suffrages, le téléphone 26 p. 100 et l'ordinateur personnel 18 p. 100.

Notre évaluation de l'intérêt de la population canadienne à l'égard d'une exploration de telles solutions est renforcée par les conclusions d'une table ronde organisée par le Forum des politiques publiques. Des organismes y étaient venus représenter les intérêts à l'égard du processus électoral des personnes à faible niveau d'alphabétisation, des personnes handicapées ou souffrant de déficiences visuelles ou auditives, des personnes âgées, des néo-Canadiens et des groupes autochtones. On a demandé à chacun de ces groupes d'intérêts d'évaluer trois éventuelles technologies de vote : le vote par téléphone, par ordinateur et par ordinateur à écran tactile. En règle générale, ces organismes ont manifesté de l'enthousiasme pour ces solutions à la condition que celles-ci demeurent faciles à comprendre et qu'elles ne limitent pas leurs choix en termes de la technologie à utiliser ou du recours au processus de vote traditionnel.

De plus, selon une étude réalisée par Market Explorers Incorporated entre le 1er et le 5 avril 1998 dans la circonscription de Port Moody?Coquitlam, en Colombie-Britannique, 73 p. 100 des répondants pensaient qu'il serait peu ou pas du tout important de voter dans un bureau de scrutin si d'autres options pratiques étaient offertes. Pour effectuer cette étude, Market Explorers a interrogé 502 électeurs par téléphone après l'élection partielle dans Port Moody?Coquitlam.

3. Facteurs financiers

Plusieurs facteurs influent sur la rentabilité des diverses méthodes de vote électronique, notamment la dimension de la population votante, la fréquence des scrutins et le nombre d'articles inscrits sur le bulletin de vote. On note également des incidences sur certains des critères d'une bonne administration du processus électoral, notamment la sécurité, la transparence et la démocratie de ce processus.

Il est également évident que les mesures adoptées en vue de garantir l'efficacité de l'administration électorale auront une incidence sur les coûts des élections. Par exemple, même si les technologies du téléphone, de l'ordinateur personnel et de l'ordinateur à écran tactile peuvent améliorer l'accessibilité du processus électoral, il appert que le fait de déplacer le geste de voter du bureau du scrutin soulève beaucoup d'autres problèmes, associés à la vérification de l'admissibilité de chaque électeur. Dans cette filière technologique, la vérification s'effectue au moyen d'un genre d'identificateur personnel, habituellement un numéro d'identification personnel (NIP), comme celui utilisé pour les cartes bancaires. La priorité dans ce genre de vérification consiste à s'assurer que le bon NIP est envoyé au bon électeur et que c'est bel et bien cet électeur qui l'utilise pour exercer son droit de vote.

Il existe un certain nombre de solutions adaptées à ce problème, dont les empreintes vocales (pour le vote par téléphone), les empreintes digitales, le scanning rétinien et les cartes à mémoire. Cependant ces méthodes sont toutes dispendieuses et elles soulèvent des questions liées au respect de la vie privée. Ce qui ne signifie pas que le problème soit insurmontable : les technologies qu'appelle ce problème de vérification sont déjà disponibles et elles deviendront sans doute plus économiques au cours des prochaines années. Quant aux questions associées au respect de la vie privée, c'est au directeur général des élections – et, plus généralement, au gouvernement – qu'il incombe de s'informer de la disposition des Canadiens à accepter le recours à des identificateurs personnels de ce genre, tout comme il s'est efforcé de sonder leur éventuel intérêt pour de nouvelles façons d'exercer leur droit de vote.

4. Disponibilité d'instruments de vote électronique

Vu les progrès remarquables de la technologie des télécommunications et la pénétration de ce matériel dans les foyers canadiens note 13 , on assiste à une hausse très marquée de l'impact éventuel de la technologie sur les normes et les processus démocratiques. Le téléphone, la câblodiffusion et le réseau Internet sont aujourd'hui présentés comme les nouveaux instruments des activités de communication, de mobilisation et de représentation politiques.

C'est le téléphone auquel on pense le plus souvent pour le vote électronique, vu sa disponibilité quasi universelle dans les foyers canadiens et sa capacité d'atténuer les contraintes qu'imposent traditionnellement l'éloignement géographique et l'accessibilité physique des bureaux de scrutin. Cependant, des premières tentatives de vote par téléphone au Canada ont rappelé le caractère crucial des capacités techniques des réseaux téléphoniques (p. ex. leur capacité maximale) ainsi que l'importance d'une méthodologie et de normes d'élaboration appropriées, y compris l'acceptation et la mise à l'essai des systèmes. Autres facteurs essentiels au succès du vote électronique : l'intégrité de la liste électorale utilisée et une série de contrôles dépendants à maintenir et surveiller étroitement (production, distribution et vérification des NIP, vote, dépouillement et annonce des résultats du scrutin).

On note également une hausse d'intérêt pour le vote par Internet. Cependant, malgré la disponibilité de l'infrastructure qu'appelle une telle initiative, les considérations de sécurité freinent présentement cette possibilité, en raison du « pipe-line électronique » reliant l'utilisateur au centre (le terminal de l'utilisateur et le prestataire de service Internet), qui demeure vulnérable à des manœuvres de surveillance, d'écoute, d'interception et de substitution.

Le principal défi à relever pour les méthodes de vote électronique est celui de la transparence. Comme les systèmes entièrement électroniques dépendent complètement des connaissances techniques d'administrateurs et de vérificateurs de systèmes chargés d'assurer l'intégrité des élections, il est pratiquement impossible de sauvegarder une transparence directe du processus aux yeux des « citoyens ordinaires » note 14.

5. Technologies étudiées dans le cadre du présent projet

Notre étude du vote électronique a porté sur les technologies suivantes : le téléphone, Internet, la câblodiffusion, les bornes interactives et guichets automatiques bancaires, les appareils portatifs de saisie de données – numériques et cellulaires –, les cartes à puce et d'autres appareils d'identification personnelle.

D'après des consultations auprès de hauts fonctionnaires d'Élections Canada et d'entreprises de haute technologie (énumérées à l'Annexe C), ainsi que les résultats de l'Étude sur l'élection canadienne 1997 et de la série de tables rondes organisées par le Forum des politiques publiques avec des groupes d'intérêts concernés par le processus électoral, nous avons concentré notre travail de modélisation sur les technologies du vote par téléphone, par Internet et à des bornes interactives.


Note 9 Même si ce rapport n'a pas pour objectif de débattre des avantages de la démocratie de représentation et de la démocratie directe, nous savons qu'il s'agit d'une question importante sur laquelle il faudra se pencher lors d'un examen plus poussé des incidences possibles de la technologie et du processus de vote sur le régime démocratique canadien.

Note 10 Certaines de ces caractéristiques ne semblent pas s'appliquer à l'échelon fédéral, à savoir les problèmes de dépouillement irrégulier ou de bulletins rejetés, les bulletins de plus en plus complexes et les délais indus de dépouillement des voix.

Note 11 Christa Scholtz, op. cit.

Note 12Les instruments compteurs n'ont pas été considérés dans notre étude puisqu'ils sont surtout utilisés comme outil de tabulation des votes.

Note 13 Quelques exemples particuliers de matériel de télécommunication : les téléphones à clavier (cellulaires et fixes), les ordinateurs équipés de modems et la câblodiffusion interactive.

Note 14 Christa Scholtz, op.cit., page 15. Scholtz écrit: « Au lieu de compter sur des gens ordinaires, issus de partis politiques et qui se surveillent réciproquement dans l'exercice de tâches électorales routinières, les systèmes informatisés exigent une confiance en des techniciens individuels s'acquittant de mystérieuses fonctions techniques; en effet, rares sont les citoyens ordinaires initiés aux complexités des codes sources, des programmes et des opérations informatiques. » (Traduction)