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La technologie et le processus de vote


IX. Conclusions

L'intégrité du processus électoral – du vote lui-même au dépouillement du scrutin – est l'une des pierres de touche de notre appareil démocratique. C'est parce que le Parlement accorde autant d'importance à l'intégrité de ce processus qu'il a confié la responsabilité d'administrer les scrutins à un officier indépendant du Parlement, le directeur général des élections. Et c'est parce que la population canadienne a toujours tenu à garantir l'intégrité de ce processus qu'elle s'est toujours montrée prudente à l'idée de le modifier.

Comme nous le faisons remarquer dans ce rapport, le geste même de voter est une des facettes de la vie canadienne qui, du moins en surface, a connu le moins de changements au cours des 100 dernières années. Une immense majorité des Canadiens et des Canadiennes qui votent aux élections fédérales le font encore en se présentant en personne à un bureau de scrutin et en déclinant leur identité. Après avoir vu leur nom coché sur une liste d'électeurs, ils prennent un bulletin de papier, y inscrivent en secret une marque et le retournent au scrutateur, qui s'assure que le bulletin est bien le même que celui remis à l'électeur en vérifiant si ses initiales se trouvent sur la partie extérieure. Par la suite, l'électeur dépose le bulletin dans l'urne.

Pourtant, comme nous le savons, ce scénario traditionnel s'accompagne d'une foule de modifications, technologiques ou autres, apportées sans tambours ni trompettes à l'administration concrète des élections au fil des ans, notamment au cours des dernières années. Les plus substantiels de ces changements sont l'extension des Règles électorales spéciales à l'ensemble de la population canadienne, la création du Registre national des électeurs avec sa liste électorale actualisable permanente, l'utilisation du Système de gestion des scrutins par le Bureau du directeur général des élections et la publication des résultats en temps réel sur le site Web d'Élections Canada le soir d'une élection.

Ces modifications, et beaucoup d'autres apportées aux opérations internes d'Élections Canada, ont essentiellement deux fonctions : rendre le vote plus accessible à l'ensemble des Canadiens et rendre la tenue d'élections plus efficace. Le Parlement et la population canadienne en général voient ces deux objectifs comme garants d'une démocratie vigoureuse et saine.

À mesure que la révolution de la technologie de l'information touche de plus en plus d'aspects de la vie moderne, beaucoup d'administrations – tant au Canada que dans le reste du monde – cherchent des façons de mettre les nouvelles technologies électroniques au service de ces deux objectifs. La liste des pays et des autres instances politiques qui ont exprimé de l'intérêt pour les nouvelles technologies de vote ne fait que s'allonger; on y retrouve des provinces canadiennes, des États américains, ainsi que des pays démocratiques européens ou en voie de développement. Malgré leurs différences en termes de nombre d'électeurs et de niveau de développement technologique, ces instances semblent toutes reconnaître que les nouvelles technologies de vote offrent à leurs citoyens et citoyennes la possibilité de voter plus facilement et d'une façon qui préserve l'intégrité générale du processus électoral.

Préserver l'intégrité du processus équivaut à rassurer à la fois l'électorat et ses représentants élus que le processus de vote répondra pour le moins aux 10 premiers critères énoncés à la section II, et de préférence à chacun de ces 17 critères. Ces conditions réunies représentent une norme élevée d'intégrité du système. Mais il serait facile de placer la barre trop haut et de rendre la procédure de vote impossible à transformer, au nom du risque théorique d'une éventuelle corruption de toute formule, de la sécurité imparfaite de tout nouveau processus, ou parce que tout processus permettant aux citoyens de voter « à distance » soulève la possibilité de manœuvres frauduleuses.

Si bien intentionnées qu'elles soient, ces préoccupations risquent de nuire à une compréhension adéquate des bases de l'intégrité du système actuel. Notre système électoral contemporain est un amalgame de droit, de procédures, de pratiques et d'administration dévouée, non seulement celle du DGE et de son personnel, mais également celle des plusieurs milliers de Canadiens et de Canadiennes qui contribuent à la tenue de chaque élection. Facteur important, il s'agit aussi de ce que la population canadienne est prête à accepter comme norme raisonnable d'intégrité. Par exemple, les gens prennent pour acquis qu'une « cabine » de scrutin faite de carton constitue un espace privé, parce qu'ils ont confiance que personne ne les épie de loin à la lentille téléphoto. Ils accordent foi à la liste électorale et à la présence de scrutateurs pour empêcher toute fraude électorale par de fausses déclarations d'identité ou d'admissibilité. Ils font confiance au processus physique de dépouillement du scrutin. Bref, nous nous fions à ces systèmes et procédures – que l'on pourrait appeler les « technologies » actuelles – parce que nous en avons l'habitude. Ces procédures fonctionnent et la population accepte qu'elles produiront un résultat fiable.

De la même façon, l'attitude des Canadiens et des Canadiennes à l'égard des nouvelles technologies se modifie à mesure que ces technologies prennent de plus en plus de place dans leurs vies, que ce soit sous la forme de guichets bancaires, de lecteurs de codes à barres ou du commerce par Internet. Les gens constatent que ces technologies sont efficaces. Ils acquièrent un niveau raisonnable de confiance à leur égard, une confiance qui n'est pas ébranlée par le fait que n'importe quel de ces systèmes peut être compromis.

Prenons un exemple évident : les guichets bancaires automatiques. Si la population canadienne avait été forcée de se plier à cette formule du jour au lendemain, elle s'y serait objectée vigoureusement. Mais ces appareils ont été introduits graduellement, comme compléments aux transactions faites en succursales traditionnelles. Et les Canadiens en sont graduellement venus à accepter et à apprécier la présence de ces appareils comme façon d'accroître leur accès aux services bancaires et de prévenir une hausse de leurs coûts.

Des considérations semblables s'appliquent au dossier du vote électronique. Si on proposait à la population canadienne de passer d'un coup à une méthode de vote entièrement nouvelle, on pourrait s'attendre à un niveau tout aussi élevé de résistance, quelle que soit la technologie proposée. Et ce serait normal. Aucune nouvelle méthode ne peut afficher une efficacité « démontrée » sans avoir été soumise à de longs essais; et surtout, aucune nouvelle méthode ne peut être acceptée sans que le public y ait été exposé pour une longue période.

Prochaines étapes

À la lumière de ces conclusions, les parlementaires souhaiteront peut-être étudier et mettre à l'essai des technologies susceptibles de faciliter l'action de voter pour les Canadiens. Cet examen peut être entrepris de plusieurs façons.

Premièrement, le Parlement pourrait apporter les changements législatifs nécessaires pour permettre à Élections Canada de mettre à l'essai certaines technologies prometteuses dans des situations expérimentales contrôlées, de sorte que les administrateurs électoraux puissent apprendre de l'expérience, que les Canadiens puissent observer les nouvelles méthodes en situation réelle, et que les parlementaires eux-mêmes puissent tirer des enseignements au sujet des orientations qu'ils souhaitent suivre et du rythme auquel ils souhaitent progresser. Une façon simple de procéder serait qu'Élections Canada commande la création d'un système « pilote », sur la base d'une technologie particulière dont les parlementaires, et les Canadiens en général, pourraient observer le fonctionnement dans un environnement contrôlé.

Deuxièmement, Élections Canada peut poursuivre un dialogue sur ces questions avec les Canadiens intéressés, dont ceux qui ont un intérêt professionnel dans les élections, ceux qui rendent la technologie disponible, et les porte-parole de différents secteurs de notre société auxquels la technologie offre des avantages particuliers au point de vue de l'accessibilité du vote.

Troisièmement, on pourrait sensibiliser le grand public aux avantages des nouvelles technologies et de leur application au processus électoral. Seul un public pleinement informé sera préparé à appuyer des changements à un geste aussi important que celui de voter à une élection fédérale.

Quatrièmement, il serait utile qu'Élections Canada continue à surveiller les percées technologiques dans ce domaine, et peut-être qu'il finance la recherche requise sur les technologies électorales et leur application au processus de vote au Canada et à l'étranger. Élections Canada est le « centre d'excellence » du Canada dans ce domaine; il devrait continuer d'investir dans son fonds de connaissance et d'expertise sur la technologie et le processus électoral afin que les parlementaires, et l'ensemble des Canadiens, puissent profiter de renseignements et de conseils à jour.

Les changements à la procédure et au système de vote ne devraient pas être pris à la légère. Néanmoins, la société ne peut se permettre de les ignorer – car ils revêtent une grande importance pour notre esprit démocratique et communautaire. Dans la mesure où elles permettront aux Canadiens d'exercer plus facilement leur droit de vote, les nouvelles technologies de vote méritent d'être étudiées avec attention en tant que moyens de renforcer la démocratie électorale à l'aube du XXIe siècle.