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Prévenir les communications trompeuses avec les électeurs

3. Difficultés rencontrées par les enquêteurs


Afin de comprendre le bien-fondé des recommandations formulées dans le présent rapport, en particulier celles qui comportent des modifications à la Loi, il est essentiel de fournir un aperçu de quelques-uns des obstacles auxquels ont été confrontés les enquêteurs d'Élections Canada dans leur recherche de la source des appels inappropriés faits lors de la dernière élection générale. Certaines de ces difficultés sont inévitables, en particulier celles qui se rapportent aux avancées technologiques actuelles. D'autres sont rapportées afin de montrer la complexité de l'enquête et les délais inhérents à l'obtention des preuves nécessaires à la mise en œuvre de mesures d'exécution de la Loi, plutôt que dans le but de changer le régime. Cependant, certaines améliorations pourraient être apportées au cadre législatif afin de faciliter le processus d'enquête.

A. Manque de renseignements sur les contrats conclus par les campagnes locales et nationales

Limites actuelles à l'obligation de rendre compte à Élections Canada

Les renseignements contenus dans les comptes de dépenses électorales produits par les partis politiques sont actuellement très limités et ne comprennent pas d'information précise, par exemple sur les contrats de services de communication ou de télémarketing, qui pourrait faire avancer une enquête. Bien que ces comptes comprennent le détail des contributions reçues, les dépenses électorales des partis y sont regroupées en catégories générales, et peu de détails sont fournis sur la façon dont elles ont été engagées. Il s'agit d'une question à laquelle Élections Canada entend remédier d'ici la prochaine élection générale. Plus important encore, cependant, aux termes de la loi actuelle, les partis politiques fédéraux ne sont pas tenus de fournir de documents à l'appui de leurs dépenses, et l'on ne peut leur demander de le faireNote 45.

À titre de comparaison, les rapports des candidats et les documents afférents sont plus complets et pourraient révéler qu'une entreprise de télémarketing a été engagée pour téléphoner aux électeurs. La raison de l'utilisation faite de ces services ou le texte des messages communiqués aux électeurs en sont cependant absents, puisque la Loi électorale du Canada n'exige pas ces renseignementsNote 46. De plus, comme les rapports de campagne des candidats ne doivent être produits que quatre mois après le jour du scrutin (article 451), l'information qui s'y trouve sur les ententes avec les fournisseurs risque d'arriver trop tard pour être vraiment utile à l'enquête.

Les enquêtes d'Élections Canada semblent indiquer que les principaux partis ont leur propre bassin d'entreprises de télémarketing. Les campagnes des candidats ont accès à ces entreprises grâce à des recommandations du parti. Toutefois, bien que les factures du parti puissent être présentées avec les rapports de campagne des candidats, la Loi n'exige pas que ces rapports comprennent aussi les contrats conclus à l'origine avec des entreprises de télémarketing et détaillant quels services seront fournis, quand et à quel prix. Par conséquent, les rapports ne révèlent que peu de choses, sinon rien, sur les services précis fournis par des entreprises de télémarketing, que ce soit aux partis politiques ou à des candidats.

B. La technologie comme un moyen d'éviter d'être retracé ou identifié

La technologie actuelle offre plusieurs façons aux individus souhaitant contourner les règles d'éviter la détection. Ainsi, même lorsqu'il existe des dispositions législatives ou réglementaires applicables, comme les Règles du CRTC sur les télécommunications non sollicitées, ces dispositions peuvent être contournées dans la pratique par des moyens technologiques assurant l'anonymat. La solution à ce problème réside peut-être plus dans les progrès technologiques que dans la création de nouvelles règles.

Services de téléphonie sur protocole Internet (VoIP)

La technologie VoIP permet de cacher l'origine d'un appel en forçant l'affichage d'un faux numéro sur l'afficheur du destinataire. C'est ce que l'on appelle les appels mystérieux (en anglais, « spoofing »). Ceci restreint la possibilité de remonter jusqu'à l'appelant la piste d'un appel fait en utilisant cette technologie. La technologie a tellement évolué qu'il est possible d'installer un centre d'appel par VoIP pratiquement n'importe où, même dans un domicile privé, à l'aide d'un ordinateur récent, de quelques serveurs et de listes d'appelsNote 47.

Serveurs mandataires

Sur Internet, l'anonymat peut aussi être facilité par les serveurs mandataires servant d'intermédiaire entre l'appelant et son destinataire visé. Les serveurs mandataires sont des sites Web qui facilitent l'anonymat en apparaissant comme la source de l'appel lors des communications avec le destinataire visé. Dans l'enquête sur le dossier de Guelph, des documents déposés en cour par le commissaire aux élections fédérales indiquent que le serveur mandataire n'a conservé l'information sur le véritable appelant que pendant une courte période, permettant ainsi à l'appelant de communiquer avec l'entreprise de diffusion de messages vocaux sous le couvert de l'anonymat.

Téléphones cellulaires jetables

Les téléphones cellulaires jetables peuvent servir à empêcher d'identifier un appelant. Certaines applications pour téléphone cellulaire permettent également de créer des numéros de téléphone temporaires qui peuvent être utilisés pour faire des appels ou envoyer des messages texte sans laisser de trace. Dans l'enquête sur le dossier de Guelph, des documents déposés en cour par le commissaire indiquent qu'un téléphone cellulaire jetable a servi à communiquer avec une entreprise de diffusion de messages vocaux sous une fausse identité.

C. Limites des moyens d'obtenir de l'information en vertu du Code criminel

Critères d'obtention d'une ordonnance de communication

Le Code criminel permet aux enquêteurs d'obtenir d'un juge un mandat de perquisition ou une ordonnance de communication afin d'obliger des particuliers ou des entités à produire certains documents ou certaines données en leur possession. Moins importunes que les mandats de perquisition, les ordonnances peuvent être demandées lorsque les circonstances s'y prêtent. Aux termes du paragraphe 487.012(3), l'ordonnance ne sera accordée que si le dénonciateur (dans le cas d'Élections Canada, l'enquêteur) démontre qu'il a des motifs raisonnables de croire qu'une infraction a été commise. Il doit également avoir des motifs raisonnables de croire que les documents ou données demandés fourniront une preuve que l'infraction a été commise et que ces documents ou données sont en la possession ou à la disposition de la personne de qui ils sont demandés. Ainsi, une enquête doit avoir avancé considérablement et des éléments de preuve solides doivent exister avant qu'il ne soit possible de demander une ordonnance de communication d'un tribunal.

Absence de normes sur la rétention des données dans le secteur des télécommunications

Il n'existe pas de normes, dans le secteur des télécommunications, sur le type de données qui doivent être conservées, et sur la durée de leur rétention. Certaines entreprises ne conservent des données sur leurs télécommunications que si elles sont facturées. D'autres conservent tous les renseignements sur les communications de leurs utilisateurs (par exemple date de l'appel, durée, numéro de téléphone du destinataire). Certaines conservent l'information seulement quelques jours, d'autres pendant trois mois ou plus. La durée de la période de rétention des données influe directement sur la capacité d'obtenir de l'information pendant l'enquête.

La rédaction de la dénonciation en vue de convaincre le juge d'accorder l'ordonnance de communication, la délivrance de l'ordonnance et la production des documents par leur détenteur peuvent prendre des semaines, voire des mois, selon le déroulement de l'enquête et la complexité du dossier. De plus, il est souvent nécessaire de répéter le processus (rédiger une dénonciation, obtenir une ordonnance et recevoir les documents) afin de suivre une piste donnée. Cela dit, la chaîne des événements et des communications menant à un appel automatisé peut être très difficile sinon impossible à recréer lorsque l'entreprise ne conserve ses données de télécommunication que pendant une très courte période.

Impossibilité de contraindre une personne à témoigner

Il arrive souvent que des personnes non soupçonnées d'avoir commis un acte répréhensible détiennent des renseignements pertinents qui pourraient aider à déterminer si la Loi électorale du Canada a été transgressée et mettre en lumière les circonstances de l'infraction. Leur collaboration est souvent cruciale aux premières étapes d'une enquête. Toutefois, l'expérience montre que pour diverses raisons, ces personnes peuvent refuser de collaborer avec les enquêteurs ou n'accepter de le faire qu'à la suite d'efforts considérables et de retards qui risquent d'entraîner la perte d'importants éléments de preuve.

Dans l'enquête sur les appels automatisés trompeurs dans Guelph, par exemple, les dossiers de cour disponibles au public montrent qu'au moins trois personnes qui détenaient vraisemblablement des renseignements clés ont refusé de parler aux enquêteurs. L'impossibilité de les contraindre à témoigner a constitué l'un des plus grands obstacles à l'exécution efficace de la Loi.


Note 45 Dans le rapport de recommandations de 2010, le directeur général des élections a recommandé de pouvoir demander aux partis enregistrés de fournir, au besoin, les documents et les renseignements qu'il estime nécessaires pour vérifier si le parti et son agent principal se sont conformés aux exigences de la Loi relatives au compte de dépenses électorales. Voir la recommandation II.1 du rapport Faire face à l'évolution des besoins – Recommandations du directeur général des élections du Canada à la suite de la 40e élection générale.

Note 46 La Loi permet au directeur général des élections de demander des documents supplémentaires à l'appui d'une dépense. En règle générale, le contenu d'une publicité n'est pas pertinent à cette fin.

Note 47 Cela dit, dans le cas de la circonscription de Guelph, le système utilisé a été celui d'une entreprise de communication par voix connue qui a conservé ses propres dossiers d'appels et coopéré avec les enquêteurs.