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2. Révision du régime des tiersRépondre aux nouveaux défis : Recommandations du directeur général des élections du Canada à la suite des 43e et 44e élections générales

Les tiers sont des personnes et des organisations qui n'appartiennent pas à certaines catégories d'entités réglementées, comme les candidats et les partis politiques. Bon nombre d'entre eux (p. ex. les syndicats et les associations du secteur privé) existent à d'autres fins que les élections, mais souhaitent participer au processus démocratique, par exemple en défendant les intérêts de leurs membres, y compris en favorisant ou en contrecarrant certains partis ou candidats. D'autres tiers sont constitués pendant la période électorale expressément pour participer au débat politique en favorisant ou contrecarrant un parti ou un candidat à cette élection. D'autres, enfin, sont des entités permanentes créées pour favoriser ou contrecarrer des partis et des candidats en tout temps, y compris pendant la période électorale.

À l'élection générale de 2019, 154 tiers se sont enregistrés auprès d'Élections Canada. À l'élection générale de 2021, pour laquelle il n'y a pas eu de période préélectorale, 105 tiers se sont enregistrés.

En réglementant la participation des tiers, la Loi établit des règles du jeu équitables en ce qui concerne les dépenses et permet de savoir qui appuie les partis et candidats à l'élection. Sans ces règles, les plafonds de dépenses et les obligations de transparence qu'impose la Loi aux partis politiques et aux candidats pourraient facilement être contournés par les personnes ou les organisations qui soutiennent ces dernières.

2.1. Dépenses des tiers

Avant l'élection générale de 2019, la Loi encadrait les dépenses de publicité des tiers uniquement en période électorale. Les tiers devaient s'enregistrer s'ils dépensaient au moins 500 $ en publicité électorale et ajouter un énoncé d'autorisation sur toute publicité électorale (qu'ils aient atteint ou non le seuil de dépenses). Un tiers enregistré devait soumettre des rapports financiers et respecter des plafonds de dépenses pendant la période électorale.

En réponse à certaines préoccupations voulant que le régime des tiers soit inefficace – en partie en raison du fait que la définition de publicité est de moins en moins pertinente, comme nous l'avons vu précédemment –, le Parlement a modifié la Loi et ajouté deux types d'activités réglementées : les activités partisanes (qui comprennent les appels téléphoniques auprès des électeurs, le porte-à-porte et l'organisation de rassemblements) et certains sondages électoraux menés à l'appui d'activités réglementées. Les tiers ont aussi été soumis à des plafonds de dépenses pour les activités partisanes, les sondages électoraux et la publicité partisane menés au cours de la nouvelle période préélectorale d'une élection générale à date fixe. Enfin, ils se sont vu imposer l'obligation de produire des rapports provisoires s'ils dépensent ou reçoivent un certain montant.

Depuis, deux élections fédérales ont eu lieu (en 2019 et en 2021) sous le nouveau régime des tiers établi en 2019. Le nouveau régime réglemente toutes les dépenses engagées par des tiers pour des activités qui favorisent ou contrecarrent des partis et des candidats. Dans la mesure où les plafonds de dépenses des tiers visent essentiellement à assurer l'égalité des chances des partis et des candidats, il convient d'encadrer les dépenses des tiers de manière semblable à celles des partis et des candidats.

À l'élection de 2019, la plupart des tiers sont restés bien en deçà du plafond de dépenses : 86 % des tiers ont dépensé 25 % ou moins du plafond, tandis que seulement 4 % ont dépassé les 75 % du plafond. Ces données indiquent que les règles actuelles ne restreignent pas indûment les dépenses de la vaste majorité des tiers. Au dépôt du présent rapport, des données sont disponibles pour l'élection générale de 2021, mais leur analyse n'est pas encore terminée.

Lors des deux élections qui ont eu lieu depuis la modification de la Loi, la « publicité thématique » a été le plus grand sujet de préoccupation des tiers. Une publicité thématique favorise ou contrecarre un parti ou un candidat sans le nommer expressément. Elle vise plutôt à prendre position sur une question à laquelle un parti ou un candidat est associé.

La publicité thématique faite par les partis, les candidats et les tiers est encadrée depuis longtemps par la Loi. Toutefois, les règles à ce sujet ont particulièrement suscité l'intérêt des participants aux élections de 2019 et de 2021, peut-être en raison du fait que la publicité thématique est incluse dans la définition légale de « publicité électorale », mais pas dans la nouvelle définition de « publicité partisane », dont elle est expressément exclue. Autrement dit, la publicité thématique faite par des tiers est réglementée uniquement en période électorale. Son exclusion des règles applicables en période préélectorale semble avoir attiré l'attention sur le fait qu'elle est réglementée depuis longtemps en période électorale.

Il y a de bonnes raisons de réglementer la publicité thématique au même titre que les publicités (ou autres communications) qui mentionnent expressément un parti ou un candidat. Lorsqu'une question est si clairement associée à un candidat ou un parti qu'une prise de position sur cette question constitue une façon de favoriser ou de contrecarrer l'un ou l'autre, exclure cette prise de parole des plafonds de dépenses ou des obligations de transparence va à l'encontre des objectifs de la Loi.

Cela dit, il est légitime de craindre que l'expression soit inhibée par une interprétation trop large des notions de publicité thématique ou de communication. À l'heure actuelle, la Loi encadre toute la publicité thématique qui favorise un parti ou un candidat, même si ce n'est pas l'objectif de la communication. Par conséquent, un grand nombre de communications peuvent tomber sous le coup de la Loi.

Selon un sondage mené par Élections Canada auprès des tiers enregistrés après l'élection générale de 2019, plus de la moitié des agents financiers de tiers ont déclaré qu'il était difficile de déterminer si les questions sur lesquelles ils voulaient faire de la publicité allaient déclencher l'application de la Loi, et 4 agents sur 10 ont trouvé cette tâche très difficile. Parmi les raisons les plus souvent mentionnées pour expliquer cette difficulté, il y a d'abord le manque de clarté des règles relatives à la publicité thématique, puis la perception que les thèmes sur lesquels les tiers travaillent généralement (comme les changements climatiques ou les questions d'identité de genre) les obligerait à s'enregistrer et à se conformer aux règles.

De même, les participants aux consultations réalisées en 2020 ont indiqué que la définition de publicité thématique pourrait être plus claire et qu'il pouvait s'avérer difficile de faire le lien entre une question et une entité politique. Ils ont aussi affirmé que les règles pouvaient avoir comme conséquence indésirable de restreindre les communications dans le cours normal des activités commerciales ou éducatives.

S'il est clair que l'absence de réglementation des communications thématiques irait à l'encontre des objectifs de la Loi, il importe tout autant de dissiper le flou à propos de ce qui est réglementé et de ce qui ne l'est pas. Élections Canada estime qu'il est possible de clarifier les règles et de mieux atteindre les objectifs du régime en ne ciblant que les communications thématiques ayant pour but de favoriser ou de contrecarrer un parti ou un candidat. Comme nous l'avons mentionné, la Loi encadre, à l'heure actuelle, la publicité thématique menée en période électorale qui a pour effet accessoire de promouvoir un parti ou un candidat, alors qu'elle est en fait transmise pour une autre raison.

Comme l'ont suggéré certains participants aux consultations, le champ d'activités couvert par les communications thématiques réglementées pourrait être précisé dans la Loi. À titre d'exemple, la Loi sur le financement des élections de l'Ontario prévoit plusieurs critères utiles pour déterminer si une publicité thématique y est assujettie. On se demande notamment si la publicité a été prévue précisément pour coïncider avec l'élection, si elle mentionne l'élection, si elle est semblable à celle d'un parti ou d'un candidat et si elle correspond à la publicité faite par l'entité en période non électorale. Pour les raisons susmentionnées, Élections Canada estime que les critères énoncés dans la loi ontarienne devraient être appliqués au niveau fédéral à toutes les communications électorales thématiques et pas seulement à la publicité. Les communications électorales thématiques dont il est raisonnable de croire qu'elles ont pour but de favoriser ou de contrecarrer un parti ou un candidat devraient être réglementées.

Une réglementation plus ciblée des communications thématiques, qui serait centrée sur l'intention du message et qui serait accompagnée de critères objectifs pour établir un lien manifeste entre une communication et le programme d'un parti ou d'un candidat, devrait rassurer les tiers quant à la portée des dispositions de la Loi. Ce changement n'aurait aucune répercussion sur les plafonds de dépenses ni sur les objectifs de transparence de la Loi, mais exclurait de la réglementation les communications qui ne sont pas clairement associées à un ou à des candidats ou partis.

Par souci d'uniformité, Élections Canada estime que les mêmes critères devraient s'appliquer au cours des périodes préélectorale et électorale, même si un moins grand nombre de questions sont scrutées en période préélectorale, lorsque les programmes des partis sont moins précis.

Recommandation 2.1.1

  • Pour assurer la transparence des communications électorales et préserver l'objectif d'équité auquel contribuent les plafonds de dépenses, réglementer les communications électorales thématiques payantes (pas seulement les publicités thématiques) dont il est raisonnable de croire qu'elles ont pour but de favoriser ou de contrecarrer un parti ou un candidat pendant les périodes préélectorale et électorale.
  • Pour mieux définir les communications thématiques réglementées, énumérer dans la Loi les critères qui serviront à déterminer si une communication vise à favoriser ou à contrecarrer un candidat ou un parti et est, par conséquent, réglementée. L'article 37.0.1 de la Loi sur le financement des élections de l'Ontario pourrait servir de modèle.

2.2. Seuil de dépenses pour l'enregistrement des tiers

Malgré les importantes modifications apportées récemment aux règles et aux plafonds de dépenses des tiers, le seuil de dépenses à partir duquel les tiers doivent s'enregistrer, fixé à 500 $, n'a pas changé depuis plus de 20 ans.

À l'élection générale de 2019, 73 % des tiers enregistrés ont dépensé plus de 1 000 $ et 3 % ont dépensé entre 500 $ et 999 $. Par ailleurs, 24 % ont dépensé moins de 499 $. Les tiers qui se sont enregistrés mais qui ont dépensé moins de 499 $ l'ont fait en croyant qu'ils dépasseraient le seuil de 500 $. On ignore combien d'autres tiers (non enregistrés) ont dépensé moins que 500 $. Au dépôt du présent rapport, des données sont disponibles pour l'élection générale de 2021, mais il n'y a pas encore d'analyse terminée.

Contrairement aux plafonds de dépenses, qui sont ajustés annuellement, le seuil de dépenses à partir duquel les tiers doivent s'enregistrer ne change pas. Rehausser ce seuil allégerait le fardeau réglementaire des petites organisations et des particuliers.

Certains pourraient craindre qu'un relèvement du seuil permette à des entités d'échapper à la réglementation et mette en péril les objectifs de la Loi. Il convient de rappeler à cet égard que les tiers sont tenus d'inclure un énoncé d'autorisation dans leurs publicités même s'ils ne sont pas enregistrés.

Si la recommandation 1.1.1 est adoptée, les tiers tenus de s'enregistrer devront également décliner leur identité dans leurs communications électorales payantes et non payantes, tandis que les tiers non enregistrés devront continuer de le faire dans leurs communications électorales payantes. Par conséquent, un relèvement du seuil à partir duquel s'appliquent certaines obligations, dont celle de s'enregistrer, pourrait faciliter la participation au processus électoral en allégeant le fardeau réglementaire des plus petits tiers, sans compromettre indûment la transparence. Comme le prévoit la recommandation 1.1.1, un tiers devrait être tenu de décliner son identité dans toutes ses communications électorales, payantes ou non, à partir du moment où il atteint le seuil d'enregistrement.

Recommandation 2.2.1

  • Pour alléger le fardeau réglementaire des entités qui consacrent peu de ressources financières au processus électoral, relever à 1 000 $ le seuil de dépenses à partir duquel les tiers doivent s'enregistrer.

2.3. Contributions des tiers

Si les tiers sont assujettis à des limites de dépenses et à des exigences de rendre compte semblables à celles des partis politiques et des candidats, on ne saurait en dire autant de leurs entrées de fonds. Alors que les partis et les candidats doivent faire rapport sur tous les fonds, biens et services reçus en lien avec l'élection, et que ces contributions sont assujetties à des plafonds, les tiers ne sont pas assujettis aux mêmes exigences.

Les tiers sont tenus de déclarer uniquement les contributions qui leur sont versées dans le but de mener des activités réglementées. Les contributions reçues à des fins générales ou sans lien direct avec des activités électorales réglementées sont traitées comme faisant partie des recettes générales. Si elles servent à des activités réglementées, elles sont rapportées comme provenant des avoirs ou des ressources du tiers. Cette situation crée un manque de transparence quant à la provenance véritable des ressources des tiers ainsi qu'une brèche par laquelle de grandes contributions anonymes ou d'origine étrangère peuvent s'introduire dans le système électoral canadien.

La proportion des fonds des tiers provenant de contributions déclarées est en baisse. À l'élection générale de 2011, cette proportion était de 92 % alors que 8 % des fonds des tiers provenaient de leurs propres ressources. À l'élection générale de 2019, selon les déclarations des tiers, seulement 63 % des rentrées utilisées par ceux-ci étaient des contributions provenant de sources identifiées alors que 37 % provenaient de leurs propres fonds.

Dans le cas des entités dont une partie substantielle des recettes provient d'activités de financement, notamment les tiers créés pour favoriser ou contrecarrer des partis et des candidats en particulier, déclarer l'utilisation de ses propres fonds risque d'avoir comme effet de cacher l'origine réelle des ressources utilisées dans le processus électoral. En effet, en vertu de la Loi, les contributions reçues par une entité pour soutenir une cause donnée ou pour soutenir l'entité elle-même – et non pour soutenir spécifiquement des activités de campagne réglementées – font partie des recettes générales de l'entité et sont déclarées en tant que « propres fonds » de celle-ci. Cette situation diminue la transparence et ouvre la porte à une éventuelle utilisation de fonds étrangers, ceux-ci étant amalgamés aux recettes générales de l'entité.

Le régime actuel de contributions des tiers pose également problème du fait qu'un tiers (p. ex. l'entité A) peut recevoir des fonds d'un autre tiers (l'entité B) qui recueille des contributions. Dans un cas comme celui-ci, les contributions que l'entité A a obtenues de l'entité B sont déclarées en tant que telles, sans référence aux donateurs originaux (qu'il s'agisse d'un particulier ou autre), ce qui nuit aussi à la transparence et ouvre la porte à des contributions étrangères.

Un moyen de pallier ce manque de transparence serait que toutes les ressources utilisées par un tiers pour promouvoir ou contrecarrer un parti ou un candidat soient assujetties aux mêmes règles que celles régissant les contributions aux partis politiques et aux candidats. Seules des contributions faites par des citoyens canadiens ou des résidents permanents à titre individuel – selon des limites législatives – pourraient être utilisées par un tiers pour des activités électorales réglementées. Bien qu'elle serait efficace, cette solution pourrait entraîner des litiges au regard de la Charte canadienne des droits et libertés, car elle restreindrait la capacité d'expression des syndicats, des entreprises et de beaucoup d'autres entités en les empêchant d'utiliser leurs propres fonds malgré qu'ils soient actifs et qu'ils génèrent des revenus au Canada.

Une autre solution consisterait à imposer des restrictions aux tiers qui reçoivent une quantité significative de fonds sous forme de contributions (p. ex. 10 % par année). Ces entités, qui présentent un risque particulier en matière de transparence, seraient en mesure de s'enregistrer et de participer à une élection canadienne en tant que tiers, mais elles seraient limitées à l'utilisation de fonds pour lesquels un lien avec une contribution d'un citoyen canadien ou d'un résident permanent pourrait être établi. Elles ne pourraient pas utiliser leurs propres fonds ou des contributions autres que celles provenant de particuliers. Elles auraient l'obligation de détenir un compte de banque distinct pour les dépenses de campagne qu'elles effectuent en tant que tiers; ce compte servirait pour les rentrées provenant uniquement de ces particuliers, et toutes les dépenses réglementées de l'entité seraient effectuées à partir de celui-ci.

Ces restrictions ne devraient pas s'appliquer aux particuliers qui s'enregistrent en tant que tiers. Ceux-ci devraient pouvoir continuer de compter sur leurs propres fonds. Dans les deux dernières élections, seuls quelques particuliers se sont enregistrés comme tiers (huit en 2019 et sept en 2021), et un seul a déclaré des dépenses de plus de 5 000 $. Les interdictions déjà prévues par la Loi sur l'utilisation de fonds étrangers sont adéquates pour cette catégorie de tiers.

Recommandation 2.3.1

  • Pour assurer un niveau accru de transparence et contrer le financement étranger des tiers, ajouter à la Loi une disposition selon laquelle les tiers (particuliers exclus) qui souhaitent utiliser leurs propres fonds pour financer des activités électorales réglementées doivent présenter à Élections Canada des états financiers audités attestant qu'un maximum de 10 % de leurs recettes des années précédentes provient de contributions.
  • Les autres tiers (autres que les particuliers) qui souhaitent favoriser ou contrecarrer des partis et des candidats doivent utiliser uniquement des fonds déposés dans un compte distinct établi à cette fin. Les tiers doivent également fournir l'identité les donateurs dont les fonds ont été utilisés pour favoriser ou contrecarrer des partis et des candidats, et ces donateurs peuvent uniquement être des citoyens canadiens et des résidents permanents.