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Optimiser les valeurs du redécoupage


Chapitre 5 – Examiner les décisions des commissions

Non seulement les commissions doivent procéder au redécoupage à l'intérieur de certains délais, mais elles doivent le faire dans le respect des obligations que leur impose la Loi. Le risque que les commissions ne remplissent pas adéquatement leur mandat ou fassent des erreurs est minimisé par la tenue des audiences publiques et la possibilité offerte aux députés de s'opposer à leur rapport.

Toutefois, la Loi ne prescrit pas de modalités à suivre pour l'examen du rapport final d'une commission si on allègue qu'il s'y trouve des erreurs de droit ou de rédaction. En conséquence, ces erreurs doivent actuellement être laissées dans le texte, ou faire l'objet d'un contrôle judiciaire, la procédure habituelle à laquelle sont sujets tous les organismes créés par une loi. Or, cette procédure est mal adaptée aux besoins du processus de redécoupage.

À la suite de la décision de la Cour fédérale du Canada dans Raîche c. Canada (Procureur général) (2004) C.F. 679, il a fallu corriger le décret de représentation. Or, la Loi est muette à ce sujet, et la Cour s'est contentée d'ordonner au gouvernement d'apporter les correctifs nécessaires sans lui indiquer de marche à suivre5.

Aucun principe constitutionnel n'existe pour protéger du contrôle judiciaire la décision d'une commission qui aurait commis une erreur juridictionnelle. Il serait donc préférable de créer un processus clair à suivre par les parties lorsqu'une commission est accusée d'avoir excédé sa juridiction.

Le Comité permanent de la Chambre des communes et le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, dans leurs rapports d'avril 2004 et du 22 février 20056 respectivement, ont recommandé la création d'un mécanisme d'examen des décisions prises par les commissions de redécoupage des circonscriptions.

Le comité sénatorial a souligné que ce mécanisme devait être indépendant et transparent, et le comité permanent de la Chambre a insisté sur le besoin d'indépendance et de célérité de l'organe d'appel. Il faut donc instaurer un mécanisme d'examen souple et crédible capable de corriger les erreurs sans compromettre les valeurs sous-jacentes du processus de redécoupage, dont l'indépendance, la transparence et la rapidité.

5.1 Examen des erreurs de droit par la Cour d'appel fédérale

Recommandation 5.1 :

Une modification devrait être apportée à la Loi de manière à ce que tout habitant de la province, au motif d'une erreur de droit, puisse demander à la Cour d'appel fédérale d'examiner la décision d'une commission.

La Loi devrait préciser qu'une requête en examen de la décision d'une commission pourrait être déposée dans les 30 jours suivant la proclamation du décret de représentation. Avant que sa requête ne soit entendue, le requérant devrait obtenir une autorisation de la Cour de déposer ce recours. Cette dernière accorderait cette autorisation uniquement si l'erreur visée par la requête aurait pu avoir une incidence importante sur le rapport final de la commission.

La Loi devrait spécifier que la simple existence d'une requête d'examen de la décision d'une commission n'aurait aucun effet sur la validité du décret de représentation proclamé après le dépôt des rapports finaux.

La Loi devrait préciser que si la Cour déterminait qu'une erreur avait été commise, la même commission serait reconstituée, à moins que les commissaires ne veulent ou ne peuvent pas y siéger à nouveau, ou que la Cour en décide autrement. Dans cette éventualité, une nouvelle commission serait constituée selon la procédure de nomination prescrite dans la Loi. Tout membre de la commission originale qui le désirerait et le pourrait serait reconduit dans sa fonction de commissaire et siégerait à la nouvelle commission, à moins que la Cour en décide autrement.

La commission pourrait réutiliser ses propres travaux ou ceux de la commission originale. Si elle l'estimait nécessaire, elle pourrait tenir de nouvelles audiences publiques. Afin de faciliter la mise en oeuvre de cette recommandation, il faudrait ajouter à la Loi une disposition précisant que les commissions doivent tenir un dossier sur leurs audiences publiques.

La Loi devrait préciser que le décret de représentation modifié entrerait en vigueur à la première dissolution du Parlement survenant au moins sept mois après la date du dépôt du rapport modifié de la commission.

Les commissions doivent prendre leurs décisions selon des facteurs subjectifs dont ne découlent pas de conclusions factuelles uniques, et elles doivent de plus tenir compte des interventions des citoyens et des députés. C'est pourquoi le processus d'examen doit servir uniquement à déterminer si la commission a erré dans son interprétation de la loi, et non à revenir sur les mérites de sa décision, ni à donner aux citoyens un nouveau forum où répéter des arguments déjà exprimés lors des audiences publiques. En d'autres mots, la décision de la commission devrait faire l'objet d'un examen seulement au motif d'une erreur de droit, et non parce qu'un autre organe aurait pu arriver à une conclusion différente s'il avait accordé une valeur différente aux diverses observations et données.

Pour ce qui est du choix du tribunal qui doit mener cet examen, il faut se rappeler que les commissions ont habituellement pour président un juge de la cour supérieure de la province. Si aucun juge d'une juridiction supérieure de la province n'est en mesure d'occuper ce poste, c'est le juge en chef du Canada qui nomme le président; habituellement, il choisit un juge à la retraite de la province.

Ainsi, puisque ces commissions fédérales sont présidées par des juges de juridiction supérieure, il est normal que leurs décisions soient revues par la Cour d'appel fédérale.

Comme de telles requêtes en examen remettraient en question non seulement la délimitation des circonscriptions, mais aussi la validité des élections tenues dans ces circonscriptions, seules les erreurs importantes susceptibles d'avoir des répercussions devraient faire l'objet de requêtes. Pour éviter que la Cour ne soit saisie d'affaires sans importance, il faudrait restreindre le recours à cette procédure, par exemple en exigeant l'obtention d'une autorisation de la Cour de déposer ce recours.

Les requêtes en examen devraient être déposées dans les 30 jours; cette limite raisonnable permettrait de clore le processus et minimiserait le risque qu'une élection générale soit tenue dans des circonscriptions contestées.

Ces restrictions devraient être complétées par une disposition énonçant que le décret de représentation doit entrer en vigueur et être appliqué même si certaines des limites qu'il énonce font l'objet d'une requête en examen. En effet, les procédures judiciaires peuvent durer longtemps, et il ne faudrait pas que la mise en oeuvre d'un nouveau décret de représentation soit retardée à cause d'une contestation devant les tribunaux ou d'une demande d'injonction.

Certains estimeront qu'il est injuste qu'un décret de représentation reste en vigueur tandis que des juges s'interrogent sur sa légalité. Il est vrai qu'une élection pourrait ainsi être tenue dans des circonscriptions dont on jugera plus tard le tracé contraire à la loi. Cependant, ce risque doit être mis en rapport avec le tort qui serait causé à la vaste majorité des Canadiens s'ils continuaient d'être associés à des circonscriptions fondées sur des données démographiques vieilles de plus de dix ans. Les conséquences de la non-application du décret sur la représentation de l'ensemble de la population nationale ou provinciale seraient pires que le tort éventuel que pourrait causer la tenue d'une élection dans des circonscriptions délimitées incorrectement.

Si la Cour annulait la décision d'une commission, celle-ci serait reconstituée et chargée de procéder à une nouvelle délimitation, conformément à la pratique courante des tribunaux de renvoyer aux organes administratifs qui les ont prises les décisions jugées erronées. La commission prise en faute n'aurait ainsi pas besoin de recommencer ses travaux du début.

Si la commission originale ne peut être reconstituée, une nouvelle commission devrait être établie par l'application de la procédure de nomination prescrite dans la Loi. Il faudrait préciser dans la Loi que, à moins que la Cour d'appel fédérale ne soit d'avis que la commission originale n'est pas à même de procéder à la nouvelle délimitation, les commissaires d'origine qui le désirent et le peuvent devraient être reconduits dans leur fonction.

On devrait préciser expressément dans la Loi que la commission peut réutiliser ses propres travaux ou, si elle est nouvellement constituée, utiliser les travaux de la commission originale, afin d'accélérer le redécoupage. Elle peut aussi, s'il y a lieu, tenir de nouvelles audiences publiques.

Afin de faciliter la réutilisation des documents déjà élaborés, il faudrait ajouter à la Loi l'obligation expresse pour les commissions de tenir un dossier sur leurs audiences publiques, qui deviendra une source précieuse de renseignements pour les commissions subséquentes.

On ne peut prédire les changements qu'apporterait à son rapport une commission obligée de le remanier par une décision de la Cour d'appel fédérale. La nouvelle interprétation de la loi voulue par la Cour pourrait entraîner de légères rectifications ou de profondes modifications à la carte des circonscriptions de la province. C'est pourquoi il faudrait accorder à la population, aux associations de circonscription et à Élections Canada autant de temps pour s'adapter aux nouvelles limites que si celles-ci avaient été déterminées selon la procédure ordinaire.

On pourrait faire valoir que, dans ces circonstances, le mieux serait de tenir le plus tôt possible une élection partielle dans les circonscriptions révisées, au lieu d'attendre la prochaine élection générale pour mettre en place les nouvelles limites. Cependant, les élections partielles sont coûteuses, et l'erreur corrigée pourrait ne concerner qu'un petit nombre d'électeurs. Dans ce contexte, la tenue d'une ou de plusieurs élections partielles (si l'erreur visait plusieurs circonscriptions) n'en vaudrait pas la peine, surtout si une élection générale est prévue d'ici quelques mois ou une ou deux années.

5.2 Erreurs de rédaction

Recommandation 5.2 :

Le directeur général des élections devrait être habilité à corriger toute erreur de rédaction constatée dans le rapport d'une commission de délimitation. Dans les quinze premiers jours de la session du Parlement qui suit sa correction, le directeur général des élections en ferait rapport, motifs à l'appui, au président de la Chambre des communes.

Cependant, le directeur général des élections perdrait son pouvoir de corriger les erreurs de rédaction dès que serait déclenchée une élection générale dans les nouvelles circonscriptions, si les erreurs à corriger pouvaient avoir des conséquences pour la population.

À l'heure actuelle, aucune disposition de la Loi ne traite de l'autorité de corriger les erreurs de rédaction évidentes faites par les commissions.

Cependant, on peut lire au paragraphe 27(2) de la Loi que, en cas de doute, le directeur général des élections décide de l'incorporation à une circonscription d'un secteur non mentionné dans le décret et fait rapport de sa décision, motifs à l'appui, au président de la Chambre des communes.

Il faudrait donner au directeur général des élections le pouvoir parallèle de corriger les erreurs de rédaction trouvées dans les rapports des commissions. Dans le domaine juridique, l'expression « erreur de rédaction » a le sens assez restreint d'« erreur qu'on peut attribuer uniquement à une inattention ou à une faute de la part du rédacteur ou du copiste du document » [traduction] (Re Ovens (1979) 26 O.R. (2d) 468 (Cour d'appel de l'Ontario)).

Dans le cas des erreurs de rédaction pouvant avoir des conséquences sur la population, le directeur général des élections perdrait le pouvoir de les corriger dès la délivrance des brefs de la première élection générale devant être tenue dans les circonscriptions touchées par ces erreurs. Cependant, dans le cas des erreurs de rédaction qui n'auraient pas sur le décret de représentation suffisamment d'impact pour modifier la population de circonscriptions, le directeur général des élections conserverait son pouvoir de les corriger même après la première élection générale.

5.3 Nom des circonscriptions

Recommandation 5.3 :

L'article 23 devrait être modifié de manière à ce que la commission soit obligée, si le Comité permanent de la Chambre des communes s'est opposé au nom qu'elle a proposé pour une circonscription, d'accepter le nouveau nom proposé par le comité, à moins qu'un citoyen ne s'oppose à ce nouveau nom. Dans ce cas, la commission statuera quant au nom de la circonscription.

Aux termes de la Loi, il revient aux commissions de déterminer les limites et le nom des circonscriptions de leur province. Les députés peuvent s'opposer aux décisions de la commission, mais, selon la Loi, c'est la commission qui a le dernier mot, puisqu'elle peut rejeter les oppositions des députés.

Pour ce qui est des limites, les députés acceptent que les décisions des commissions sont définitives. La situation est cependant très différente lorsqu'il s'agit des noms. Pendant la période où a été en vigueur le Décret de représentation de 1996, des lois ont été adoptées pour modifier le nom de 58 circonscriptions, et depuis la proclamation du Décret de représentation de 2003, 40 circonscriptions ont été rebaptisées par la voie législative7.

Ces changements de noms, en plus de contredire les décisions prises par les commissions indépendantes, entraînent des frais de réimpression du matériel pour les contribuables, font perdre du temps au Parlement et créent de la confusion chez les électeurs. Constitutionnellement, on ne peut toutefois pas interdire au Parlement d'intervenir comme il l'entend dans ce domaine.

Le Comité permanent a recommandé que, lorsque le comité de la Chambre des communes chargé d'étudier le rapport s'oppose unanimement au nom proposé par la commission, celle-ci soit obligée d'adopter dans son rapport final le nouveau nom proposé par le comité. Cette recommandation a cependant le défaut de donner aux parlementaires le dernier mot sur une question importante qui est censée être tranchée par les commissions de délimitation, après consultation de la population et au terme du processus de redécoupage. Selon l'esprit de la loi, c'est la population qui doit influer sur les décisions dans ce domaine, et non les députés.

Il faut donc trouver un compromis qui respecte à la fois l'intérêt des députés pour l'appellation des circonscriptions et le mandat des commissions de délimitation. Nous recommandons donc que la commission accepte le nom proposé par le Comité permanent de la Chambre des communes lorsqu'il s'oppose au nom initial décidé par la commission et en recommande un autre. Cependant, si un citoyen s'oppose à ce nouveau nom et en recommande un autre encore, il revient à la commission de trancher définitivement.

Ce compromis n'empêcherait pas le Parlement d'adopter des lois modifiant le nom des circonscriptions, mais il accorderait un rôle accru (qui ne serait toutefois pas toujours déterminant) aux députés dans le choix des noms, tout en respectant le mandat des commissions et le rôle du grand public dans ce processus.

 


5 

Le gouvernement a créé une commission d'enquête chargée de réévaluer la limite litigieuse, et il a adopté une loi (projet de loi C-36, maintenant connu sous le nom de Loi modifiant les limites des circonscriptions électorales d'Acadie–Bathurst et de Miramichi, L.C. 2005, ch. 6) pour modifier le décret de représentation après le dépôt du rapport de la commission.


6 

5e rapport du comité, présenté à la 1re session de la 38e Législature.


7 

Au moment d'écrire ce rapport, quatre projets de loi modifiant le nom de circonscriptions sont à l'étude à la Chambre des communes.