Pourquoi la participation décline aux élections fédérales canadiennes : un nouveau sondage des non-votants
3. Les corrélats de l'abstention
Pour commencer notre examen des corrélations de l'abstention, nous regrouperons divers prédicteurs possibles, dont bon nombre ont été définis dans notre rapport précédent. Nous intégrerons à nos équations de régression plusieurs caractéristiques socio-démographiques des répondants.
- 1. Leur âge, mesuré par leur année de naissance.
- 2. Leur niveau de scolarité, mesuré par la formation scolaire accomplie.
- 3. Leur revenu, mesuré par le revenu familial total.
- 4. Leur sexe.
- 5. Leur lieu de naissance, au Canada ou ailleurs.
- 6. Leur mobilité, mesurée par leur durée de résidence dans leur quartier ou leur collectivité actuelle.
Nous supposons que la plupart de ces facteurs socio-démographiques ont un lien avec l'abstention. Notre hypothèse est que les jeunes, ainsi que les personnes moins instruites et moins aisées, voteraient moins dans toute élection. Nous nous attendons aussi à ce que les individus nés à l'étranger soient moins familiers avec la politique canadienne et moins susceptibles de voter; de même, ceux qui sont géographiquement mobiles seraient moins portés à voter, car ils peuvent être moins familiers avec la situation politique de la région où ils viennent de s'établir. Nous n'avons aucune hypothèse sur les différences entre les sexes, mais nous les incluons car elles peuvent être intéressantes à examiner.
Nous prêterons particulièrement attention à la variable de l'âge. Nous savons, bien sûr, que l'âge est une variable de l'abstention, et l'a toujours été : les jeunes votent moins que leurs aînés. Si nous voulons expliquer pourquoi certaines personnes votent et d'autres pas, à une élection donnée, l'âge sera un « prédicteur » important. Mais nous voulons aussi étudier l'âge sous un autre aspect, celui de la cohorte (groupe d'âge). Le groupe d'âge le plus jeune – moins de 25 ans, dont beaucoup de nouveaux électeurs – affiche un taux d'abstention particulièrement élevé depuis quelques élections. Le présent rapport analyse les cohortes d'âge en détail.
Ces cohortes sont formées en regroupant les âges selon l'année de naissance (tableau 13), ce qui permet d'examiner des tendances propres à des élections ou à des ères politiques. L'élection ou les élections lors desquelles un groupe est devenu admissible à voter est indiquée dans la colonne « première admissibilité ». Les répondants nés entre 1971 et 1975, par exemple, étaient âgés entre 25 et 29 ans à l'élection fédérale de 2000 et auraient acquis le droit de vote en 1993. Le nombre de répondants pour toute l'étude (y compris l'entrevue préliminaire) qui se retrouvent dans chaque groupe est indiqué dans la colonne « N », et le nombre de non-votants confirmés figure dans la colonne « NV ».
Tableau 13 Répartition des répondants par cohorte d'âge
Âge en 2000 | Année de naissance | Première admissibilité | Premier ministre | N | NV |
---|---|---|---|---|---|
18 à 20 |
1980 à 1982 |
2000 |
Chrétien |
282 |
148 |
21 à 24 |
1976 à 1979 |
1997 |
Chrétien |
460 |
207 |
25 à 29 |
1971 à 1975 |
1993 |
Chrétien |
512 |
177 |
30 à 37 |
1963 à 1970 |
1984/1988 |
Mulroney |
1 023 |
224 |
38 à 47 |
1953 à 1962 |
1974 – 1980 |
Trudeau |
1 099 |
161 |
48 à 57 |
1943 à 1952 |
1968/1972 |
Trudeau |
926 |
85 |
58 à 67 |
1933 à 1942 |
1957 – 1963 |
Diefenbaker/Pearson |
638 |
49 |
68+ |
Avant 1933 |
1953 |
King/Saint-Laurent |
587 |
35 |
5 527 |
1 086 |
Nous utiliserons davantage les cohortes d'âge plus loin, mais nous présentons ici le portrait de base des votants et des non votants (tableau 14). Ce tableau utilise l'ensemble de l'étude, y compris les entrevues préliminaires, étant donné que « l'âge » et « le vote » étaient deux des rares questions posées à toutes les personnes contactées. L'échantillon global étant surreprésentatif des votants de 2000, nous avons pondéré le tableau 14 pour obtenir la juste proportion de votants et des non-votants à cette élection6.
Tableau 14 Vote et abstention en 2000, par cohorte d'âge
Voté en 2000 | Âge en 2000 | ||||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
68+ | 58 – 67 | 48 – 57 | 38 – 47 | 30 – 37 | 25 – 29 | 21 – 24 | 18 – 20 | Total % | |
Oui | 83,3 |
80,4 |
76,4 |
66,2 |
54,2 |
38,2 |
27,5 |
22,4 |
61,3 |
Non | 16,7 |
19,6 |
23,6 |
33,8 |
45,8 |
61,8 |
72,5 |
77,6 |
38,7 |
N = 2 467 V = 0,392 p<0,000 |
Les différences de participation entre les cohortes d'âge sont frappantes. L'abstention augmente de façon constante à mesure que les cohortes deviennent plus jeunes. On constate même une légère différence dans les taux de certaines cohortes plus âgées : les électeurs qui sont devenus admissibles à voter au début de la période Trudeau (âgés de 48 à 57 ans en 2000) ont moins voté que ceux qui sont devenus admissibles plus tard. Ceux qui ont acquis le droit de vote plus tard dans la période Trudeau (âgés de 38 à 47 ans) ont voté en 2000 à un taux inférieur aux deux tiers. Les électeurs devenus admissibles durant la période Mulroney (âgés de 30 à 37 ans en 2000) n'ont voté qu'à 54,2 %. À partir de ce point, le taux glisse bien en dessous de la moitié : la cohorte de 1993 a voté à 38,2 %, celle de 1997 à 27,5 % et la cohorte des nouveaux électeurs de 2000 à seulement 22,4 %.
Ainsi, l'entrée de cohortes de nouveaux votants fortement abstentionnistes a joué un rôle majeur dans le déclin de la participation aux trois dernières élections. Le tableau 14 montre que cette baisse associée aux groupes d'âge subséquents n'est pas un phénomène nouveau, mais remonte à la période de ceux qui sont devenus électeurs dans les années 1970, sinon avant. Les effets du cycle de vie, qui augmentent les taux de participation des cohortes à mesure qu'elles vieillissent, n'ont pas fait monter les cohortes Trudeau et Mulroney au niveau des générations King, Saint-Laurent, Diefenbaker et Pearson. Les perspectives sont encore pires pour la génération Chrétien, entrée dans l'électorat de 1993 à 2000, puisque ces électeurs commencent à des niveaux de participation plus bas. Si les effets du cycle de vie sur les jeunes citoyens continuent de faiblir, les taux de participation continueront vraisemblablement de diminuer.
Un autre facteur potentiellement important est celui de la région. La participation à l'élection de 2000 en Ontario n'a été que de 58 % (Résultats de l'élection de 2000, site Web d'Élections Canada, tableau 4). Terre-Neuve (57,1 %) et les Territoires du Nord-Ouest (52,2 %) étaient bien en dessous de la moyenne (61,2 %*) et l'Alberta (60,2 %) se situaient légèrement sous la moyenne. Toutefois, une première analyse des facteurs importants en fonction de la province ne révèle pas d'écarts importants entre l'Ontario – la région où le nombre de répondants est suffisant pour assurer des résultats fiables – et les résultats nationaux.
Tableau 15Analyse factorielle des variables liées à l'intérêt, au sens du devoir civique et à la compétition entre partis
1 | 2 | 3 | |
---|---|---|---|
De manière générale, quel est votre intérêt pour la politique? | 0,768 |
0,262 |
-0,05 |
Si vous pensez à l'élection fédérale de 2000 à l'échelle nationale, jusqu'à quel point avez-vous trouvé les partis politiques compétitifs? | 0,004 |
0,09 |
0,861 |
Et pour l'élection fédérale de 2000 dans votre circonscription – jusqu'à quel point avez-vous trouvé les partis compétitifs? | 0,02 |
0,178 |
0,840 |
À l'élection fédérale de 2000, quelles étaient les chances pour que votre vote fasse une différence à l'échelle du pays? | -0,008 |
0,857 |
0,170 |
Quelles étaient les chances pour que votre vote fasse une différence au niveau de votre circonscription? | 0,135 |
0,845 |
0,157 |
Selon vous, à quel point est-il important que les gens votent? | 0,506 |
0,457 |
-0,005 |
Lorsque vous étiez enfant, combien souvent votre famille discutait-elle de politique et d'actualité? | 0,717 |
-0,08 |
0,03 |
Et à présent, combien souvent discutez-vous de politique et d'actualité avec votre famille ou vos amis? | 0,813 |
0,04 |
0,03 |
Note :
éléments principaux; rotation Varimax Facteur 1 : Intérêt, discussion, devoir civique Facteur 2 : Utilité du vote, devoir civique Facteur 3 : Partis compétitifs |
Notre deuxième catégorie de prédicteurs sera tirée de deux analyses factorielles, présentées aux tableaux 15 et 16. Comme nous l'avons expliqué, l'analyse factorielle explore les corrélations entre tous les éléments d'un groupe de variables, et identifie tout point commun, ou facteur, sous-jacent. Les « saturations de facteurs » (corrélations des variables individuelles avec les facteurs sous-jacents) figurent aux tableaux 15 et 16, et les « cotes de facteurs » seront utilisées ultérieurement dans les analyses de régression.
Le tableau 15 présente une analyse factorielle de variables comprenant l'intérêt pour la politique. Nous employons cette technique pour déterminer quelles variables saturent le même facteur que l'intérêt pour la politique, afin d'utiliser un facteur plus complexe pour prédire le vote. En soi, l'intérêt pour la politique suscite autant de questions que de réponses, comme nous l'avons noté. Nous avons inclus dans l'analyse factorielle une mesure du « sens du devoir civique » – l'importance perçue de voter aux élections. Nous avons aussi inclus deux variables de « discussion politique », une mesurant la socialisation, à savoir si les gens discutaient de politique avec leurs parents lorsqu'ils étaient enfants, et une mesurant la fréquence actuelle de leurs discussions politiques avec d'autres. Nous examinons aussi l'incidence de la compétitivité perçue, en présumant que si les gens ont l'impression que leur vote a de l'importance, ils sont plus susceptibles de voter, et que si les partis politiques dans l'ensemble du pays et dans la circonscription du répondant sont vus comme plus compétitifs, le vote semblera aussi avoir plus d'importance et la participation sera plus élevée. Toutes ces hypothèses s'appuient sur l'approche du choix rationnel, selon laquelle les gens sont plus portés à participer à une activité plutôt qu'à une autre lorsqu'il y va de leur intérêt personnel.
Le groupe de variables décrit dans le paragraphe précédent génère trois facteurs. Le premier regroupe l'intérêt pour la politique avec le sens du devoir civique et les discussions politiques, celles de l'enfance et celles d'aujourd'hui avec parents et amis. Nous pourrions désigner ce facteur sous le nom de « citoyen engagé ». Le deuxième facteur comprend aussi la variable du devoir civique, mais la regroupe avec les deux questions demandant aux répondants s'ils avaient l'impression que leur vote avait de l'importance, à l'échelle du pays ou dans leur circonscription. Ces deux dernières variables saturent beaucoup plus ce facteur, de sorte que nous pouvons désigner ce dernier comme « vote qui compte », où les gens sont plus enclins à agir lorsque leur vote peut peser dans la balance ou lorsqu'il est important pour le pays que les citoyens participent aux élections. Ce facteur peut être considéré comme conforme aux théories du choix rationnel, en ce sens qu'il sera dans l'intérêt de l'électeur de voter là où son suffrage pourrait peser dans la balance, ou « compter davantage » étant donné que cela donnerait plus de valeur au choix de cette action par opposition à une autre. Le troisième facteur du tableau 15 regroupe les deux variables qui demandent au répondant d'évaluer le niveau de compétitivité des partis à l'échelle du pays et dans leur circonscription. Ce facteur cadre aussi avec l'approche du choix rationnel, et nous pouvons l'appeler « compétition entre partis ». Il est intéressant de noter que ce facteur est distinct de celui axé sur les questions concernant l'utilité perçue du vote. Le fait que le devoir civique se rattache au deuxième facteur et non au troisième implique que d'autres motifs que la compétition entre partis sont en cause lorsque les gens ont à déterminer si leur vote pourrait compter ou non7.
Tableau 16 Analyse factorielle des variables liées à l'efficacité, à la confiance et au soutien des partis
1 | 2 | 3 | |
---|---|---|---|
En général, les élus au Parlement perdent contact avec les citoyens | 0,648 |
-0,134 |
-0,009 |
Les élus au Parlement reflètent la diversité de la société canadienne | -0,06 |
0,694 |
0,106 |
Les gens comme moi n'ont pas leur mot à dire à propos des actions du gouvernement | 0,652 |
0,04 |
-0,148 |
Parfois, la politique et le gouvernement semblent si compliqués qu'une personne comme moi ne peut pas vraiment comprendre ce qui se passe | 0,369 |
0,578 |
-0,302 |
Je ne crois pas que le gouvernement se préoccupe beaucoup de ce que les gens comme moi pensent | 0,695 |
-0,133 |
-0,07 |
La plupart du temps, nous pouvons avoir confiance que les gens du gouvernement feront ce qui est juste | -0,338 |
0,629 |
0,192 |
Tous les partis politiques se ressemblent : il n'y a pas vraiment de choix | 0,584 |
-0,01 |
-0,272 |
Les partis politiques sont la meilleure façon de représenter les intérêts des citoyens | -0,221 |
0,385 |
0,519 |
Les partis politiques embrouillent les enjeux plutôt que de fournir des choix clairs | 0,680 |
-0,05 |
-0,160 |
Les partis politiques fournissent de bons plans à propos de nouvelles politiques | -0,230 |
0,445 |
0,411 |
Au cours d'une campagne électorale, les partis politiques et les candidats parlent des problèmes auxquels les électeurs s'intéressent | 0,08 |
0,01 |
0,811 |
Les partis politiques sont trop influencés par les gens qui ont beaucoup d'argent | 0,639 |
-0,155 |
-0,004 |
Trop de partis politiques représentent une petite partie du pays au lieu du pays dans son entier | 0,540 |
-0,04 |
0,137 |
Note : éléments principaux;
rotation Varimax Facteur 1: Inefficacité, cynisme, négativisme envers les partis Facteur 2 : Confiance, représenté Facteur 3 : Soutien des partis |